Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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«Utraque manus in benedicendo clericis inferioribus necessaria est.»
D’Artagnan, dont nous connaissons l’érudition, ne sourcilla pas plus à cette citation qu’à celle que lui avait faite M. de Tréville à propos des présents qu’il prétendait que d’Artagnan avait reçus de M. de Buckingham.
«Ce qui veut dire, reprit Aramis pour lui donner toute facilité: les deux mains sont indispensables aux prêtres des ordres inférieurs, quand ils donnent la bénédiction.
– Admirable sujet! s’écria le jésuite.
– Admirable et dogmatique!» répéta le curé qui, de la force de d’Artagnan à peu près sur le latin, surveillait soigneusement le jésuite pour emboîter le pas avec lui et répéter ses paroles comme un écho.
Quant à d’Artagnan, il demeura parfaitement indifférent à l’enthousiasme des deux hommes noirs.
«Oui, admirable! prorsus admirabile! continua Aramis, mais qui exige une étude approfondie des Pères et des Écritures. Or j’ai avoué à ces savants ecclésiastiques, et cela en toute humilité, que les veilles des corps de garde et le service du roi m’avaient fait un peu négliger l’étude. Je me trouverai donc plus à mon aise, facilius natans, dans un sujet de mon choix, qui serait à ces rudes questions théologiques ce que la morale est à la métaphysique en philosophie.»
D’Artagnan s’ennuyait profondément, le curé aussi.
«Voyez quel exorde! s’écria le jésuite.
– Exordium, répéta le curé pour dire quelque chose.
– Quemadmodum minter cœlorum immensitatem.»
Aramis jeta un coup d’œil de côté sur d’Artagnan, et il vit que son ami bâillait à se démonter la mâchoire.
«Parlons français, mon père, dit-il au jésuite, M. d’Artagnan goûtera plus vivement nos paroles.
– Oui, je suis fatigué de la route, dit d’Artagnan, et tout ce latin m’échappe.
– D’accord, dit le jésuite un peu dépité, tandis que le curé, transporté d’aise, tournait sur d’Artagnan un regard plein de reconnaissance; eh bien, voyez le parti qu’on tirerait de cette glose.
– Moïse, serviteur de Dieu… il n’est que serviteur, entendez-vous bien! Moïse bénit avec les mains; il se fait tenir les deux bras, tandis que les Hébreux battent leurs ennemis; donc il bénit avec les deux mains. D’ailleurs, que dit l’Évangile: imponite manus, et non pas manum. Imposez les mains, et non pas la main.
– Imposez les mains, répéta le curé en faisant un geste. - À saint Pierre, au contraire, de qui les papes sont successeurs, continua le jésuite: Ponite digitos. Présentez les doigts; y êtes-vous maintenant?
– Certes, répondit Aramis en se délectant, mais la chose est subtile.
– Les doigts! reprit le jésuite; saint Pierre bénit avec les doigts. Le pape bénit donc aussi avec les doigts. Et avec combien de doigts bénit-il? Avec trois doigts, un pour le Père, un pour le Fils, et un pour le Saint-Esprit.»
Tout le monde se signa; d’Artagnan crut devoir imiter cet exemple.
«Le pape est successeur de saint Pierre et représente les trois pouvoirs divins; le reste, ordines inferiores de la hiérarchie ecclésiastique, bénit par le nom des saints archanges et des anges. Les plus humbles clercs, tels que nos diacres et sacristains, bénissent avec les goupillons, qui simulent un nombre indéfini de doigts bénissants. Voilà le sujet simplifié, argumentum omni denudatum ornamento. Je ferais avec cela, continua le jésuite, deux volumes de la taille de celui-ci.»
Et, dans son enthousiasme, il frappait sur le saint Chrysostome in-folio qui faisait plier la table sous son poids.
D’Artagnan frémit.
«Certes, dit Aramis, je rends justice aux beautés de cette thèse, mais en même temps je la reconnais écrasante pour moi. J’avais choisi ce texte; dites-moi, cher d’Artagnan, s’il n’est point de votre goût: Non inutile est desiderium in oblatione, ou mieux encore: un peu de regret ne messied pas dans une offrande au Seigneur.
