Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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La veille ils s’étaient vus à peine chez le suisse Germain, où d’Artagnan l’avait fait demander. La hâte qu’avait la jeune femme de porter à la reine cette excellente nouvelle de l’heureux retour de son messager fit que les deux amants échangèrent à peine quelques paroles. D’Artagnan suivit donc Mme Bonacieux, mû par un double sentiment, l’amour et la curiosité. Pendant toute la route, et à mesure que les corridors devenaient plus déserts, d’Artagnan voulait arrêter la jeune femme, la saisir, la contempler, ne fût-ce qu’un instant; mais, vive comme un oiseau, elle glissait toujours entre ses mains, et lorsqu’il voulait parler, son doigt ramené sur sa bouche avec un petit geste impératif plein de charme lui rappelait qu’il était sous l’empire d’une puissance à laquelle il devait aveuglément obéir, et qui lui interdisait jusqu’à la plus légère plainte; enfin, après une minute ou deux de tours et de détours, Mme Bonacieux ouvrit une porte et introduisit le jeune homme dans un cabinet tout à fait obscur. Là elle lui fit un nouveau signe de mutisme, et ouvrant une seconde porte cachée par une tapisserie dont les ouvertures répandirent tout à coup une vive lumière, elle disparut.
D’Artagnan demeura un instant immobile et se demandant où il était, mais bientôt un rayon de lumière qui pénétrait par cette chambre, l’air chaud et parfumé qui arrivait jusqu’à lui, la conversation de deux ou trois femmes, au langage à la fois respectueux et élégant, le mot de Majesté plusieurs fois répété, lui indiquèrent clairement qu’il était dans un cabinet attenant à la chambre de la reine.
Le jeune homme se tint dans l’ombre et attendit.
La reine paraissait gaie et heureuse, ce qui semblait fort étonner les personnes qui l’entouraient, et qui avaient au contraire l’habitude de la voir presque toujours soucieuse. La reine rejetait ce sentiment joyeux sur la beauté de la fête, sur le plaisir que lui avait fait éprouver le ballet, et comme il n’est pas permis de contredire une reine, qu’elle sourie ou qu’elle pleure, chacun renchérissait sur la galanterie de MM. les échevins de la ville de Paris.
Quoique d’Artagnan ne connût point la reine, il distingua sa voix des autres voix, d’abord à un léger accent étranger, puis à ce sentiment de domination naturellement empreint dans toutes les paroles souveraines. Il l’entendait s’approcher et s’éloigner de cette porte ouverte, et deux ou trois fois il vit même l’ombre d’un corps intercepter la lumière.
Enfin, tout à coup une main et un bras adorables de forme et de blancheur passèrent à travers la tapisserie; d’Artagnan comprit que c’était sa récompense: il se jeta à genoux, saisit cette main et appuya respectueusement ses lèvres; puis cette main se retira laissant dans les siennes un objet qu’il reconnut pour être une bague; aussitôt la porte se referma, et d’Artagnan se retrouva dans la plus complète obscurité.
D’Artagnan mit la bague à son doigt et attendit de nouveau; il était évident que tout n’était pas fini encore.
Après la récompense de son dévouement venait la récompense de son amour. D’ailleurs, le ballet était dansé, mais la soirée était à peine commencée: on soupait à trois heures, et l’horloge Saint-Jean, depuis quelque temps déjà, avait sonné deux heures trois quarts.
En effet, peu à peu le bruit des voix diminua dans la chambre voisine; puis on l’entendit s’éloigner; puis la porte du cabinet où était d’Artagnan se rouvrit, et Mme Bonacieux s’y élança.
«Vous, enfin! s’écria d’Artagnan.
– Silence! dit la jeune femme en appuyant sa main sur les lèvres du jeune homme: silence! et allez-vous-en par où vous êtes venu.
– Mais où et quand vous reverrai-je? s’écria d’Artagnan.
– Un billet que vous trouverez en rentrant vous le dira. Partez, partez!»
Et à ces mots elle ouvrit la porte du corridor et poussa d’Artagnan hors du cabinet.
