Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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L’officier s’entretint quelques instants avec le patron, lui fit lire un papier dont il était porteur, et, sur l’ordre du capitaine marchand, tout l’équipage du bâtiment, matelots et passagers, fut appelé sur le pont.
Lorsque cette espèce d’appel fut fait, l’officier s’enquit tout haut du point de départ du brik, de sa route, de ses atterrissements, et à toutes les questions le capitaine satisfit sans hésitation et sans difficulté. Alors l’officier commença de passer la revue de toutes les personnes les unes après les autres, et, s’arrêtant à Milady, la considéra avec un grand soin, mais sans lui adresser une seule parole.
Puis il revint au capitaine, lui dit encore quelques mots; et, comme si c’eût été à lui désormais que le bâtiment dût obéir, il commanda une manœuvre que l’équipage exécuta aussitôt. Alors le bâtiment se remit en route, toujours escorté du petit cutter, qui voguait bord à bord avec lui, menaçant son flanc de la bouche de ses six canons tandis que la barque suivait dans le sillage du navire, faible point près de l’énorme masse.
Pendant l’examen que l’officier avait fait de Milady, Milady, comme on le pense bien, l’avait de son côté dévoré du regard. Mais, quelque habitude que cette femme aux yeux de flamme eût de lire dans le cœur de ceux dont elle avait besoin de deviner les secrets, elle trouva cette fois un visage d’une impassibilité telle qu’aucune découverte ne suivit son investigation. L’officier qui s’était arrêté devant elle et qui l’avait silencieusement étudiée avec tant de soin pouvait être âgé de vingt-cinq à vingt-six ans, était blanc de visage avec des yeux bleu clair un peu enfoncés; sa bouche, fine et bien dessinée, demeurait immobile dans ses lignes correctes; son menton, vigoureusement accusé, dénotait cette force de volonté qui, dans le type vulgaire britannique, n’est ordinairement que de l’entêtement; un front un peu fuyant, comme il convient aux poètes, aux enthousiastes et aux soldats, était à peine ombragé d’une chevelure courte et clairsemée, qui, comme la barbe qui couvrait le bas de son visage, était d’une belle couleur châtain foncé.
Lorsqu’on entra dans le port, il faisait déjà nuit. La brume épaississait encore l’obscurité et formait autour des fanaux et des lanternes des jetées un cercle pareil à celui qui entoure la lune quand le temps menace de devenir pluvieux. L’air qu’on respirait était triste, humide et froid.
Milady, cette femme si forte, se sentait frissonner malgré elle.
L’officier se fit indiquer les paquets de Milady, fit porter son bagage dans le canot; et lorsque cette opération fut faite, il l’invita à y descendre elle-même en lui tendant sa main.
Milady regarda cet homme et hésita.
«Qui êtes-vous, monsieur, demanda-t-elle, qui avez la bonté de vous occuper si particulièrement de moi?
– Vous devez le voir, madame, à mon uniforme; je suis officier de la marine anglaise, répondit le jeune homme.
– Mais enfin, est-ce l’habitude que les officiers de la marine anglaise se mettent aux ordres de leurs compatriotes lorsqu’ils abordent dans un port de la Grande-Bretagne, et poussent la galanterie jusqu’à les conduire à terre?
– Oui, Milady, c’est l’habitude, non point par galanterie, mais par prudence, qu’en temps de guerre les étrangers soient conduits à une hôtellerie désignée, afin que jusqu’à parfaite information sur eux ils restent sous la surveillance du gouvernement.»
Ces mots furent prononcés avec la politesse la plus exacte et le calme le plus parfait. Cependant ils n’eurent point le don de convaincre Milady.
«Mais je ne suis pas étrangère, monsieur, dit-elle avec l’accent le plus pur qui ait jamais retenti de Portsmouth à Manchester, je me nomme Lady Clarick, et cette mesure…
– Cette mesure est générale, Milady, et vous tenteriez inutilement de vous y soustraire.
– Je vous suivrai donc, monsieur.»
Et acceptant la main de l’officier, elle commença de descendre l’échelle au bas de laquelle l’attendait le canot. L’officier la suivit; un grand manteau était étendu à la poupe, l’officier la fit asseoir sur le manteau et s’assit près d’elle.
