Les trois mousquetaires
Les trois mousquetaires читать книгу онлайн
On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
«P. -S. - Selon les désirs de Votre Éminence, je me rends au couvent des carmélites de Béthune où j’attendrai ses ordres.»
Effectivement, le même soir, Milady se mit en route; la nuit la prit: elle s’arrêta et coucha dans une auberge; puis, le lendemain, à cinq heures du matin, elle partit, et trois heures après, elle entra à Béthune.
Elle se fit indiquer le couvent des carmélites et y entra aussitôt.
La supérieure vint au-devant d’elle; Milady lui montra l’ordre du cardinal, l’abbesse lui fit donner une chambre et servir à déjeuner.
Tout le passé s’était déjà effacé aux yeux de cette femme, et, le regard fixé vers l’avenir, elle ne voyait que la haute fortune que lui réservait le cardinal, qu’elle avait si heureusement servi, sans que son nom fût mêlé en rien à toute cette sanglante affaire. Les passions toujours nouvelles qui la consumaient donnaient à sa vie l’apparence de ces nuages qui volent dans le ciel, reflétant tantôt l’azur, tantôt le feu, tantôt le noir opaque de la tempête, et qui ne laissent d’autres traces sur la terre que la dévastation et la mort.
Après le déjeuner, l’abbesse vint lui faire sa visite; il y a peu de distraction au cloître, et la bonne supérieure avait hâte de faire connaissance avec sa nouvelle pensionnaire.
Milady voulait plaire à l’abbesse; or, c’était chose facile à cette femme si réellement supérieure; elle essaya d’être aimable: elle fut charmante et séduisit la bonne supérieure par sa conversation si variée et par les grâces répandues dans toute sa personne.
L’abbesse, qui était une fille de noblesse, aimait surtout les histoires de cour, qui parviennent si rarement jusqu’aux extrémités du royaume et qui, surtout, ont tant de peine à franchir les murs des couvents, au seuil desquels viennent expirer les bruits du monde.
Milady, au contraire, était fort au courant de toutes les intrigues aristocratiques, au milieu desquelles, depuis cinq ou six ans, elle avait constamment vécu, elle se mit donc à entretenir la bonne abbesse des pratiques mondaines de la cour de France, mêlées aux dévotions outrées du roi, elle lui fit la chronique scandaleuse des seigneurs et des dames de la cour, que l’abbesse connaissait parfaitement de nom, toucha légèrement les amours de la reine et de Buckingham, parlant beaucoup pour qu’on parlât un peu.
Mais l’abbesse se contenta d’écouter et de sourire, le tout sans répondre. Cependant, comme Milady vit que ce genre de récit l’amusait fort, elle continua; seulement, elle fit tomber la conversation sur le cardinal.
Mais elle était fort embarrassée; elle ignorait si l’abbesse était royaliste ou cardinaliste: elle se tint dans un milieu prudent; mais l’abbesse, de son côté, se tint dans une réserve plus prudente encore, se contentant de faire une profonde inclination de tête toutes les fois que la voyageuse prononçait le nom de Son Éminence.
Milady commença à croire qu’elle s’ennuierait fort dans le couvent; elle résolut donc de risquer quelque chose pour savoir de suite à quoi s’en tenir. Voulant voir jusqu’où irait la discrétion de cette bonne abbesse, elle se mit à dire un mal, très dissimulé d’abord, puis très circonstancié du cardinal, racontant les amours du ministre avec Mme d’Aiguillon, avec Marion de Lorme et avec quelques autres femmes galantes.
L’abbesse écouta plus attentivement, s’anima peu à peu et sourit.
«Bon, dit Milady, elle prend goût à mon discours; si elle est cardinaliste, elle n’y met pas de fanatisme au moins.»
Alors elle passa aux persécutions exercées par le cardinal sur ses ennemis. L’abbesse se contenta de se signer, sans approuver ni désapprouver.
Cela confirma Milady dans son opinion que la religieuse était plutôt royaliste que cardinaliste. Milady continua, renchérissant de plus en plus.
«Je suis fort ignorante de toutes ces matières-là, dit enfin l’abbesse, mais tout éloignées que nous sommes de la cour, tout en dehors des intérêts du monde où nous nous trouvons placées, nous avons des exemples fort tristes de ce que vous nous racontez là; et l’une de nos pensionnaires a bien souffert des vengeances et des persécutions de M. le cardinal.
