Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Athos prit la bourse, et la jeta dans la main du cocher:
«Pour vous et vos camarades.»
Cette grandeur de manières dans un homme entièrement dénué frappa Porthos lui-même, et cette générosité française, redite par Lord de Winter et son ami, eut partout un grand succès, excepté auprès de MM. Grimaud, Mousqueton, Planchet et Bazin.
Lord de Winter, en quittant d’Artagnan, lui donna l’adresse de sa sœur; elle demeurait place Royale, qui était alors le quartier à la mode, au n° 6. D’ailleurs, il s’engageait à le venir prendre pour le présenter. D’Artagnan lui donna rendez-vous à huit heures, chez Athos.
Cette présentation à Milady occupait fort la tête de notre Gascon. Il se rappelait de quelle façon étrange cette femme avait été mêlée jusque-là dans sa destinée. Selon sa conviction, c’était quelque créature du cardinal, et cependant il se sentait invinciblement entraîné vers elle, par un de ces sentiments dont on ne se rend pas compte. Sa seule crainte était que Milady ne reconnût en lui l’homme de Meung et de Douvres. Alors, elle saurait qu’il était des amis de M. de Tréville, et par conséquent qu’il appartenait corps et âme au roi, ce qui, dès lors, lui ferait perdre une partie de ses avantages, puisque, connu de Milady comme il la connaissait, il jouerait avec elle à jeu égal. Quant à ce commencement d’intrigue entre elle et le comte de Wardes, notre présomptueux ne s’en préoccupait que médiocrement, bien que le marquis fût jeune, beau, riche et fort avant dans la faveur du cardinal. Ce n’est pas pour rien que l’on a vingt ans, et surtout que l’on est né à Tarbes.
D’Artagnan commença par aller faire chez lui une toilette flamboyante; puis, il s’en revint chez Athos, et, selon son habitude, lui raconta tout. Athos écouta ses projets; puis il secoua la tête, et lui recommanda la prudence avec une sorte d’amertume.
«Quoi! lui dit-il, vous venez de perdre une femme que vous disiez bonne, charmante, parfaite, et voilà que vous courez déjà après une autre!»
D’Artagnan sentit la vérité de ce reproche.
«J’aimais Mme Bonacieux avec le cœur, tandis que j’aime Milady avec la tête, dit-il; en me faisant conduire chez elle, je cherche surtout à m’éclairer sur le rôle qu’elle joue à la cour.
– Le rôle qu’elle joue, pardieu! il n’est pas difficile à deviner d’après tout ce que vous m’avez dit. C’est quelque émissaire du cardinal: une femme qui vous attirera dans un piège, où vous laisserez votre tête tout bonnement.
– Diable! mon cher Athos, vous voyez les choses bien en noir, ce me semble.
– Mon cher, je me défie des femmes; que voulez-vous! je suis payé pour cela, et surtout des femmes blondes. Milady est blonde, m’avez-vous dit?
– Elle a les cheveux du plus beau blond qui se puisse voir.
– Ah! mon pauvre d’Artagnan, fit Athos.
– Écoutez, je veux m’éclairer; puis, quand je saurai ce que je désire savoir, je m’éloignerai.
– Éclairez-vous», dit flegmatiquement Athos.
Lord de Winter arriva à l’heure dite, mais Athos, prévenu à temps, passa dans la seconde pièce. Il trouva donc d’Artagnan seul, et, comme il était près de huit heures, il emmena le jeune homme.
Un élégant carrosse attendait en bas, et comme il était attelé de deux excellents chevaux, en un instant on fut place Royale.
Milady Clarick reçut gracieusement d’Artagnan. Son hôtel était d’une somptuosité remarquable; et, bien que la plupart des Anglais, chassés par la guerre, quittassent la France, ou fussent sur le point de la quitter, Milady venait de faire faire chez elle de nouvelles dépenses: ce qui prouvait que la mesure générale qui renvoyait les Anglais ne la regardait pas.
«Vous voyez, dit Lord de Winter en présentant d’Artagnan à sa sœur, un jeune gentilhomme qui a tenu ma vie entre ses mains, et qui n’a point voulu abuser de ses avantages, quoique nous fussions deux fois ennemis, puisque c’est moi qui l’ai insulté, et que je suis anglais. Remerciez-le donc, madame, si vous avez quelque amitié pour moi.»
