Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– Oui.»
Ces trois oui avaient été dits par Athos, chacun avec une intonation plus sombre.
«Et qui l’a vue, cette fleur de lis? demanda Aramis.
– D’Artagnan et moi, ou plutôt, pour observer l’ordre chronologique, moi et d’Artagnan, répondit Athos.
– Et le mari de cette affreuse créature vit encore? dit Aramis.
– Il vit encore.
– Vous en êtes sûr?
– J’en suis sûr.»
Il y eut un instant de froid silence, pendant lequel chacun se sentit impressionné selon sa nature.
«Cette fois, reprit Athos, interrompant le premier le silence, d’Artagnan nous a donné un excellent programme, et c’est cela qu’il faut écrire d’abord.
– Diable! vous avez raison, Athos, reprit Aramis, et la rédaction est épineuse. M. le chancelier lui-même serait embarrassé pour rédiger une épître de cette force, et cependant M. le chancelier rédige très agréablement un procès-verbal. N’importe! taisez-vous, j’écris.»
Aramis en effet prit la plume, réfléchit quelques instants, se mit à écrire huit ou dix lignes d’une charmante petite écriture de femme, puis, d’une voix douce et lente, comme si chaque mot eût été scrupuleusement pesé, il lut ce qui suit:
«Milord,
«La personne qui vous écrit ces quelques lignes a eu l’honneur de croiser l’épée avec vous dans un petit enclos de la rue d’Enfer. Comme vous avez bien voulu, depuis, vous dire plusieurs fois l’ami de cette personne, elle vous doit de reconnaître cette amitié par un bon avis. Deux fois vous avez failli être victime d’une proche parente que vous croyez votre héritière, parce que vous ignorez qu’avant de contracter mariage en Angleterre, elle était déjà mariée en France. Mais, la troisième fois, qui est celle-ci, vous pouvez y succomber. Votre parente est partie de La Rochelle pour l’Angleterre pendant la nuit. Surveillez son arrivée car elle a de grands et terribles projets. Si vous tenez absolument à savoir ce dont elle est capable, lisez son passé sur son épaule gauche.»
«Eh bien, voilà qui est à merveille, dit Athos, et vous avez une plume de secrétaire État, mon cher Aramis. Lord de Winter fera bonne garde maintenant, si toutefois l’avis lui arrive; et tombât-il aux mains de Son Éminence elle-même, nous ne saurions être compromis. Mais comme le valet qui partira pourrait nous faire accroire qu’il a été à Londres et s’arrêter à Châtelleraut, ne lui donnons avec la lettre que la moitié de la somme en lui promettant l’autre moitié en échange de la réponse. Avez-vous le diamant? continua Athos.
«J’ai mieux que cela, j’ai la somme.»
Et d’Artagnan jeta le sac sur la table: au son de l’or, Aramis leva les yeux. Porthos tressaillit; quant à Athos, il resta impassible.
«Combien dans ce petit sac? dit-il.
– Sept mille livres en louis de douze francs.
– Sept mille livres! s’écria Porthos, ce mauvais petit diamant valait sept mille livres?
– Il paraît, dit Athos, puisque les voilà; je ne présume pas que notre ami d’Artagnan y ait mis du sien.
– Mais, messieurs, dans tout cela, dit d’Artagnan, nous ne pensons pas à la reine. Soignons un peu la santé de son cher Buckingham. C’est le moins que nous lui devions.
– C’est juste, dit Athos, mais ceci regarde Aramis.
– Eh bien, répondit celui-ci en rougissant, que faut-il que je fasse?
– Mais, répliqua Athos, c’est tout simple: rédiger une seconde lettre pour cette adroite personne qui habite Tours.»
Aramis reprit la plume, se mit à réfléchir de nouveau, et écrivit les lignes suivantes, qu’il soumit à l’instant même à l’approbation de ses amis:
«Ma chère cousine…»
«Ah! dit Athos, cette personne adroite est votre parente!
– Cousine germaine, dit Aramis.
– Va donc pour cousine!»
