Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Il s’approcha de la fenêtre, se plaça dans un rayon de lumière, tira sa lettre de sa poche et la relut; il ne s’était point trompé: le rendez-vous était bien pour dix heures.
Il alla reprendre son poste, commençant à être assez inquiet de ce silence et de cette solitude.
Onze heures sonnèrent.
D’Artagnan commença à craindre véritablement qu’il ne fût arrivé quelque chose à Mme Bonacieux.
Il frappa trois coups dans ses mains, signal ordinaire des amoureux; mais personne ne lui répondit: pas même l’écho.
Alors il pensa avec un certain dépit que peut-être la jeune femme s’était endormie en l’attendant.
Il s’approcha du mur et essaya d’y monter; mais le mur était nouvellement crépi, et d’Artagnan se retourna inutilement les ongles.
En ce moment il avisa les arbres, dont la lumière continuait d’argenter les feuilles, et comme l’un d’eux faisait saillie sur le chemin, il pensa que du milieu de ses branches son regard pourrait pénétrer dans le pavillon.
L’arbre était facile. D’ailleurs d’Artagnan avait vingt ans à peine, et par conséquent se souvenait de son métier d’écolier. En un instant il fut au milieu des branches, et par les vitres transparentes ses yeux plongèrent dans l’intérieur du pavillon.
Chose étrange et qui fit frissonner d’Artagnan de la plante des pieds à la racine des cheveux, cette douce lumière, cette calme lampe éclairait une scène de désordre épouvantable; une des vitres de la fenêtre était cassée, la porte de la chambre avait été enfoncée et, à demi brisée pendait à ses gonds; une table qui avait dû être couverte d’un élégant souper gisait à terre; les flacons en éclats, les fruits écrasés jonchaient le parquet; tout témoignait dans cette chambre d’une lutte violente et désespérée; d’Artagnan crut même reconnaître au milieu de ce pêle-mêle étrange des lambeaux de vêtements et quelques taches sanglantes maculant la nappe et les rideaux.
Il se hâta de redescendre dans la rue avec un horrible battement de cœur, il voulait voir s’il ne trouverait pas d’autres traces de violence.
La petite lueur suave brillait toujours dans le calme de la nuit. D’Artagnan s’aperçut alors, chose qu’il n’avait pas remarquée d’abord, car rien ne le poussait à cet examen, que le sol, battu ici, troué là, présentait des traces confuses de pas d’hommes, et de pieds de chevaux. En outre, les roues d’une voiture, qui paraissait venir de Paris, avaient creusé dans la terre molle une profonde empreinte qui ne dépassait pas la hauteur du pavillon et qui retournait vers Paris.
Enfin d’Artagnan, en poursuivant ses recherches, trouva près du mur un gant de femme déchiré. Cependant ce gant, par tous les points où il n’avait pas touché la terre boueuse, était d’une fraîcheur irréprochable. C’était un de ces gants parfumés comme les amants aiment à les arracher d’une jolie main.
À mesure que d’Artagnan poursuivait ses investigations, une sueur plus abondante et plus glacée perlait sur son front, son cœur était serré par une horrible angoisse, sa respiration était haletante; et cependant il se disait, pour se rassurer, que ce pavillon n’avait peut-être rien de commun avec Mme Bonacieux; que la jeune femme lui avait donné rendez-vous devant ce pavillon, et non dans ce pavillon; qu’elle avait pu être retenue à Paris par son service, par la jalousie de son mari peut-être.
Mais tous ces raisonnements étaient battus en brèche, détruits, renversés par ce sentiment de douleur intime, qui dans certaines occasions, s’empare de tout notre être et nous crie, par tout ce qui est destiné chez nous à entendre, qu’un grand malheur plane sur nous.
Alors d’Artagnan devint presque insensé: il courut sur la grande route, prit le même chemin qu’il avait déjà fait, s’avança jusqu’au bac, et interrogea le passeur.
Vers les sept heures du soir, le passeur avait fait traverser la rivière à une femme enveloppée d’une mante noire, qui paraissait avoir le plus grand intérêt à ne pas être reconnue; mais, justement à cause des précautions qu’elle prenait, le passeur avait prêté une attention plus grande, et il avait reconnu que la femme était jeune et jolie.
