Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– Eh bien, voyez cependant comme on compromettrait un homme quand on ne sait plus ce que l’on dit, reprit Athos en haussant les épaules, comme s’il se fût pris lui-même en pitié. Décidément, je ne veux plus me griser, d’Artagnan, c’est une trop mauvaise habitude.»
D’Artagnan garda le silence.
Puis Athos, changeant tout à coup de conversation:
«À propos, dit-il, je vous remercie du cheval que vous m’avez amené.
– Est-il de votre goût? demanda d’Artagnan.
– Oui, mais ce n’était pas un cheval de fatigue.
– Vous vous trompez; j’ai fait avec lui dix lieues en moins d’une heure et demie, et il n’y paraissait pas plus que s’il eût fait le tour de la place Saint-Sulpice.
– Ah çà, vous allez me donner des regrets.
– Des regrets?
– Oui, je m’en suis défait.
– Comment cela?
– Voici le fait: ce matin, je me suis réveillé à six heures, vous dormiez comme un sourd, et je ne savais que faire; j’étais encore tout hébété de notre débauche d’hier; je descendis dans la grande salle, et j’avisai un de nos Anglais qui marchandait un cheval à un maquignon, le sien étant mort hier d’un coup de sang. Je m’approchai de lui, et comme je vis qu’il offrait cent pistoles d’un alezan brûlé: «Par Dieu, lui dis-je, mon gentilhomme, moi aussi j’ai un cheval à vendre.
«- Et très beau même, dit-il, je l’ai vu hier, le valet de votre ami le tenait en main.
«- Trouvez-vous qu’il vaille cent pistoles?
«- Oui, et voulez-vous me le donner pour ce prix-là?
«- Non, mais je vous le joue.
«- Vous me le jouez?
«- Oui.
«- À quoi?
«- Aux dés.»
«Ce qui fut dit fut fait; et j’ai perdu le cheval. Ah! mais par exemple, continua Athos, j’ai regagné le caparaçon.»
D’Artagnan fit une mine assez maussade.
«Cela vous contrarie? dit Athos.
– Mais oui, je vous l’avoue, reprit d’Artagnan; ce cheval devait servir à nous faire reconnaître un jour de bataille; c’était un gage, un souvenir. Athos, vous avez eu tort.
– Eh! mon cher ami, mettez-vous à ma place, reprit le mousquetaire; je m’ennuyais à périr, moi, et puis, d’honneur, je n’aime pas les chevaux anglais. Voyons, s’il ne s’agit que d’être reconnu par quelqu’un, eh bien, la selle suffira; elle est assez remarquable. Quant au cheval, nous trouverons quelque excuse pour motiver sa disparition. Que diable! un cheval est mortel; mettons que le mien a eu la morve ou le farcin.»
D’Artagnan ne se déridait pas.
«Cela me contrarie, continua Athos, que vous paraissiez tant tenir à ces animaux, car je ne suis pas au bout de mon histoire.
– Qu’avez-vous donc fait encore?
– Après avoir perdu mon cheval, neuf contre dix, voyez le coup, l’idée me vint de jouer le vôtre.
– Oui, mais vous vous en tîntes, j’espère, à l’idée?
– Non pas, je la mis à exécution à l’instant même.
– Ah! par exemple! s’écria d’Artagnan inquiet.
– Je jouai, et je perdis.
– Mon cheval?
– Votre cheval; sept contre huit; faute d’un point…, vous connaissez le proverbe.
– Athos, vous n’êtes pas dans votre bon sens, je vous jure!
– Mon cher, c’était hier, quand je vous contais mes sottes histoires, qu’il fallait me dire cela, et non pas ce matin. Je le perdis donc avec tous les équipages et harnais possibles.
– Mais c’est affreux!
– Attendez donc, vous n’y êtes point, je ferais un joueur excellent, si je ne m’entêtais pas; mais je m’entête, c’est comme quand je bois; je m’entêtai donc…
– Mais que pûtes-vous jouer, il ne vous restait plus rien?
– Si fait, si fait, mon ami; il nous restait ce diamant qui brille à votre doigt, et que j’avais remarqué hier.
– Ce diamant! s’écria d’Artagnan, en portant vivement la main à sa bague.
– Et comme je suis connaisseur, en ayant eu quelques-uns pour mon propre compte, je l’avais estimé mille pistoles.
– J’espère, dit sérieusement d’Artagnan à demi mort de frayeur, que vous n’avez aucunement fait mention de mon diamant?
