Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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C’en fut trop pour la procureuse: elle ne douta plus que cette dame et Porthos fussent en galanterie. Si elle eût été une grande dame, elle se serait évanouie, mais comme elle n’était qu’une procureuse, elle se contenta de dire au mousquetaire avec une fureur concentrée:
«Eh! monsieur Porthos, vous ne m’en offrez pas à moi, d’eau bénite?»
Porthos fit, au son de cette voix, un soubresaut comme ferait un homme qui se réveillerait après un somme de cent ans.
«Ma… madame! s’écria-t-il, est-ce bien vous? Comment se porte votre mari, ce cher monsieur Coquenard? Est-il toujours aussi ladre qu’il était? Où avais-je donc les yeux, que je ne vous ai pas même aperçue pendant les deux heures qu’a duré ce sermon?
– J’étais à deux pas de vous, monsieur, répondit la procureuse; mais vous ne m’avez pas aperçue parce que vous n’aviez d’yeux que pour la belle dame à qui vous venez de donner de l’eau bénite.»
Porthos feignit d’être embarrassé.
«Ah! dit-il, vous avez remarqué…
– Il eût fallu être aveugle pour ne pas le voir.
– Oui, dit négligemment Porthos, c’est une duchesse de mes amies avec laquelle j’ai grand-peine à me rencontrer à cause de la jalousie de son mari, et qui m’avait fait prévenir qu’elle viendrait aujourd’hui, rien que pour me voir, dans cette chétive église, au fond de ce quartier perdu.
– Monsieur Porthos, dit la procureuse, auriez-vous la bonté de m’offrir le bras pendant cinq minutes, je causerais volontiers avec vous?
– Comment donc, madame», dit Porthos en se clignant de l’œil à lui-même comme un joueur qui rit de la dupe qu’il va faire.
Dans ce moment, d’Artagnan passait poursuivant Milady; il jeta un regard de côté sur Porthos, et vit ce coup d’œil triomphant.
«Eh! eh! se dit-il à lui même en raisonnant dans le sens de la morale étrangement facile de cette époque galante, en voici un qui pourrait bien être équipé pour le terme voulu.»
Porthos, cédant à la pression du bras de sa procureuse comme une barque cède au gouvernail, arriva au cloître Saint-Magloire, passage peu fréquenté, enfermé d’un tourniquet à ses deux bouts. On n’y voyait, le jour, que mendiants qui mangeaient ou enfants qui jouaient.
«Ah! monsieur Porthos! s’écria la procureuse, quand elle se fut assurée qu’aucune personne étrangère à la population habituelle de la localité ne pouvait les voir ni les entendre; ah! monsieur Porthos! vous êtes un grand vainqueur, à ce qu’il paraît!
– Moi, madame! dit Porthos en se rengorgeant, et pourquoi cela?
– Et les signes de tantôt, et l’eau bénite? Mais c’est une princesse pour le moins, que cette dame avec son négrillon et sa fille de chambre!
– Vous vous trompez; mon Dieu, non, répondit Porthos, c’est tout bonnement une duchesse.
– Et ce coureur qui attendait à la porte, et ce carrosse avec un cocher à grande livrée qui attendait sur son siège?»
Porthos n’avait vu ni le coureur, ni le carrosse; mais, de son regard de femme jalouse, Mme Coquenard avait tout vu.
Porthos regretta de n’avoir pas, du premier coup, fait la dame au coussin rouge princesse.
«Ah! vous êtes l’enfant chéri des belles, monsieur Porthos! reprit en soupirant la procureuse.
– Mais, répondit Porthos, vous comprenez qu’avec un physique comme celui dont la nature m’a doué, je ne manque pas de bonnes fortunes.
– Mon Dieu! comme les hommes oublient vite! s’écria la procureuse en levant les yeux au ciel.
– Moins vite encore que les femmes, ce me semble, répondit Porthos; car enfin, moi, madame, je puis dire que j’ai été votre victime, lorsque blessé, mourant, je me suis vu abandonné des chirurgiens; moi, le rejeton d’une famille illustre, qui m’étais fié à votre amitié, j’ai manqué mourir de mes blessures d’abord, et de faim ensuite dans une mauvaise auberge de Chantilly, et cela sans que vous ayez daigné répondre une seule fois aux lettres brûlantes que je vous ai écrites.
– Mais, monsieur Porthos…, murmura la procureuse, qui sentait qu’à en juger par la conduite des plus grandes dames de ce temps-là, elle était dans son tort.
