Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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«Ma bonne dame, lui demanda d’Artagnan, pourriez-vous me dire ce qu’est devenu un de mes amis, que nous avons été forcés de laisser ici il y a une douzaine de jours?
– Un beau jeune homme de vingt-trois à vingt-quatre ans, doux, aimable, bien fait?
– De plus, blessé à l’épaule.
– C’est cela!
– Justement.
– Eh bien, monsieur, il est toujours ici.
– Ah! pardieu, ma chère dame, dit d’Artagnan en mettant pied à terre et en jetant la bride de son cheval au bras de Planchet, vous me rendez la vie; où est-il, ce cher Aramis, que je l’embrasse? car, je l’avoue, j’ai hâte de le revoir.
– Pardon, monsieur, mais je doute qu’il puisse vous recevoir en ce moment.
– Pourquoi cela? est-ce qu’il est avec une femme?
– Jésus! que dites-vous là! le pauvre garçon! Non, monsieur, il n’est pas avec une femme.
– Et avec qui est-il donc?
– Avec le curé de Montdidier et le supérieur des jésuites d’Amiens.
– Mon Dieu! s’écria d’Artagnan, le pauvre garçon irait-il plus mal?
– Non, monsieur, au contraire; mais, à la suite de sa maladie, la grâce l’a touché et il s’est décidé à entrer dans les ordres.
– C’est juste, dit d’Artagnan, j’avais oublié qu’il n’était mousquetaire que par intérim.
– Monsieur insiste-t-il toujours pour le voir?
– Plus que jamais.
– Eh bien, monsieur n’a qu’à prendre l’escalier à droite dans la cour, au second, n° 5.»
D’Artagnan s’élança dans la direction indiquée et trouva un de ces escaliers extérieurs comme nous en voyons encore aujourd’hui dans les cours des anciennes auberges. Mais on n’arrivait pas ainsi chez le futur abbé; les défilés de la chambre d’Aramis étaient gardés ni plus ni moins que les jardins d’Aramis; Bazin stationnait dans le corridor et lui barra le passage avec d’autant plus d’intrépidité qu’après bien des années d’épreuve, Bazin se voyait enfin près d’arriver au résultat qu’il avait éternellement ambitionné.
En effet, le rêve du pauvre Bazin avait toujours été de servir un homme d’Église, et il attendait avec impatience le moment sans cesse entrevu dans l’avenir où Aramis jetterait enfin la casaque aux orties pour prendre la soutane. La promesse renouvelée chaque jour par le jeune homme que le moment ne pouvait tarder l’avait seule retenu au service d’un mousquetaire, service dans lequel, disait-il, il ne pouvait manquer de perdre son âme.
Bazin était donc au comble de la joie. Selon toute probabilité, cette fois son maître ne se dédirait pas. La réunion de la douleur physique à la douleur morale avait produit l’effet si longtemps désiré: Aramis, souffrant à la fois du corps et de l’âme, avait enfin arrêté sur la religion ses yeux et sa pensée, et il avait regardé comme un avertissement du Ciel le double accident qui lui était arrivé, c’est-à-dire la disparition subite de sa maîtresse et sa blessure à l’épaule.
On comprend que rien ne pouvait, dans la disposition où il se trouvait, être plus désagréable à Bazin que l’arrivée de d’Artagnan, laquelle pouvait rejeter son maître dans le tourbillon des idées mondaines qui l’avaient si longtemps entraîné. Il résolut donc de défendre bravement la porte; et comme, trahi par la maîtresse de l’auberge, il ne pouvait dire qu’Aramis était absent, il essaya de prouver au nouvel arrivant que ce serait le comble de l’indiscrétion que de déranger son maître dans la pieuse conférence qu’il avait entamée depuis le matin, et qui, au dire de Bazin, ne pouvait être terminée avant le soir.
Mais d’Artagnan ne tint aucun compte de l’éloquent discours de maître Bazin, et comme il ne se souciait pas d’entamer une polémique avec le valet de son ami, il l’écarta tout simplement d’une main, et de l’autre il tourna le bouton de la porte n° 5.
La porte s’ouvrit, et d’Artagnan pénétra dans la chambre.
