Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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La joie fut grande. On envoya les valets devant avec les bagages, et l’on partit le 16 au matin.
Le cardinal reconduisit Sa Majesté de Surgères à Mauzé, et là, le roi et son ministre prirent congé l’un de l’autre avec de grandes démonstrations d’amitié.
Cependant le roi, qui cherchait de la distraction, tout en cheminant le plus vite qu’il lui était possible, car il désirait être arrivé à Paris pour le 23, s’arrêtait de temps en temps pour voler la pie, passe-temps dont le goût lui avait autrefois été inspiré par de Luynes, et pour lequel il avait toujours conservé une grande prédilection. Sur les vingt mousquetaires, seize, lorsque la chose arrivait, se réjouissaient fort de ce bon temps; mais quatre maugréaient de leur mieux. D’Artagnan surtout avait des bourdonnements perpétuels dans les oreilles, ce que Porthos expliquait ainsi:
«Une très grande dame m’a appris que cela veut dire que l’on parle de vous quelque part.»
Enfin l’escorte traversa Paris le 23, dans la nuit; le roi remercia M. de Tréville, et lui permit de distribuer des congés pour quatre jours, à la condition que pas un des favorisés ne paraîtrait dans un lieu public, sous peine de la Bastille.
Les quatre premiers congés accordés, comme on le pense bien, furent à nos quatre amis. Il y a plus, Athos obtint de M. de Tréville six jours au lieu de quatre et fit mettre dans ces six jours deux nuits de plus, car ils partirent le 24, à cinq heures du soir, et par complaisance encore, M. de Tréville postdata le congé du 25 au matin.
«Eh, mon Dieu, disait d’Artagnan, qui, comme on le sait, ne doutait jamais de rien, il me semble que nous faisons bien de l’embarras pour une chose bien simple: en deux jours, et en crevant deux ou trois chevaux (peu m’importe: j’ai de l’argent), je suis à Béthune, je remets la lettre de la reine à la supérieure, et je ramène le cher trésor que je vais chercher, non pas en Lorraine, non pas en Belgique, mais à Paris, où il sera mieux caché, surtout tant que M. le cardinal sera à La Rochelle. Puis, une fois de retour de la campagne, eh bien, moitié par la protection de sa cousine, moitié en faveur de ce que nous avons fait personnellement pour elle, nous obtiendrons de la reine ce que nous voudrons. Restez donc ici, ne vous épuisez pas de fatigue inutilement; moi et Planchet, c’est tout ce qu’il faut pour une expédition aussi simple.»
À ceci Athos répondit tranquillement:
«Nous aussi, nous avons de l’argent; car je n’ai pas encore bu tout à fait le reste du diamant, et Porthos et Aramis ne l’ont pas tout à fait mangé. Nous crèverons donc aussi bien quatre chevaux qu’un. Mais songez, d’Artagnan, ajouta-t-il d’une voix si sombre que son accent donna le frisson au jeune homme, songez que Béthune est une ville où le cardinal a donné rendez-vous à une femme qui, partout où elle va, mène le malheur après elle. Si vous n’aviez affaire qu’à quatre hommes, d’Artagnan, je vous laisserais aller seul; vous avez affaire à cette femme, allons-y quatre, et plaise à Dieu qu’avec nos quatre valets nous soyons en nombre suffisant!
– Vous m’épouvantez, Athos, s’écria d’Artagnan; que craignez-vous donc, mon Dieu?
– Tout!» répondit Athos.
D’Artagnan examina les visages de ses compagnons, qui, comme celui d’Athos, portaient l’empreinte d’une inquiétude profonde, et l’on continua la route au plus grand pas des chevaux, mais sans ajouter une seule parole.
Le 25 au soir, comme ils entraient à Arras, et comme d’Artagnan venait de mettre pied à terre à l’auberge de la Herse d’Or pour boire un verre de vin, un cavalier sortit de la cour de la poste, où il venait de relayer, prenant au grand galop, et avec un cheval frais, le chemin de Paris. Au moment où il passait de la grande porte dans la rue, le vent entrouvrit le manteau dont il était enveloppé, quoiqu’on fût au mois d’août, et enleva son chapeau, que le voyageur retint de sa main, au moment où il avait déjà quitté sa tête, et l’enfonça vivement sur ses yeux.
