Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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D’Artagnan savait que, quoique Gascon, M. de Tréville n’avait pas l’habitude de promettre, et que lorsque par hasard il promettait, il tenait plus qu’il n’avait promis. Il le salua donc, plein de reconnaissance pour le passé et pour l’avenir, et le digne capitaine, qui de son côté éprouvait un vif intérêt pour ce jeune homme si brave et si résolu, lui serra affectueusement la main en lui souhaitant un bon voyage.
Décidé à mettre les conseils de M. de Tréville en pratique à l’instant même, d’Artagnan s’achemina vers la rue des Fossoyeurs, afin de veiller à la confection de son portemanteau. En s’approchant de sa maison, il reconnut M. Bonacieux en costume du matin, debout sur le seuil de sa porte. Tout ce que lui avait dit, la veille, le prudent Planchet sur le caractère sinistre de son hôte revint alors à l’esprit de d’Artagnan, qui le regarda plus attentivement qu’il n’avait fait encore. En effet, outre cette pâleur jaunâtre et maladive qui indique l’infiltration de la bile dans le sang et qui pouvait d’ailleurs n’être qu’accidentelle, d’Artagnan remarqua quelque chose de sournoisement perfide dans l’habitude des rides de sa face. Un fripon ne rit pas de la même façon qu’un honnête homme, un hypocrite ne pleure pas les mêmes larmes qu’un homme de bonne foi. Toute fausseté est un masque, et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu d’attention, à le distinguer du visage.
Il sembla donc à d’Artagnan que M. Bonacieux portait un masque, et même que ce masque était des plus désagréables à voir.
En conséquence il allait, vaincu par sa répugnance pour cet homme, passer devant lui sans lui parler, quand, ainsi que la veille, M. Bonacieux l’interpella.
«Eh bien, jeune homme, lui dit-il, il paraît que nous faisons de grasses nuits? Sept heures du matin, peste! Il me semble que vous retournez tant soit peu les habitudes reçues, et que vous rentrez à l’heure où les autres sortent.
– On ne vous fera pas le même reproche, maître Bonacieux, dit le jeune homme, et vous êtes le modèle des gens rangés. Il est vrai que lorsque l’on possède une jeune et jolie femme, on n’a pas besoin de courir après le bonheur: c’est le bonheur qui vient vous trouver; n’est-ce pas, monsieur Bonacieux?»
Bonacieux devint pâle comme la mort et grimaça un sourire.
«Ah! ah! dit Bonacieux, vous êtes un plaisant compagnon. Mais où diable avez-vous été courir cette nuit, mon jeune maître? Il paraît qu’il ne faisait pas bon dans les chemins de traverse.»
D’Artagnan baissa les yeux vers ses bottes toutes couvertes de boue; mais dans ce mouvement ses regards se portèrent en même temps sur les souliers et les bas du mercier; on eût dit qu’on les avait trempés dans le même bourbier; les uns et les autres étaient maculés de taches absolument pareilles.
Alors une idée subite traversa l’esprit de d’Artagnan. Ce petit homme gros, court, grisonnant, cette espèce de laquais vêtu d’un habit sombre, traité sans considération par les gens d’épée qui composaient l’escorte, c’était Bonacieux lui-même. Le mari avait présidé à l’enlèvement de sa femme.
Il prit à d’Artagnan une terrible envie de sauter à la gorge du mercier et de l’étrangler; mais, nous l’avons dit, c’était un garçon fort prudent, et il se contint. Cependant la révolution qui s’était faite sur son visage était si visible, que Bonacieux en fut effrayé et essaya de reculer d’un pas; mais justement il se trouvait devant le battant de la porte, qui était fermée, et l’obstacle qu’il rencontra le força de se tenir à la même place.
«Ah çà! mais vous qui plaisantez, mon brave homme, dit d’Artagnan, il me semble que si mes bottes ont besoin d’un coup d’éponge, vos bas et vos souliers réclament aussi un coup de brosse. Est-ce que de votre côté vous auriez couru la prétantaine, maître Bonacieux? Ah! diable, ceci ne serait point pardonnable à un homme de votre âge et qui, de plus, a une jeune et jolie femme comme la vôtre.
