Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– Que tel a été mon bon plaisir, et que je n’ai de compte à rendre à personne de ma volonté.
– Sera-ce la réponse qu’il devra transmettre à Sa Majesté, reprit en souriant le secrétaire, si par hasard Sa Majesté avait la curiosité de savoir pourquoi aucun vaisseau ne peut sortir des ports de la Grande-Bretagne?
– Vous avez raison, monsieur, répondit Buckingham; il dirait en ce cas au roi que j’ai décidé la guerre, et que cette mesure est mon premier acte d’hostilité contre la France.»
Le secrétaire s’inclina et sortit.
«Nous voilà tranquilles de ce côté, dit Buckingham en se retournant vers d’Artagnan. Si les ferrets ne sont point déjà partis pour la France, ils n’y arriveront qu’après vous.
– Comment cela?
– Je viens de mettre un embargo sur tous les bâtiments qui se trouvent à cette heure dans les ports de Sa Majesté, et, à moins de permission particulière, pas un seul n’osera lever l’ancre.»
D’Artagnan regarda avec stupéfaction cet homme qui mettait le pouvoir illimité dont il était revêtu par la confiance d’un roi au service de ses amours. Buckingham vit, à l’expression du visage du jeune homme, ce qui se passait dans sa pensée, et il sourit.
«Oui, dit-il, oui, c’est qu’Anne d’Autriche est ma véritable reine; sur un mot d’elle, je trahirais mon pays, je trahirais mon roi, je trahirais mon Dieu. Elle m’a demandé de ne point envoyer aux protestants de La Rochelle le secours que je leur avais promis, et je l’ai fait. Je manquais à ma parole, mais qu’importe! j’obéissais à son désir; n’ai-je point été grandement payé de mon obéissance, dites? car c’est à cette obéissance que je dois son portrait.»
D’Artagnan admira à quels fils fragiles et inconnus sont parfois suspendues les destinées d’un peuple et la vie des hommes.
Il en était au plus profond de ses réflexions, lorsque l’orfèvre entra: c’était un Irlandais des plus habiles dans son art, et qui avouait lui-même qu’il gagnait cent mille livres par an avec le duc de Buckingham.
«Monsieur O’Reilly, lui dit le duc en le conduisant dans la chapelle, voyez ces ferrets de diamants, et dites-moi ce qu’ils valent la pièce.»
L’orfèvre jeta un seul coup d’œil sur la façon élégante dont ils étaient montés, calcula l’un dans l’autre la valeur des diamants, et sans hésitation aucune:
«Quinze cents pistoles la pièce, Milord, répondit-il.
– Combien faudrait-il de jours pour faire deux ferrets comme ceux-là? Vous voyez qu’il en manque deux.
– Huit jours, Milord.
– Je les paierai trois mille pistoles la pièce, il me les faut après-demain.
– Milord les aura.
– Vous êtes un homme précieux, monsieur O’Reilly, mais ce n’est pas le tout: ces ferrets ne peuvent être confiés à personne, il faut qu’ils soient faits dans ce palais.
– Impossible, Milord, il n’y a que moi qui puisse les exécuter pour qu’on ne voie pas la différence entre les nouveaux et les anciens.
– Aussi, mon cher monsieur O’Reilly, vous êtes mon prisonnier, et vous voudriez sortir à cette heure de mon palais que vous ne le pourriez pas; prenez-en donc votre parti. Nommez-moi ceux de vos garçons dont vous aurez besoin, et désignez-moi les ustensiles qu’ils doivent apporter.»
L’orfèvre connaissait le duc, il savait que toute observation était inutile, il en prit donc à l’instant même son parti.
«Il me sera permis de prévenir ma femme? demanda-t-il.
– Oh! il vous sera même permis de la voir, mon cher monsieur O’Reilly: votre captivité sera douce, soyez tranquille; et comme tout dérangement vaut un dédommagement, voici, en dehors du prix des deux ferrets, un bon de mille pistoles pour vous faire oublier l’ennui que je vous cause.»
D’Artagnan ne revenait pas de la surprise que lui causait ce ministre, qui remuait à pleines mains les hommes et les millions.
