Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– C’est dommage, dit froidement Athos, l’Anglais est cousu de pistoles. Eh! mon Dieu, essayez un coup, un coup est bientôt joué.
– Et si je perds?
– Vous gagnerez.
– Mais si je perds?
– Eh bien, vous donnerez les harnais.
– Va pour un coup», dit d’Artagnan.
Athos se mit en quête de l’Anglais et le trouva dans l’écurie, où il examinait les harnais d’un œil de convoitise. L’occasion était bonne. Il fit ses conditions: les deux harnais contre un cheval ou cent pistoles, à choisir. L’Anglais calcula vite: les deux harnais valaient trois cents pistoles à eux deux; il topa.
D’Artagnan jeta les dés en tremblant et amena le nombre trois; sa pâleur effraya Athos, qui se contenta de dire:
«Voilà un triste coup, compagnon; vous aurez les chevaux tout harnachés, monsieur.»
L’Anglais, triomphant, ne se donna même la peine de rouler les dés, il les jeta sur la table sans regarder, tant il était sûr de la victoire; d’Artagnan s’était détourné pour cacher sa mauvaise humeur.
«Tiens, tiens, tiens, dit Athos avec sa voix tranquille, ce coup de dés est extraordinaire, et je ne l’ai vu que quatre fois dans ma vie: deux as!»
L’Anglais regarda et fut saisi d’étonnement, d’Artagnan regarda et fut saisi de plaisir.
«Oui, continua Athos, quatre fois seulement: une fois chez M. de Créquy; une autre fois chez moi, à la campagne, dans mon château de… quand j’avais un château; une troisième fois chez M. de Tréville, où il nous surprit tous; enfin une quatrième fois au cabaret, où il échut à moi et où je perdis sur lui cent louis et un souper.
– Alors, monsieur reprend son cheval, dit l’Anglais.
– Certes, dit d’Artagnan.
– Alors il n’y a pas de revanche?
– Nos conditions disaient: pas de revanche, vous vous le rappelez?
– C’est vrai; le cheval va être rendu à votre valet, monsieur.
– Un moment, dit Athos; avec votre permission, monsieur, je demande à dire un mot à mon ami.
– Dites.»
Athos tira d’Artagnan à part.
«Eh bien, lui dit d’Artagnan, que me veux-tu encore, tentateur, tu veux que je joue, n’est-ce pas?
– Non, je veux que vous réfléchissiez.
– À quoi?
– Vous allez reprendre le cheval, n’est-ce pas?
– Sans doute.
– Vous avez tort, je prendrais les cent pistoles; vous savez que vous avez joué les harnais contre le cheval ou cent pistoles, à votre choix.
– Oui.
– Je prendrais les cent pistoles.
– Eh bien, moi, je prends le cheval.
– Et vous avez tort, je vous le répète; que ferons-nous d’un cheval pour nous deux, je ne puis pas monter en croupe nous aurions l’air des deux fils Aymon qui ont perdu leurs frères; vous ne pouvez pas m’humilier en chevauchant près de moi, en chevauchant sur ce magnifique destrier. Moi, sans balancer un seul instant, je prendrais les cent pistoles, nous avons besoin d’argent pour revenir à Paris.
– Je tiens à ce cheval, Athos.
– Et vous avez tort, mon ami; un cheval prend un écart, un cheval bute et se couronne, un cheval mange dans un râtelier où a mangé un cheval morveux: voilà un cheval ou plutôt cent pistoles perdues; il faut que le maître nourrisse son cheval, tandis qu’au contraire cent pistoles nourrissent leur maître.
– Mais comment reviendrons-nous?
– Sur les chevaux de nos laquais, pardieu! on verra toujours bien à l’air de nos figures que nous sommes gens de condition.
– La belle mine que nous aurons sur des bidets, tandis qu’Aramis et Porthos caracoleront sur leurs chevaux!
– Aramis! Porthos! s’écria Athos, et il se mit à rire.
– Quoi? demanda d’Artagnan, qui ne comprenait rien à l’hilarité de son ami.
– Bien, bien, continuons, dit Athos.
– Ainsi, votre avis…?
– Est de prendre les cent pistoles, d’Artagnan; avec les cent pistoles nous allons festiner jusqu’à la fin du mois; nous avons essuyé des fatigues, voyez-vous, et il sera bon de nous reposer un peu.
– Me reposer! oh! non, Athos, aussitôt à Paris je me mets à la recherche de cette pauvre femme.