– Moi qui avais sacrifié pour vous la comtesse de Penaflor…
– Je le sais bien.
– La baronne de…
– Monsieur Porthos, ne m’accablez pas.
– La duchesse de…
– Monsieur Porthos, soyez généreux!
– Vous avez raison, madame, et je n’achèverai pas.
– Mais c’est mon mari qui ne veut pas entendre parler de prêter.
– Madame Coquenard, dit Porthos, rappelez-vous la première lettre que vous m’avez écrite et que je conserve gravée dans ma mémoire.»
La procureuse poussa un gémissement.
«Mais c’est qu’aussi, dit-elle, la somme que vous demandiez à emprunter était un peu bien forte.
– Madame Coquenard, je vous donnais la préférence. Je n’ai eu qu’à écrire à la duchesse de… Je ne veux pas dire son nom, car je ne sais pas ce que c’est que de compromettre une femme; mais ce que je sais, c’est que je n’ai eu qu’à lui écrire pour qu’elle m’en envoyât quinze cents.»
La procureuse versa une larme.
«Monsieur Porthos, dit-elle, je vous jure que vous m’avez grandement punie, et que si dans l’avenir vous vous retrouviez en pareille passe, vous n’auriez qu’à vous adresser à moi.
– Fi donc, madame! dit Porthos comme révolté, ne parlons pas argent, s’il vous plaît, c’est humiliant.
– Ainsi, vous ne m’aimez plus!» dit lentement et tristement la procureuse.
Porthos garda un majestueux silence.
«C’est ainsi que vous me répondez? Hélas! je comprends.
– Songez à l’offense que vous m’avez faite, madame: elle est restée là, dit Porthos, en posant la main à son cœur et en l’y appuyant avec force.
– Je la réparerai; voyons, mon cher Porthos!
– D’ailleurs, que vous demandais-je, moi? reprit Porthos avec un mouvement d’épaules plein de bonhomie; un prêt, pas autre chose. Après tout, je ne suis pas un homme déraisonnable. Je sais que vous n’êtes pas riche, madame Coquenard, et que votre mari est obligé de sangsurer les pauvres plaideurs pour en tirer quelques pauvres écus. Oh! si vous étiez comtesse, marquise ou duchesse, ce serait autre chose, et vous seriez impardonnable.»
La procureuse fut piquée.
«Apprenez, monsieur Porthos, dit-elle, que mon coffre-fort, tout coffre-fort de procureuse qu’il est, est peut-être mieux garni que celui de toutes vos mijaurées ruinées.
– Double offense que vous m’avez faite alors, dit Porthos en dégageant le bras de la procureuse de dessous le sien; car si vous êtes riche, madame Coquenard, alors votre refus n’a plus d’excuse.
– Quand je dis riche, reprit la procureuse, qui vit qu’elle s’était laissé entraîner trop loin, il ne faut pas prendre le mot au pied de la lettre. Je ne suis pas précisément riche, je suis à mon aise.
– Tenez, madame, dit Porthos, ne parlons plus de tout cela, je vous en prie. Vous m’avez méconnu; toute sympathie est éteinte entre nous.
– Ingrat que vous êtes!
– Ah! je vous conseille de vous plaindre! dit Porthos.
– Allez donc avec votre belle duchesse! je ne vous retiens plus.
– Eh! elle n’est déjà point si décharnée, que je crois!
– Voyons, monsieur Porthos, encore une fois, c’est la dernière: m’aimez-vous encore?
– Hélas! madame, dit Porthos du ton le plus mélancolique qu’il put prendre, quand nous allons entrer en campagne, dans une campagne où mes pressentiments me disent que je serai tué…
– Oh! ne dites pas de pareilles choses! s’écria la procureuse en éclatant en sanglots.
– Quelque chose me le dit, continua Porthos en mélancolisant de plus en plus.
– Dites plutôt que vous avez un nouvel amour.
– Non pas, je vous parle franc. Nul objet nouveau ne me touche, et même je sens là, au fond de mon cœur, quelque chose qui parle pour vous. Mais, dans quinze jours, comme vous le savez ou comme vous ne le savez pas, cette fatale campagne s’ouvre; je vais être affreusement préoccupé de mon équipement. Puis je vais faire un voyage dans ma famille, au fond de la Bretagne, pour réaliser la somme nécessaire à mon départ.»