Aramis, en surtout noir, le chef accommodé d’une espèce de coiffure ronde et plate qui ne ressemblait pas mal à une calotte, était assis devant une table oblongue couverte de rouleaux de papier et d’énormes in-folio; à sa droite était assis le supérieur des jésuites, et à sa gauche le curé de Montdidier. Les rideaux étaient à demi clos et ne laissaient pénétrer qu’un jour mystérieux, ménagé pour une béate rêverie. Tous les objets mondains qui peuvent frapper l’œil quand on entre dans la chambre d’un jeune homme, et surtout lorsque ce jeune homme est mousquetaire, avaient disparu comme par enchantement; et, de peur sans doute que leur vue ne ramenât son maître aux idées de ce monde, Bazin avait fait main basse sur l’épée, les pistolets, le chapeau à plume, les broderies et les dentelles de tout genre et de toute espèce.
Mais, en leur lieu et place, d’Artagnan crut apercevoir dans un coin obscur comme une forme de discipline suspendue par un clou à la muraille.
Au bruit que fit d’Artagnan en ouvrant la porte, Aramis leva la tête et reconnut son ami. Mais, au grand étonnement du jeune homme, sa vue ne parut pas produire une grande impression sur le mousquetaire, tant son esprit était détaché des choses de la terre.
«Bonjour, cher d’Artagnan, dit Aramis; croyez que je suis heureux de vous voir.
– Et moi aussi, dit d’Artagnan, quoique je ne sois pas encore bien sûr que ce soit à Aramis que je parle.
– À lui-même, mon ami, à lui-même; mais qui a pu vous faire douter?
– J’avais peur de me tromper de chambre, et j’ai cru d’abord entrer dans l’appartement de quelque homme Église; puis une autre erreur m’a pris en vous trouvant en compagnie de ces messieurs: c’est que vous ne fussiez gravement malade.»
Les deux hommes noirs lancèrent sur d’Artagnan, dont ils comprirent l’intention, un regard presque menaçant; mais d’Artagnan ne s’en inquiéta pas.
«Je vous trouble peut-être, mon cher Aramis, continua d’Artagnan; car, d’après ce que je vois, je suis porté à croire que vous vous confessez à ces messieurs.»
Aramis rougit imperceptiblement.
«Vous, me troubler? oh! bien au contraire, cher ami, je vous le jure; et comme preuve de ce que je dis, permettez-moi de me réjouir en vous voyant sain et sauf.
– Ah! il y vient enfin! pensa d’Artagnan, ce n’est pas malheureux.
– Car, monsieur, qui est mon ami, vient d’échapper à un rude danger, continua Aramis avec onction, en montrant de la main d’Artagnan aux deux ecclésiastiques.
– Louez Dieu, monsieur, répondirent ceux-ci en s’inclinant à l’unisson.
– Je n’y ai pas manqué, mes révérends, répondit le jeune homme en leur rendant leur salut à son tour.
– Vous arrivez à propos, cher d’Artagnan, dit Aramis, et vous allez, en prenant part à la discussion, l’éclairer de vos lumières. M. le principal d’Amiens, M. le curé de Montdidier et moi, nous argumentons sur certaines questions théologiques dont l’intérêt nous captive depuis longtemps; je serais charmé d’avoir votre avis.
– L’avis d’un homme d’épée est bien dénué de poids, répondit d’Artagnan, qui commençait à s’inquiéter de la tournure que prenaient les choses, et vous pouvez vous en tenir, croyez-moi, à la science de ces messieurs.»
Les deux hommes noirs saluèrent à leur tour.
«Au contraire, reprit Aramis, et votre avis nous sera précieux; voici de quoi il s’agit: M. le principal croit que ma thèse doit être surtout dogmatique et didactique.
– Votre thèse! vous faites donc une thèse?
– Sans doute, répondit le jésuite; pour l’examen qui précède l’ordination, une thèse est de rigueur.
– L’ordination! s’écria d’Artagnan, qui ne pouvait croire à ce que lui avaient dit successivement l’hôtesse et Bazin,… l’ordination!»
Et il promenait ses yeux stupéfaits sur les trois personnages qu’il avait devant lui.
«Or», continua Aramis en prenant sur son fauteuil la même pose gracieuse que s’il eût été dans une ruelle et en examinant avec complaisance sa main blanche et potelée comme une main de femme, qu’il tenait en l’air pour en faire descendre le sang: «or, comme vous l’avez entendu, d’Artagnan, M. le principal voudrait que ma thèse fût dogmatique, tandis que je voudrais, moi, qu’elle fût idéale. C’est donc pourquoi M. le principal me proposait ce sujet qui n’a point encore été traité, dans lequel je reconnais qu’il y a matière à de magnifiques développements.