– Eh bien, croyez-vous que votre cheval vous sera aussi utile pour cela que de bons louis d’or? Prenez les cent pistoles, mon ami, prenez les cent pistoles.»
D’Artagnan n’avait besoin que d’une raison pour se rendre. Celle-là lui parut excellente. D’ailleurs, en résistant plus longtemps, il craignait de paraître égoïste aux yeux d’Athos; il acquiesça donc et choisit les cent pistoles, que l’Anglais lui compta sur-le-champ.
Puis l’on ne songea plus qu’à partir. La paix signée avec l’aubergiste, outre le vieux cheval d’Athos, coûta six pistoles; d’Artagnan et Athos prirent les chevaux de Planchet et de Grimaud, les deux valets se mirent en route à pied, portant les selles sur leurs têtes.
Si mal montés que fussent les deux amis, ils prirent bientôt les devants sur leurs valets et arrivèrent à Crèvecœur. De loin ils aperçurent Aramis mélancoliquement appuyé sur sa fenêtre et regardant, comme ma sœur Anne, poudroyer l’horizon.
«Holà, eh! Aramis! que diable faites-vous donc là? crièrent les deux amis.
– Ah! c’est vous, d’Artagnan, c’est vous Athos, dit le jeune homme; je songeais avec quelle rapidité s’en vont les biens de ce monde, et mon cheval anglais, qui s’éloignait et qui vient de disparaître au milieu d’un tourbillon de poussière, m’était une vivante image de la fragilité des choses de la terre. La vie elle-même peut se résoudre en trois mots: Erat, est, fuit.
– Cela veut dire au fond? demanda d’Artagnan, qui commençait à se douter de la vérité.
– Cela veut dire que je viens de faire un marché de dupe: soixante louis, un cheval qui, à la manière dont il file, peut faire au trot cinq lieues à l’heure.»
D’Artagnan et Athos éclatèrent de rire.
«Mon cher d’Artagnan, dit Aramis, ne m’en veuillez pas trop, je vous prie: nécessité n’a pas de loi; d’ailleurs je suis le premier puni, puisque cet infâme maquignon m’a volé cinquante louis au moins. Ah! vous êtes bons ménagers, vous autres! vous venez sur les chevaux de vos laquais et vous faites mener vos chevaux de luxe en main, doucement et à petites journées.»
Au même instant un fourgon, qui depuis quelques instants pointait sur la route d’Amiens, s’arrêta, et l’on vit sortir Grimaud et Planchet leurs selles sur la tête. Le fourgon retournait à vide vers Paris, et les deux laquais s’étaient engagés, moyennant leur transport, à désaltérer le voiturier tout le long de la route.
«Qu’est-ce que cela? dit Aramis en voyant ce qui se passait; rien que les selles?
– Comprenez-vous maintenant? dit Athos.
– Mes amis, c’est exactement comme moi. J’ai conservé le harnais, par instinct. Holà, Bazin! portez mon harnais neuf auprès de celui de ces messieurs.
– Et qu’avez-vous fait de vos curés? demanda d’Artagnan.
– Mon cher, je les ai invités à dîner le lendemain, dit Aramis: il y a ici du vin exquis, cela soit dit en passant; je les ai grisés de mon mieux; alors le curé m’a défendu de quitter la casaque, et le jésuite m’a prié de le faire recevoir mousquetaire.
– Sans thèse! cria d’Artagnan, sans thèse! je demande la suppression de la thèse, moi!
– Depuis lors, continua Aramis, je vis agréablement. J’ai commencé un poème en vers d’une syllabe; c’est assez difficile, mais le mérite en toutes choses est dans la difficulté. La matière est galante, je vous lirai le premier chant, il a quatre cents vers et dure une minute.
– Ma foi, mon cher Aramis, dit d’Artagnan, qui détestait presque autant les vers que le latin, ajoutez au mérite de la difficulté celui de la brièveté, et vous êtes sûr au moins que votre poème aura deux mérites.
– Puis, continua Aramis, il respire des passions honnêtes, vous verrez. Ah çà, mes amis, nous retournons donc à Paris? Bravo, je suis prêt; nous allons donc revoir ce bon Porthos, tant mieux. Vous ne croyez pas qu’il me manquait, ce grand niais-là? Ce n’est pas lui qui aurait vendu son cheval, fût-ce contre un royaume. Je voudrais déjà le voir sur sa bête et sur sa selle. Il aura, j’en suis sûr, l’air du grand mogol.»