Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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D’Artagnan partit d’un éclat de rire qui changea le frisson de l’hôte en fièvre chaude.
En même temps, Grimaud parut à son tour derrière son maître, le mousqueton sur l’épaule, la tête tremblante, comme ces satyres ivres des tableaux de Rubens. Il était arrosé par-devant et par-derrière d’une liqueur grasse que l’hôte reconnut pour être sa meilleure huile d’olive.
Le cortège traversa la grande salle et alla s’installer dans la meilleure chambre de l’auberge, que d’Artagnan occupa d’autorité.
Pendant ce temps, l’hôte et sa femme se précipitèrent avec des lampes dans la cave, qui leur avait été si longtemps interdite et où un affreux spectacle les attendait.
Au-delà des fortifications auxquelles Athos avait fait brèche pour sortir et qui se composaient de fagots, de planches et de futailles vides entassées selon toutes les règles de l’art stratégique, on voyait çà et là, nageant dans les mares d’huile et de vin, les ossements de tous les jambons mangés, tandis qu’un amas de bouteilles cassées jonchait tout l’angle gauche de la cave et qu’un tonneau, dont le robinet était resté ouvert, perdait par cette ouverture les dernières gouttes de son sang. L’image de la dévastation et de la mort, comme dit le poète de l’Antiquité, régnait là comme sur un champ de bataille.
Sur cinquante saucissons, pendus aux solives, dix restaient à peine.
Alors les hurlements de l’hôte et de l’hôtesse percèrent la voûte de la cave, d’Artagnan lui-même en fut ému. Athos ne tourna pas même la tête.
Mais à la douleur succéda la rage. L’hôte s’arma d’une broche et, dans son désespoir, s’élança dans la chambre où les deux amis s’étaient retirés.
«Du vin! dit Athos en apercevant l’hôte.
– Du vin! s’écria l’hôte stupéfait, du vin! mais vous m’en avez bu pour plus de cent pistoles; mais je suis un homme ruiné, perdu, anéanti!
– Bah! dit Athos, nous sommes constamment restés sur notre soif.
– Si vous vous étiez contentés de boire, encore; mais vous avez cassé toutes les bouteilles.
– Vous m’avez poussé sur un tas qui a dégringolé. C’est votre faute.
– Toute mon huile est perdue!
– L’huile est un baume souverain pour les blessures, et il fallait bien que ce pauvre Grimaud pansât celles que vous lui avez faites.
– Tous mes saucissons rongés!
– Il y a énormément de rats dans cette cave.
– Vous allez me payer tout cela, cria l’hôte exaspéré.
– Triple drôle!» dit Athos en se soulevant. Mais il retomba aussitôt; il venait de donner la mesure de ses forces. D’Artagnan vint à son secours en levant sa cravache.
L’hôte recula d’un pas et se mit à fondre en larmes.
«Cela vous apprendra, dit d’Artagnan, à traiter d’une façon plus courtoise les hôtes que Dieu vous envoie.
– Dieu…, dites le diable!
– Mon cher ami, dit d’Artagnan, si vous nous rompez encore les oreilles, nous allons nous renfermer tous les quatre dans votre cave, et nous verrons si véritablement le dégât est aussi grand que vous le dites.
– Eh bien, oui, messieurs, dit l’hôte, j’ai tort, je l’avoue; mais à tout péché miséricorde; vous êtes des seigneurs et je suis un pauvre aubergiste, vous aurez pitié de moi.
– Ah! si tu parles comme cela, dit Athos, tu vas me fendre le cœur, et les larmes vont couler de mes yeux comme le vin coulait de tes futailles. On n’est pas si diable qu’on en a l’air. Voyons, viens ici et causons.»
L’hôte s’approcha avec inquiétude.
«Viens, te dis-je, et n’aie pas peur, continua Athos. Au moment où j’allais te payer, j’avais posé ma bourse sur la table.
– Oui, Monseigneur.
– Cette bourse contenait soixante pistoles, où est-elle?
– Déposée au greffe, Monseigneur: on avait dit que c’était de la fausse monnaie.
– Eh bien, fais-toi rendre ma bourse, et garde les soixante pistoles.
– Mais Monseigneur sait bien que le greffe ne lâche pas ce qu’il tient. Si c’était de la fausse monnaie, il y aurait encore de l’espoir; mais malheureusement ce sont de bonnes pièces.
– Arrange-toi avec lui, mon brave homme, cela ne me regarde pas, d’autant plus qu’il ne me reste pas une livre.