– Une de vos pensionnaires, dit Milady; oh! mon Dieu! pauvre femme, je la plains alors.
– Et vous avez raison, car elle est bien à plaindre: prison, menaces, mauvais traitements, elle a tout souffert. Mais, après tout, reprit l’abbesse, M. le cardinal avait peut-être des motifs plausibles pour agir ainsi, et quoiqu’elle ait l’air d’un ange, il ne faut pas toujours juger les gens sur la mine.»
«Bon! dit Milady à elle-même, qui sait! je vais peut-être découvrir quelque chose ici, je suis en veine.»
Et elle s’appliqua à donner à son visage une expression de candeur parfaite.
«Hélas! dit Milady, je le sais; on dit cela, qu’il ne faut pas croire aux physionomies; mais à quoi croira-t-on cependant, si ce n’est au plus bel ouvrage du Seigneur? Quant à moi, je serai trompée toute ma vie peut-être; mais je me fierai toujours à une personne dont le visage m’inspirera de la sympathie.
– Vous seriez donc tentée de croire, dit l’abbesse, que cette jeune femme est innocente?
– M. le cardinal ne punit pas que les crimes, dit-elle; il y a certaines vertus qu’il poursuit plus sévèrement que certains forfaits.
– Permettez-moi, madame, de vous exprimer ma surprise, dit l’abbesse.
– Et sur quoi? demanda Milady avec naïveté.
– Mais sur le langage que vous tenez.
– Que trouvez-vous d’étonnant à ce langage? demanda en souriant Milady.
– Vous êtes l’amie du cardinal, puisqu’il vous envoie ici, et cependant…
– Et cependant j’en dis du mal, reprit Milady, achevant la pensée de la supérieure.
– Au moins n’en dites-vous pas de bien.
– C’est que je ne suis pas son amie, dit-elle en soupirant, mais sa victime.
– Mais cependant cette lettre par laquelle il vous recommande à moi?…
– Est un ordre à moi de me tenir dans une espèce de prison dont il me fera tirer par quelques-uns de ses satellites.
– Mais pourquoi n’avez-vous pas fui?
– Où irais-je? croyez-vous qu’il y ait un endroit de la terre où ne puisse atteindre le cardinal, s’il veut se donner la peine de tendre la main? Si j’étais un homme, à la rigueur cela serait possible encore; mais une femme, que voulez-vous que fasse une femme? Cette jeune pensionnaire que vous avez ici a-t-elle essayé de fuir, elle?
– Non, c’est vrai; mais elle, c’est autre chose, je la crois retenue en France par quelque amour.
– Alors, dit Milady avec un soupir, si elle aime, elle n’est pas tout à fait malheureuse.
– Ainsi, dit l’abbesse en regardant Milady avec un intérêt croissant, c’est encore une pauvre persécutée que je vois?
– Hélas, oui, dit Milady.
L’abbesse regarda un instant Milady avec inquiétude, comme si une nouvelle pensée surgissait dans son esprit.
«Vous n’êtes pas ennemie de notre sainte foi? dit-elle en balbutiant.
– Moi, s’écria Milady, moi, protestante! Oh! non, j’atteste le Dieu qui nous entend que je suis au contraire fervente catholique.
– Alors, madame, dit l’abbesse en souriant, rassurez-vous; la maison où vous êtes ne sera pas une prison bien dure, et nous ferons tout ce qu’il faudra pour vous faire chérir la captivité. Il y a plus, vous trouverez ici cette jeune femme persécutée sans doute par suite de quelque intrigue de cour. Elle est aimable, gracieuse.
– Comment la nommez-vous?
– Elle m’a été recommandée par quelqu’un de très haut placé, sous le nom de Ketty. Je n’ai pas cherché à savoir son autre nom.
– Ketty! s’écria Milady; quoi! vous êtes sûre?…
– Qu’elle se fait appeler ainsi? Oui, madame, la connaîtriez-vous?»
Milady sourit à elle-même et à l’idée qui lui était venue que cette jeune femme pouvait être son ancienne camérière. Il se mêlait au souvenir de cette jeune fille un souvenir de colère, et un désir de vengeance avait bouleversé les traits de Milady, qui reprirent au reste presque aussitôt l’expression calme et bienveillante que cette femme aux cent visages leur avait momentanément fait perdre.