– Halte-là! s’écria le jésuite, car cette thèse frise l’hérésie; il y a une proposition presque semblable dans l’Augustinus de l’hérésiarque Jansénius, dont tôt ou tard le livre sera brûlé par les mains du bourreau. Prenez garde! mon jeune ami; vous penchez vers les fausses doctrines, mon jeune ami; vous vous perdrez!
– Vous vous perdrez, dit le curé en secouant douloureusement la tête.
– Vous touchez à ce fameux point du libre arbitre, qui est un écueil mortel. Vous abordez de front les insinuations des pélagiens et des demi-pélagiens.
– Mais, mon révérend…, reprit Aramis quelque peu abasourdi de la grêle d’arguments qui lui tombait sur la tête.
– Comment prouverez-vous, continua le jésuite sans lui donner le temps de parler, que l’on doit regretter le monde lorsqu’on s’offre à Dieu? écoutez ce dilemme: Dieu est Dieu, et le monde est le diable. Regretter le monde, c’est regretter le diable: voilà ma conclusion.
– C’est la mienne aussi, dit le curé.
– Mais de grâce!… dit Aramis.
– Desideras diabolum, infortuné! s’écria le jésuite.
– Il regrette le diable! Ah! mon jeune ami, reprit le curé en gémissant, ne regrettez pas le diable, c’est moi qui vous en supplie.»
D’Artagnan tournait à l’idiotisme; il lui semblait être dans une maison de fous, et qu’il allait devenir fou comme ceux qu’il voyait. Seulement il était forcé de se taire, ne comprenant point la langue qui se parlait devant lui.
«Mais écoutez-moi donc, reprit Aramis avec une politesse sous laquelle commençait à percer un peu d’impatience, je ne dis pas que je regrette; non, je ne prononcerai jamais cette phrase qui ne serait pas orthodoxe…»
Le jésuite leva les bras au ciel, et le curé en fit autant.
«Non, mais convenez au moins qu’on a mauvaise grâce de n’offrir au Seigneur que ce dont on est parfaitement dégoûté. Ai-je raison, d’Artagnan?
– Je le crois pardieu bien!» s’écria celui-ci.
Le curé et le jésuite firent un bond sur leur chaise.
«Voici mon point de départ, c’est un syllogisme: le monde ne manque pas d’attraits, je quitte le monde, donc je fais un sacrifice; or l’Écriture dit positivement: Faites un sacrifice au Seigneur.
– Cela est vrai, dirent les antagonistes.
– Et puis, continua Aramis en se pinçant l’oreille pour la rendre rouge, comme il se secouait les mains pour les rendre blanches, et puis j’ai fait certain rondeau là-dessus que je communiquai à M. Voiture l’an passé, et duquel ce grand homme m’a fait mille compliments.
– Un rondeau! fit dédaigneusement le jésuite.
– Un rondeau! dit machinalement le curé.
– Dites, dites, s’écria d’Artagnan, cela nous changera quelque peu.
– Non, car il est religieux, répondit Aramis, et c’est de la théologie en vers.
– Diable! fit d’Artagnan.
– Le voici, dit Aramis d’un petit air modeste qui n’était pas exempt d’une certaine teinte d’hypocrisie:
Vous qui pleurez un passé plein de charmes,
Et qui traînez des jours infortunés,
Tous vos malheurs se verront terminés,
Quand à Dieu seul vous offrirez vos larmes,
Vous qui pleurez.
D’Artagnan et le curé parurent flattés. Le jésuite persista dans son opinion.
«Gardez-vous du goût profane dans le style théologique. Que dit en effet saint Augustin? Severus sit clericorum sermo.
– Oui, que le sermon soit clair! dit le curé.
– Or, se hâta d’interrompre le jésuite en voyant que son acolyte se fourvoyait, or votre thèse plaira aux dames, voilà tout; elle aura le succès d’une plaidoirie de maître Patru.
– Plaise à Dieu! s’écria Aramis transporté.
– Vous le voyez, s’écria le jésuite, le monde parle encore en vous à haute voix, altissima voce. Vous suivez le monde, mon jeune ami, et je tremble que la grâce ne soit point efficace.
– Rassurez-vous, mon révérend, je réponds de moi.
– Présomption mondaine!
– Je me connais, mon père, ma résolution est irrévocable.