«Nagez», dit-il aux matelots.
Les huit rames retombèrent dans la mer, ne formant qu’un seul bruit, ne frappant qu’un seul coup, et le canot sembla voler sur la surface de l’eau.
Au bout de cinq minutes on touchait à terre.
L’officier sauta sur le quai et offrit la main à Milady.
Une voiture attendait.
«Cette voiture est-elle pour nous? demanda Milady.
– Oui, madame, répondit l’officier.
– L’hôtellerie est donc bien loin?
– À l’autre bout de la ville.
– Allons», dit Milady.
Et elle monta résolument dans la voiture.
L’officier veilla à ce que les paquets fussent soigneusement attachés derrière la caisse, et cette opération terminée, prit sa place près de Milady et referma la portière.
Aussitôt, sans qu’aucun ordre fût donné et sans qu’on eût besoin de lui indiquer sa destination, le cocher partit au galop et s’enfonça dans les rues de la ville.
Une réception si étrange devait être pour Milady une ample matière à réflexion; aussi, voyant que le jeune officier ne paraissait nullement disposé à lier conversation, elle s’accouda dans un angle de la voiture et passa les unes après les autres en revue toutes les suppositions qui se présentaient à son esprit.
Cependant, au bout d’un quart d’heure, étonnée de la longueur du chemin, elle se pencha vers la portière pour voir où on la conduisait. On n’apercevait plus de maisons; des arbres apparaissaient dans les ténèbres comme de grands fantômes noirs courant les uns après les autres.
Milady frissonna.
«Mais nous ne sommes plus dans la ville, monsieur», dit-elle.
Le jeune officier garda le silence.
«Je n’irai pas plus loin, si vous ne me dites pas où vous me conduisez; je vous en préviens, monsieur!»
Cette menace n’obtint aucune réponse.
«Oh! c’est trop fort! s’écria Milady, au secours! au secours!»
Pas une voix ne répondit à la sienne, la voiture continua de rouler avec rapidité; l’officier semblait une statue.
Milady regarda l’officier avec une de ces expressions terribles, particulières à son visage et qui manquaient si rarement leur effet; la colère faisait étinceler ses yeux dans l’ombre.
Le jeune homme resta impassible.
Milady voulut ouvrir la portière et se précipiter.
«Prenez garde, madame, dit froidement le jeune homme, vous vous tuerez en sautant.»
Milady se rassit écumante; l’officier se pencha, la regarda à son tour et parut surpris de voir cette figure, si belle naguère, bouleversée par la rage et devenue presque hideuse. L’astucieuse créature comprit qu’elle se perdait en laissant voir ainsi dans son âme; elle rasséréna ses traits, et d’une voix gémissante:
«Au nom du Ciel, monsieur! dites-moi si c’est à vous, si c’est à votre gouvernement, si c’est à un ennemi que je dois attribuer la violence que l’on me fait?
– On ne vous fait aucune violence, madame, et ce qui vous arrive est le résultat d’une mesure toute simple que nous sommes forcés de prendre avec tous ceux qui débarquent en Angleterre.
– Alors vous ne me connaissez pas, monsieur?
– C’est la première fois que j’ai l’honneur de vous voir.
– Et, sur votre honneur, vous n’avez aucun sujet de haine contre moi?
– Aucun, je vous le jure.»
II y avait tant de sérénité, de sang-froid, de douceur même dans la voix du jeune homme, que Milady fut rassurée.
Enfin, après une heure de marche à peu près, la voiture s’arrêta devant une grille de fer qui fermait un chemin creux conduisant à un château sévère de forme, massif et isolé. Alors, comme les roues tournaient sur un sable fin, Milady entendit un vaste mugissement, qu’elle reconnut pour le bruit de la mer qui vient se briser sur une côte escarpée.
La voiture passa sous deux voûtes, et enfin s’arrêta dans une cour sombre et carrée; presque aussitôt la portière de la voiture s’ouvrit, le jeune homme sauta légèrement à terre et présenta sa main à Milady, qui s’appuya dessus, et descendit à son tour avec assez de calme.