Quant à l’orfèvre, il écrivit à sa femme en lui envoyant le bon de mille pistoles, et en la chargeant de lui retourner en échange son plus habile apprenti, un assortiment de diamants dont il lui donnait le poids et le titre, et une liste des outils qui lui étaient nécessaires.
Buckingham conduisit l’orfèvre dans la chambre qui lui était destinée, et qui, au bout d’une demi-heure, fut transformée en atelier. Puis il mit une sentinelle à chaque porte, avec défense de laisser entrer qui que ce fût, à l’exception de son valet de chambre Patrice. Il est inutile d’ajouter qu’il était absolument défendu à l’orfèvre O’Reilly et à son aide de sortir sous quelque prétexte que ce fût. Ce point réglé, le duc revint à d’Artagnan.
«Maintenant, mon jeune ami, dit-il, l’Angleterre est à nous deux; que voulez-vous, que désirez-vous?
– Un lit, répondit d’Artagnan; c’est, pour le moment, je l’avoue, la chose dont j’ai le plus besoin.»
Buckingham donna à d’Artagnan une chambre qui touchait à la sienne. Il voulait garder le jeune homme sous sa main, non pas qu’il se défiât de lui, mais pour avoir quelqu’un à qui parler constamment de la reine.
Une heure après fut promulguée dans Londres l’ordonnance de ne laisser sortir des ports aucun bâtiment chargé pour la France, pas même le paquebot des lettres. Aux yeux de tous, c’était une déclaration de guerre entre les deux royaumes.
Le surlendemain, à onze heures, les deux ferrets en diamants étaient achevés, mais si exactement imités, mais si parfaitement pareils, que Buckingham ne put reconnaître les nouveaux des anciens, et que les plus exercés en pareille matière y auraient été trompés comme lui.
Aussitôt il fit appeler d’Artagnan.
«Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants que vous êtes venu chercher, et soyez mon témoin que tout ce que la puissance humaine pouvait faire, je l’ai fait.
– Soyez tranquille, Milord: je dirai ce que j’ai vu; mais Votre Grâce me remet les ferrets sans la boîte?
– La boîte vous embarrasserait. D’ailleurs la boîte m’est d’autant plus précieuse, qu’elle me reste seule. Vous direz que je la garde.
– Je ferai votre commission mot à mot, Milord.
– Et maintenant, reprit Buckingham en regardant fixement le jeune homme, comment m’acquitterai-je jamais envers vous?»
D’Artagnan rougit jusqu’au blanc des yeux. Il vit que le duc cherchait un moyen de lui faire accepter quelque chose, et cette idée que le sang de ses compagnons et le sien lui allait être payé par de l’or anglais lui répugnait étrangement.
«Entendons-nous, Milord, répondit d’Artagnan, et pesons bien les faits d’avance, afin qu’il n’y ait point de méprise. Je suis au service du roi et de la reine de France, et fais partie de la compagnie des gardes de M. des Essarts, lequel, ainsi que son beau-frère M. de Tréville, est tout particulièrement attaché à Leurs Majestés. J’ai donc tout fait pour la reine et rien pour Votre Grâce. Il y a plus, c’est que peut-être n’eussé-je rien fait de tout cela, s’il ne se fût agi d’être agréable à quelqu’un qui est ma dame à moi, comme la reine est la vôtre.
– Oui, dit le duc en souriant, et je crois même connaître cette autre personne, c’est…
– Milord, je ne l’ai point nommée, interrompit vivement le jeune homme.
– C’est juste, dit le duc; c’est donc à cette personne que je dois être reconnaissant de votre dévouement.
– Vous l’avez dit, Milord, car justement à cette heure qu’il est question de guerre, je vous avoue que je ne vois dans votre Grâce qu’un Anglais, et par conséquent qu’un ennemi que je serais encore plus enchanté de rencontrer sur le champ de bataille que dans le parc de Windsor ou dans les corridors du Louvre; ce qui, au reste, ne m’empêchera pas d’exécuter de point en point ma mission et de me faire tuer, si besoin est, pour l’accomplir; mais, je le répète à Votre Grâce, sans qu’elle ait personnellement pour cela plus à me remercier de ce que je fais pour moi dans cette seconde entrevue, que de ce que j’ai déjà fait pour elle dans la première.
– Nous disons, nous: “Fier comme un Écossais”, murmura Buckingham.