Aramis continua:
«Ma chère cousine, Son Éminence le cardinal, que Dieu conserve pour le bonheur de la France et la confusion des ennemis du royaume, est sur le point d’en finir avec les rebelles hérétiques de La Rochelle: il est probable que le secours de la Hotte anglaise n’arrivera pas même en vue de la place; j’oserai même dire que je suis certain que M. de Buckingham sera empêché de partir par quelque grand événement. Son Éminence est le plus illustre politique des temps passés, du temps présent et probablement des temps à venir. Il éteindrait le soleil si le soleil le gênait. Donnez ces heureuses nouvelles à votre sœur, ma chère cousine. J’ai rêvé que cet Anglais maudit était mort. Je ne puis me rappeler si c’était par le fer ou par le poison; seulement ce dont je suis sûr, c’est que j’ai rêvé qu’il était mort, et, vous le savez, mes rêves ne me trompent jamais. Assurez-vous donc de me voir revenir bientôt.»
«À merveille! s’écria Athos, vous êtes le roi des poètes; mon cher Aramis, vous parlez comme l’Apocalypse et vous êtes vrai comme l’évangile. Il ne vous reste maintenant que l’adresse à mettre sur cette lettre.
– C’est bien facile», dit Aramis.
Il plia coquettement la lettre, la reprit et écrivit:
«À Mademoiselle Marie Michon, lingère à Tours.
Les trois amis se regardèrent en riant: ils étaient pris.
«Maintenant, dit Aramis, vous comprenez, messieurs, que Bazin seul peut porter cette lettre à Tours; ma cousine ne connaît que Bazin et n’a confiance qu’en lui: tout autre ferait échouer l’affaire. D’ailleurs Bazin est ambitieux et savant; Bazin a lu l’histoire, messieurs, il sait que Sixte Quint est devenu pape après avoir gardé les pourceaux; eh bien, comme il compte se mettre d’église en même temps que moi, il ne désespère pas à son tour de devenir pape ou tout au moins cardinal: vous comprenez qu’un homme qui a de pareilles visées ne se laissera pas prendre, ou, s’il est pris, subira le martyre plutôt que de parler.
– Bien, bien, dit d’Artagnan, je vous passe de grand cœur Bazin; mais passez-moi Planchet: Milady l’a fait jeter à la porte, certain jour, avec force coups de bâton; or Planchet a bonne mémoire, et, je vous en réponds, s’il peut supposer une vengeance possible, il se fera plutôt échiner que d’y renoncer. Si vos affaires de Tours sont vos affaires, Aramis, celles de Londres sont les miennes. Je prie donc qu’on choisisse Planchet, lequel d’ailleurs a déjà été à Londres avec moi et sait dire très correctement: London, sir, if you please et my master lord d’Artagnan; avec cela soyez tranquilles, il fera son chemin en allant et en revenant.
– En ce cas, dit Athos, il faut que Planchet reçoive sept cents livres pour aller et sept cents livres pour revenir, et Bazin, trois cents livres pour aller et trois cents livres pour revenir; cela réduira la somme à cinq mille livres; nous prendrons mille livres chacun pour les employer comme bon nous semblera, et nous laisserons un fond de mille livres que gardera l’abbé pour les cas extraordinaires ou les besoins communs. Cela vous va-t-il?
– Mon cher Athos, dit Aramis, vous parlez comme Nestor, qui était, comme chacun sait, le plus sage des Grecs.
– Eh bien, c’est dit, reprit Athos, Planchet et Bazin partiront; à tout prendre, je ne suis pas fâché de conserver Grimaud: il est accoutumé à mes façons et j’y tiens; la journée d’hier a déjà dû l’ébranler, ce voyage le perdrait.»
On fit venir Planchet, et on lui donna des instructions; il avait été prévenu déjà par d’Artagnan, qui, du premier coup, lui avait annoncé la gloire, ensuite l’argent, puis le danger.
«Je porterai la lettre dans le parement de mon habit, dit Planchet, et je l’avalerai si l’on me prend.
– Mais alors tu ne pourras pas faire la commission, dit d’Artagnan.
– Vous m’en donnerez ce soir une copie que je saurai par cœur demain.»
D’Artagnan regarda ses amis comme pour leur dire:
«Eh bien, que vous avais-je promis?»
«Maintenant, continua-t-il en s’adressant à Planchet, tu as huit jours pour arriver près de Lord de Winter, tu as huit autres jours pour revenir ici, en tout seize jours; si le seizième jour de ton départ, à huit heures du soir, tu n’es pas arrivé, pas d’argent, fût-il huit heures cinq minutes.