– Voyons, dit d’Artagnan, l’ancien cheval d’Athos, où est-il?
– À l’écurie.
– Combien vaut-il?
– Cinquante pistoles tout au plus.
– Il en vaut quatre-vingts; prends-le, et que tout soit dit.
– Comment! tu vends mon cheval, dit Athos, tu vends mon Bajazet? et sur quoi ferai-je la campagne? sur Grimaud?
– Je t’en amène un autre, dit d’Artagnan.
– Un autre?
– Et magnifique! s’écria l’hôte.
– Alors, s’il y en a un autre plus beau et plus jeune, prends le vieux, et à boire!
– Duquel? demanda l’hôte tout à fait rasséréné.
– De celui qui est au fond, près des lattes; il en reste encore vingt-cinq bouteilles, toutes les autres ont été cassées dans ma chute. Montez-en six.
– Mais c’est un foudre que cet homme! dit l’hôte à part lui; s’il reste seulement quinze jours ici, et qu’il paie ce qu’il boira, je rétablirai mes affaires.
– Et n’oublie pas, continua d’Artagnan, de monter quatre bouteilles du pareil aux deux seigneurs anglais.
– Maintenant, dit Athos, en attendant qu’on nous apporte du vin, conte-moi, d’Artagnan, ce que sont devenus les autres; voyons.»
D’Artagnan lui raconta comment il avait trouvé Porthos dans son lit avec une foulure, et Aramis à une table entre les deux théologiens. Comme il achevait, l’hôte rentra avec les bouteilles demandées et un jambon qui, heureusement pour lui, était resté hors de la cave.
«C’est bien, dit Athos en remplissant son verre et celui de d’Artagnan, voilà pour Porthos et pour Aramis; mais vous, mon ami, qu’avez-vous et que vous est-il arrivé personnellement? Je vous trouve un air sinistre.
– Hélas! dit d’Artagnan, c’est que je suis le plus malheureux de nous tous, moi!
– Toi malheureux, d’Artagnan! dit Athos. Voyons, comment es-tu malheureux? Dis-moi cela.
– Plus tard, dit d’Artagnan.
– Plus tard! et pourquoi plus tard? parce que tu crois que je suis ivre, d’Artagnan? Retiens bien ceci: je n’ai jamais les idées plus nettes que dans le vin. Parle donc, je suis tout oreilles.»
D’Artagnan raconta son aventure avec Mme Bonacieux.
Athos l’écouta sans sourciller; puis, lorsqu’il eut fini:
«Misères que tout cela, dit Athos, misères!»
C’était le mot d’Athos.
«Vous dites toujours misères! mon cher Athos, dit d’Artagnan; cela vous sied bien mal, à vous qui n’avez jamais aimé.»
L’œil mort d’Athos s’enflamma soudain, mais ce ne fut qu’un éclair, il redevint terne et vague comme auparavant.
«C’est vrai, dit-il tranquillement, je n’ai jamais aimé, moi.
– Vous voyez bien alors, cœur de pierre, dit d’Artagnan, que vous avez tort d’être dur pour nous autres cœurs tendres.
– Cœurs tendres, cœurs percés, dit Athos.
– Que dites-vous?
– Je dis que l’amour est une loterie où celui qui gagne, gagne la mort! Vous êtes bien heureux d’avoir perdu, croyez-moi, mon cher d’Artagnan. Et si j’ai un conseil à vous donner, c’est de perdre toujours.
– Elle avait l’air de si bien m’aimer!
– Elle en avait l’air.
– Oh! elle m’aimait.
– Enfant! il n’y a pas un homme qui n’ait cru comme vous que sa maîtresse l’aimait, et il n’y a pas un homme qui n’ait été trompé par sa maîtresse.
– Excepté vous, Athos, qui n’en avez jamais eu.
– C’est vrai, dit Athos après un moment de silence, je n’en ai jamais eu, moi. Buvons!
– Mais alors, philosophe que vous êtes, dit d’Artagnan, instruisez-moi, soutenez-moi; j’ai besoin de savoir et d’être consolé.
– Consolé de quoi?
– De mon malheur.
– Votre malheur fait rire, dit Athos en haussant les épaules; je serais curieux de savoir ce que vous diriez si je vous racontais une histoire d’amour.
– Arrivée à vous?
– Ou à un de mes amis, qu’importe!
– Dites, Athos, dites.