– Oh! mon Dieu, non, dit Bonacieux; mais hier j’ai été à Saint-Mandé pour prendre des renseignements sur une servante dont je ne puis absolument me passer, et comme les chemins étaient mauvais, j’en ai rapporté toute cette fange, que je n’ai pas encore eu le temps de faire disparaître.»
Le lieu que désignait Bonacieux comme celui qui avait été le but de sa course fut une nouvelle preuve à l’appui des soupçons qu’avait conçus d’Artagnan. Bonacieux avait dit Saint-Mandé, parce que Saint-Mandé est le point absolument opposé à Saint-Cloud.
Cette probabilité lui fut une première consolation. Si Bonacieux savait où était sa femme, on pourrait toujours, en employant des moyens extrêmes, forcer le mercier à desserrer les dents et à laisser échapper son secret. Il s’agissait seulement de changer cette probabilité en certitude.
«Pardon, mon cher monsieur Bonacieux, si j’en use avec vous sans façon, dit d’Artagnan; mais rien n’altère comme de ne pas dormir, j’ai donc une soif d’enragé; permettez-moi de prendre un verre d’eau chez vous; vous le savez, cela ne se refuse pas entre voisins.»
Et sans attendre la permission de son hôte, d’Artagnan entra vivement dans la maison, et jeta un coup d’œil rapide sur le lit. Le lit n’était pas défait. Bonacieux ne s’était pas couché. Il rentrait donc seulement il y avait une heure ou deux; il avait accompagné sa femme jusqu’à l’endroit où on l’avait conduite, ou tout au moins jusqu’au premier relais.
«Merci, maître Bonacieux, dit d’Artagnan en vidant son verre, voilà tout ce que je voulais de vous. Maintenant je rentre chez moi, je vais faire brosser mes bottes par Planchet, et quand il aura fini, je vous l’enverrai si vous voulez pour brosser vos souliers.»
Et il quitta le mercier tout ébahi de ce singulier adieu et se demandant s’il ne s’était pas enferré lui-même.
Sur le haut de l’escalier il trouva Planchet tout effaré.
«Ah! monsieur, s’écria Planchet dès qu’il eut aperçu son maître, en voilà bien d’une autre, et il me tardait bien que vous rentrassiez.
– Qu’y a-t-il donc? demanda d’Artagnan.
– Oh! je vous le donne en cent, monsieur, je vous le donne en mille de deviner la visite que j’ai reçue pour vous en votre absence.
– Quand cela?
– Il y a une demi-heure, tandis que vous étiez chez M. de Tréville.
– Et qui donc est venu? Voyons, parle.
– M. de Cavois.
– M. de Cavois?
– En personne.
– Le capitaine des gardes de Son Éminence?
– Lui-même.
– Il venait m’arrêter?
– Je m’en suis douté, monsieur, et cela malgré son air patelin.
– Il avait l’air patelin, dis-tu?
– C’est-à-dire qu’il était tout miel, monsieur.
– Vraiment?
– Il venait, disait-il, de la part de Son Éminence, qui vous voulait beaucoup de bien, vous prier de le suivre au Palais-Royal.
– Et tu lui as répondu?
– Que la chose était impossible, attendu que vous étiez hors de la maison, comme il le pouvait voir.
– Alors qu’a-t-il dit?
– Que vous ne manquiez pas de passer chez lui dans la journée; puis il a ajouté tout bas: «Dis à ton maître que Son Éminence est parfaitement disposée pour lui, et que sa fortune dépend peut-être de cette entrevue.»
– Le piège est assez maladroit pour le cardinal, reprit en souriant le jeune homme.
– Aussi, je l’ai vu, le piège, et j’ai répondu que vous seriez désespéré à votre retour.
– Où est-il allé? a demandé M. de Cavois. À Troyes en Champagne, ai-je répondu. Et quand est-il parti?
– Hier soir.»
– Planchet, mon ami, interrompit d’Artagnan, tu es véritablement un homme précieux.
– Vous comprenez, monsieur, j’ai pensé qu’il serait toujours temps, si vous désirez voir M. de Cavois, de me démentir en disant que vous n’étiez point parti; ce serait moi, dans ce cas, qui aurais fait le mensonge, et comme je ne suis pas gentilhomme, moi, je puis mentir.
– Rassure-toi, Planchet, tu conserveras ta réputation d’homme véridique: dans un quart d’heure nous partons.