D’Artagnan obéit comme un enfant, sans résistance et sans objection aucune, ce qui prouve qu’il était bien réellement amoureux.
CHAPITRE XXIII
D’Artagnan revint chez lui tout courant, et quoiqu’il fût plus de trois heures du matin, et qu’il eût les plus méchants quartiers de Paris à traverser, il ne fit aucune mauvaise rencontre. On sait qu’il y a un dieu pour les ivrognes et les amoureux.
Il trouva la porte de son allée entrouverte, monta son escalier, et frappa doucement et d’une façon convenue entre lui et son laquais. Planchet, qu’il avait renvoyé deux heures auparavant de l’Hôtel de Ville en lui recommandant de l’attendre, vint lui ouvrir la porte.
«Quelqu’un a-t-il apporté une lettre pour moi? demanda vivement d’Artagnan.
– Personne n’a apporté de lettre, monsieur, répondit Planchet; mais il y en a une qui est venue toute seule.
– Que veux-tu dire, imbécile?
– Je veux dire qu’en rentrant, quoique j’eusse la clef de votre appartement dans ma poche et que cette clef ne m’eût point quitté, j’ai trouvé une lettre sur le tapis vert de la table, dans votre chambre à coucher.
– Et où est cette lettre?
– Je l’ai laissée où elle était, monsieur. Il n’est pas naturel que les lettres entrent ainsi chez les gens. Si la fenêtre était ouverte encore, ou seulement entrebâillée je ne dis pas; mais non, tout était hermétiquement fermé. Monsieur, prenez garde, car il y a très certainement quelque magie là-dessous.»
Pendant ce temps, le jeune homme s’élançait dans la chambre et ouvrait la lettre; elle était de Mme Bonacieux, et conçue en ces termes:
«On a de vifs remerciements à vous faire et à vous transmettre. Trouvez-vous ce soir vers dix heures à Saint-Cloud, en face du pavillon qui s’élève à l’angle de la maison de M. d’Estrées.
«C. B.»
En lisant cette lettre, d’Artagnan sentait son cœur se dilater et s’étreindre de ce doux spasme qui torture et caresse le cœur des amants.
C’était le premier billet qu’il recevait, c’était le premier rendez-vous qui lui était accordé. Son cœur, gonflé par l’ivresse de la joie, se sentait prêt à défaillir sur le seuil de ce paradis terrestre qu’on appelait l’amour.
«Eh bien! monsieur, dit Planchet, qui avait vu son maître rougir et pâlir successivement; eh bien! n’est-ce pas que j’avais deviné juste et que c’est quelque méchante affaire?
– Tu te trompes, Planchet, répondit d’Artagnan, et la preuve, c’est que voici un écu pour que tu boives à ma santé.
– Je remercie monsieur de l’écu qu’il me donne, et je lui promets de suivre exactement ses instructions; mais il n’en est pas moins vrai que les lettres qui entrent ainsi dans les maisons fermées…
– Tombent du ciel, mon ami, tombent du ciel.
– Alors, monsieur est content? demanda Planchet.
– Mon cher Planchet, je suis le plus heureux des hommes!
– Et je puis profiter du bonheur de monsieur pour aller me coucher?
– Oui, va.
– Que toutes les bénédictions du Ciel tombent sur monsieur, mais il n’en est pas moins vrai que cette lettre…»
Et Planchet se retira en secouant la tête avec un air de doute que n’était point parvenu à effacer entièrement la libéralité de d’Artagnan.
Resté seul, d’Artagnan lut et relut son billet, puis il baisa et rebaisa vingt fois ces lignes tracées par la main de sa belle maîtresse. Enfin il se coucha, s’endormit et fit des rêves d’or.
À sept heures du matin, il se leva et appela Planchet, qui, au second appel, ouvrit la porte, le visage encore mal nettoyé des inquiétudes de la veille.
«Planchet, lui dit d’Artagnan, je sors pour toute la journée peut-être; tu es donc libre jusqu’à sept heures du soir; mais, à sept heures du soir, tiens-toi prêt avec deux chevaux.
– Allons! dit Planchet, il paraît que nous allons encore nous faire traverser la peau en plusieurs endroits.