– Au contraire, cher ami; vous comprenez, ce diamant devenait notre seule ressource; avec lui, je pouvais regagner nos harnais et nos chevaux, et, de plus, l’argent pour faire la route.
– Athos, vous me faites frémir! s’écria d’Artagnan.
– Je parlai donc de votre diamant à mon partenaire, lequel l’avait aussi remarqué. Que diable aussi, mon cher, vous portez à votre doigt une étoile du ciel, et vous ne voulez pas qu’on y fasse attention! Impossible!
– Achevez, mon cher; achevez! dit d’Artagnan, car, d’honneur! avec votre sang-froid, vous me faites mourir!
– Nous divisâmes donc ce diamant en dix parties de cent pistoles chacune.
– Ah! vous voulez rire et m’éprouver? dit d’Artagnan que la colère commençait à prendre aux cheveux comme Minerve prend Achille, dans l’Iliade.
– Non, je ne plaisante pas, mordieu! j’aurais bien voulu vous y voir, vous! il y avait quinze jours que je n’avais envisagé face humaine et que j’étais là à m’abrutir en m’abouchant avec des bouteilles.
– Ce n’est point une raison pour jouer mon diamant, cela? répondit d’Artagnan en serrant sa main avec une crispation nerveuse.
– Écoutez donc la fin; dix parties de cent pistoles chacune en dix coups sans revanche. En treize coups je perdis tout. En treize coups! Le nombre 13 m’a toujours été fatal, c’était le 13 du mois de juillet que…
– Ventrebleu! s’écria d’Artagnan en se levant de table, l’histoire du jour lui faisant oublier celle de la veille.
– Patience, dit Athos, j’avais un plan. L’Anglais était un original, je l’avais vu le matin causer avec Grimaud, et Grimaud m’avait averti qu’il lui avait fait des propositions pour entrer à son service. Je lui joue Grimaud, le silencieux Grimaud, divisé en dix portions.
– Ah! pour le coup! dit d’Artagnan éclatant de rire malgré lui.
– Grimaud lui-même, entendez-vous cela! et avec les dix parts de Grimaud, qui ne vaut pas en tout un ducaton, je regagne le diamant. Dites maintenant que la persistance n’est pas une vertu.
– Ma foi, c’est très drôle! s’écria d’Artagnan consolé et se tenant les côtes de rire.
– Vous comprenez que, me sentant en veine, je me remis aussitôt à jouer sur le diamant.
– Ah! diable, dit d’Artagnan assombri de nouveau.
– J’ai regagné vos harnais, puis votre cheval, puis mes harnais, puis mon cheval, puis reperdu. Bref, j’ai rattrapé votre harnais, puis le mien. Voilà où nous en sommes. C’est un coup superbe; aussi je m’en suis tenu là.»
D’Artagnan respira comme si on lui eût enlevé l’hôtellerie de dessus la poitrine.
«Enfin, le diamant me reste? dit-il timidement.
– Intact! cher ami; plus les harnais de votre Bucéphale et du mien.
– Mais que ferons-nous de nos harnais sans chevaux?
– J’ai une idée sur eux.
– Athos, vous me faites frémir.
– Écoutez, vous n’avez pas joué depuis longtemps, vous, d’Artagnan?
– Et je n’ai point l’envie de jouer.
– Ne jurons de rien. Vous n’avez pas joué depuis longtemps, disais-je, vous devez donc avoir la main bonne.
– Eh bien, après?
– Eh bien, l’Anglais et son compagnon sont encore là. J’ai remarqué qu’ils regrettaient beaucoup les harnais. Vous, vous paraissez tenir à votre cheval. A votre place, je jouerais vos harnais contre votre cheval.
– Mais il ne voudra pas un seul harnais.
– Jouez les deux, pardieu! je ne suis point un égoïste comme vous, moi.
– Vous feriez cela? dit d’Artagnan indécis, tant la confiance d’Athos commençait à le gagner à son insu.
– Parole d’honneur, en un seul coup.
– Mais c’est qu’ayant perdu les chevaux, je tenais énormément à conserver les harnais.
– Jouez votre diamant, alors.
– Oh! ceci, c’est autre chose; jamais, jamais.
– Diable! dit Athos, je vous proposerais bien de jouer Planchet; mais comme cela a déjà été fait, l’Anglais ne voudrait peut-être plus.
– Décidément, mon cher Athos, dit d’Artagnan, j’aime mieux ne rien risquer.