Milady fronça légèrement le sourcil; un nuage à peine visible passa sur son front, et un sourire tellement étrange apparut sur ses lèvres, que le jeune homme, qui vit cette triple nuance, en eut comme un frisson.
Le frère ne vit rien; il s’était retourné pour jouer avec le singe favori de Milady, qui l’avait tiré par son pourpoint.
«Soyez le bienvenu, monsieur, dit Milady d’une voix dont la douceur singulière contrastait avec les symptômes de mauvaise humeur que venait de remarquer d’Artagnan, vous avez acquis aujourd’hui des droits éternels à ma reconnaissance.»
L’Anglais alors se retourna et raconta le combat sans omettre un détail. Milady l’écouta avec la plus grande attention; cependant on voyait facilement, quelque effort qu’elle fît pour cacher ses impressions, que ce récit ne lui était point agréable. Le sang lui montait à la tête, et son petit pied s’agitait impatiemment sous sa robe.
Lord de Winter ne s’aperçut de rien. Puis, lorsqu’il eut fini, il s’approcha d’une table où étaient servis sur un plateau une bouteille de vin d’Espagne et des verres. Il emplit deux verres et d’un signe invita d’Artagnan à boire.
D’Artagnan savait que c’était fort désobliger un Anglais que de refuser de toaster avec lui. Il s’approcha donc de la table, et prit le second verre. Cependant il n’avait point perdu de vue Milady, et dans la glace il s’aperçut du changement qui venait de s’opérer sur son visage. Maintenant qu’elle croyait n’être plus regardée, un sentiment qui ressemblait à de la férocité animait sa physionomie. Elle mordait son mouchoir à belles dents.
Cette jolie petite soubrette, que d’Artagnan avait déjà remarquée, entra alors; elle dit en anglais quelques mots à Lord de Winter, qui demanda aussitôt à d’Artagnan la permission de se retirer, s’excusant sur l’urgence de l’affaire qui l’appelait, et chargeant sa sœur d’obtenir son pardon.
D’Artagnan échangea une poignée de main avec Lord de Winter et revint près de Milady. Le visage de cette femme, avec une mobilité surprenante, avait repris son expression gracieuse, seulement quelques petites taches rouges disséminées sur son mouchoir indiquaient qu’elle s’était mordu les lèvres jusqu’au sang.
Ses lèvres étaient magnifiques, on eût dit du corail.
La conversation prit une tournure enjouée. Milady paraissait s’être entièrement remise. Elle raconta que Lord de Winter n’était que son beau-frère et non son frère: elle avait épousé un cadet de famille qui l’avait laissée veuve avec un enfant. Cet enfant était le seul héritier de Lord de Winter, si Lord de Winter ne se mariait point. Tout cela laissait voir à d’Artagnan un voile qui enveloppait quelque chose, mais il ne distinguait pas encore sous ce voile.
Au reste, au bout d’une demi-heure de conversation, d’Artagnan était convaincu que Milady était sa compatriote: elle parlait le français avec une pureté et une élégance qui ne laissaient aucun doute à cet égard.
D’Artagnan se répandit en propos galants et en protestations de dévouement. À toutes les fadaises qui échappèrent à notre Gascon, Milady sourit avec bienveillance. L’heure de se retirer arriva. D’Artagnan prit congé de Milady et sortit du salon le plus heureux des hommes.
Sur l’escalier il rencontra la jolie soubrette, laquelle le frôla doucement en passant, et, tout en rougissant jusqu’aux yeux, lui demanda pardon de l’avoir touché, d’une voix si douce, que le pardon lui fut accordé à l’instant même.
D’Artagnan revint le lendemain et fut reçu encore mieux que la veille. Lord de Winter n’y était point, et ce fut Milady qui lui fit cette fois tous les honneurs de la soirée. Elle parut prendre un grand intérêt à lui, lui demanda d’où il était, quels étaient ses amis, et s’il n’avait pas pensé quelquefois à s’attacher au service de M. le cardinal.
D’Artagnan, qui, comme on le sait, était fort prudent pour un garçon de vingt ans, se souvint alors de ses soupçons sur Milady; il lui fit un grand éloge de Son Éminence, lui dit qu’il n’eût point manqué d’entrer dans les gardes du cardinal au lieu d’entrer dans les gardes du roi, s’il eût connu par exemple M. de Cavois au lieu de connaître M. de Tréville.