Il y avait alors, comme aujourd’hui, une foule de jeunes et jolies femmes qui venaient à Saint-Cloud et qui avaient intérêt à ne pas être vues, et cependant d’Artagnan ne douta point un instant que ce ne fût Mme Bonacieux qu’avait remarquée le passeur.
D’Artagnan profita de la lampe qui brillait dans la cabane du passeur pour relire encore une fois le billet de Mme Bonacieux et s’assurer qu’il ne s’était pas trompé, que le rendez-vous était bien à Saint-Cloud et non ailleurs, devant le pavillon de M. d’Estrées et non dans une autre rue.
Tout concourait à prouver à d’Artagnan que ses pressentiments ne le trompaient point et qu’un grand malheur était arrivé.
Il reprit le chemin du château tout courant; il lui semblait qu’en son absence quelque chose de nouveau s’était peut-être passé au pavillon et que des renseignements l’attendaient là.
La ruelle était toujours déserte, et la même lueur calme et douce s’épanchait de la fenêtre.
D’Artagnan songea alors à cette masure muette et aveugle mais qui sans doute avait vu et qui peut-être pouvait parler.
La porte de clôture était fermée, mais il sauta par-dessus la haie, et malgré les aboiements du chien à la chaîne, il s’approcha de la cabane.
Aux premiers coups qu’il frappa, rien ne répondit.
Un silence de mort régnait dans la cabane comme dans le pavillon; cependant, comme cette cabane était sa dernière ressource, il s’obstina.
Bientôt il lui sembla entendre un léger bruit intérieur, bruit craintif, et qui semblait trembler lui-même d’être entendu.
Alors d’Artagnan cessa de frapper et pria, avec un accent si plein d’inquiétude et de promesses, d’effroi et de cajolerie, que sa voix était de nature à rassurer de plus peureux. Enfin un vieux volet vermoulu s’ouvrit, ou plutôt s’entrebâilla, et se referma dès que la lueur d’une misérable lampe qui brûlait dans un coin eut éclairé le baudrier, la poignée de l’épée et le pommeau des pistolets de d’Artagnan. Cependant, si rapide qu’eût été le mouvement, d’Artagnan avait eu le temps d’entrevoir une tête de vieillard.
«Au nom du Ciel! dit-il, écoutez-moi: j’attendais quelqu’un qui ne vient pas, je meurs d’inquiétude. Serait-il arrivé quelque malheur aux environs? Parlez.»
La fenêtre se rouvrit lentement, et la même figure apparut de nouveau: seulement elle était plus pâle encore que la première fois.
D’Artagnan raconta naïvement son histoire, aux noms près; il dit comment il avait rendez-vous avec une jeune femme devant ce pavillon, et comment, ne la voyant pas venir, il était monté sur le tilleul et, à la lueur de la lampe, il avait vu le désordre de la chambre.
Le vieillard l’écouta attentivement, tout en faisant signe que c’était bien cela: puis, lorsque d’Artagnan eut fini, il hocha la tête d’un air qui n’annonçait rien de bon.
«Que voulez-vous dire? s’écria d’Artagnan. Au nom du Ciel! voyons, expliquez-vous.
– Oh! monsieur, dit le vieillard, ne me demandez rien; car si je vous disais ce que j’ai vu, bien certainement il ne m’arriverait rien de bon.
– Vous avez donc vu quelque chose? reprit d’Artagnan. En ce cas, au nom du Ciel! continua-t-il en lui jetant une pistole, dites, dites ce que vous avez vu, et je vous donne ma foi de gentilhomme que pas une de vos paroles ne sortira de mon cœur.»
Le vieillard lut tant de franchise et de douleur sur le visage de d’Artagnan, qu’il lui fit signe d’écouter et qu’il lui dit à voix basse:
«Il était neuf heures à peu près, j’avais entendu quelque bruit dans la rue et je désirais savoir ce que ce pouvait être, lorsqu’en m’approchant de ma porte je m’aperçus qu’on cherchait à entrer. Comme je suis pauvre et que je n’ai pas peur qu’on me vole, j’allai ouvrir et je vis trois hommes à quelques pas de là. Dans l’ombre était un carrosse avec des chevaux attelés et des chevaux de main. Ces chevaux de main appartenaient évidemment aux trois hommes qui étaient vêtus en cavaliers.