D’Artagnan, qui avait les yeux fixés sur cet homme, devint fort pâle et laissa tomber son verre.
«Qu’avez-vous, monsieur? dit Planchet… Oh! là, accourez, messieurs, voilà mon maître qui se trouve mal!»
Les trois amis accoururent et trouvèrent d’Artagnan qui, au lieu de se trouver mal, courait à son cheval. Ils l’arrêtèrent sur le seuil de la porte.
«Eh bien, où diable vas-tu donc ainsi? lui cria Athos.
– C’est lui! s’écria d’Artagnan, pâle de colère et la sueur sur le front, c’est lui! laissez-moi le rejoindre!
– Mais qui, lui? demanda Athos.
– Lui, cet homme!
– Quel homme?
– Cet homme maudit, mon mauvais génie, que j’ai toujours vu lorsque j’étais menacé de quelque malheur: celui qui accompagnait l’horrible femme lorsque je la rencontrai pour la première fois, celui que je cherchais quand j’ai provoqué Athos, celui que j’ai vu le matin du jour où Mme Bonacieux a été enlevée! l’homme de Meung enfin! je l’ai vu, c’est lui! Je l’ai reconnu quand le vent a entrouvert son manteau.
– Diable! dit Athos rêveur.
– En selle, messieurs, en selle; poursuivons-le, et nous le rattraperons.
– Mon cher, dit Aramis, songez qu’il va du côté opposé à celui où nous allons; qu’il a un cheval frais et que nos chevaux sont fatigués; que par conséquent nous crèverons nos chevaux sans même avoir la chance de le rejoindre. Laissons l’homme, d’Artagnan, sauvons la femme.
– Eh! monsieur! s’écria un garçon d’écurie courant après l’inconnu, eh! monsieur, voilà un papier qui s’est échappé de votre chapeau! Eh! monsieur! eh!
– Mon ami, dit d’Artagnan, une demi-pistole pour ce papier!
– Ma foi, monsieur, avec grand plaisir! le voici!
Le garçon d’écurie, enchanté de la bonne journée qu’il avait faite, rentra dans la cour de l’hôtel: d’Artagnan déplia le papier.
«Eh bien? demandèrent ses amis en l’entourant.
– Rien qu’un mot! dit d’Artagnan.
– Oui, dit Aramis, mais ce nom est un nom de ville ou de village.
– «Armentières», lut Porthos. Armentières, je ne connais pas cela!
– Et ce nom de ville ou de village est écrit de sa main! s’écria Athos.
– Allons, allons, gardons soigneusement ce papier, dit d’Artagnan, peut-être n’ai-je pas perdu ma dernière pistole. À cheval, mes amis, à cheval!»
Et les quatre compagnons s’élancèrent au galop sur la route de Béthune.
CHAPITRE LXI
Les grands criminels portent avec eux une espèce de prédestination qui leur fait surmonter tous les obstacles, qui les fait échapper à tous les dangers, jusqu’au moment que la Providence, lassée, a marqué pour l’écueil de leur fortune impie.
Il en était ainsi de Milady: elle passa au travers des croiseurs des deux nations, et arriva à Boulogne sans aucun accident.
En débarquant à Portsmouth, Milady était une Anglaise que les persécutions de la France chassaient de La Rochelle; débarquée à Boulogne, après deux jours de traversée, elle se fit passer pour une Française que les Anglais inquiétaient à Portsmouth, dans la haine qu’ils avaient conçue contre la France.
Milady avait d’ailleurs le plus efficace des passeports: sa beauté, sa grande mine et la générosité avec laquelle elle répandait les pistoles. Affranchie des formalités d’usage par le sourire affable et les manières galantes d’un vieux gouverneur du port, qui lui baisa la main, elle ne resta à Boulogne que le temps de mettre à la poste une lettre ainsi conçue:
«À Son Éminence Monseigneur le cardinal de Richelieu, en son camp devant La Rochelle.
«Monseigneur, que Votre Éminence se rassure, Sa Grâce le duc de Buckingham ne partira point pour la France.
«Boulogne, 25 au soir.