Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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Nicolas Vsévolodovitch n’avait pas entendu cogner à la porte, l’apparition du visiteur le surprit avant qu’il eût pu répondre à la timide question de sa mère. Devant lui se trouvait une lettre qu’il venait de lire et qui l’avait rendu songeur. La voix de Pierre Stépanovitch le fit tressaillir, et il se hâta de fourrer la lettre sous un presse-papier, mais il ne réussit pas à la cacher entièrement: un des coins et presque toute l’enveloppe restaient à découvert.
– J’ai crié exprès le plus haut possible, pour vous donner le temps de prendre vos précautions, fit tout bas Pierre Stépanovitch.
Son premier mouvement avait été de courir vers la table, et il avait tout de suite aperçu le presse papier et le bout de lettre.
– Et sans doute vous avez déjà remarqué qu’à votre arrivée j’ai caché sous un presse-papier une lettre que je venais de recevoir, dit tranquillement Nicolas Vsévolodovitch, sans bouger de sa place.
– Une lettre? Grand bien vous fasse, que m’importe, à moi? s’écria le visiteur, mais… le principal, ajouta-t-il en sourdine, tandis qu’il se tournait du côté de la porte et faisait un signe de tête dans cette direction.
– Elle n’écoute jamais à la porte, observa froidement Nicolas Vsévolodovitch.
– C’est pour le cas où elle écouterait! reprit Pierre Stépanovitch en élevant gaiement la voix, et il s’assit sur un fauteuil. – Je ne blâme pas cela, seulement je suis venu pour causer avec vous en tête à tête… Allons, enfin j’ai pu arriver jusqu’à vous! Avant tout, comment va votre santé? Je vois que vous allez bien, et que demain peut-être vous sortirez, hein?
– Peut-être.
– Faites enfin cesser ma corvée! s’écria-t-il avec une gesticulation bouffonne. – Si vous saviez ce que j’ai dû leur débiter de sottises! Mais, du reste, vous le savez.
Il se mit à rire.
– Je ne sais pas tout. Ma mère m’a seulement dit que vous vous étiez beaucoup… remué.
– C'est-à-dire que je n’ai rien précisé, se hâta de répondre Pierre Stépanovitch, comme s’il eût eu à se défendre contre une terrible accusation, – vous savez, j’ai mis en avant la femme de Chatoff, ou, du moins, les bruits concernant vos relations avec elle à Paris, cela expliquait sans doute l’incident de dimanche… Vous n’êtes pas fâché?
– Je suis sûr que vous avez fait tous vos efforts.
– Allons, voilà ce que je craignais. Qu’est-ce que cela signifie: «vous avez fait tous vos efforts»? C’est un reproche. Du reste, vous y allez carrément. Ma grande crainte en venant ici était que vous ne pussiez vous résoudre à poser franchement la question.
– Je ne mérite pas l’éloge que vous m’adressez, dit Nicolas Vsévolodovitch avec une certaine irritation, mais aussitôt après il sourit.
– Je ne parle pas de cela, je ne parle pas de cela, comprenez-moi bien, il n’en est pas question, reprit en agitant les bras Pierre Stépanovitch qui s’amusait du mécontentement de son interlocuteur. – Je ne vous ennuierai pas avec notre affaire, surtout dans votre situation présente. Ma visite se rapporte uniquement à l’histoire de dimanche, et encore je ne veux vous en parler que dans la mesure la plus strictement indispensable. Il faut que nous ayons ensemble l’explication la plus franche, c’est surtout moi qui en ai besoin et non vous, – ceci soit dit pour rassurer votre amour-propre, et d’ailleurs c’est la vérité. Je suis venu pour être désormais franc.
– Alors vous ne l’étiez pas auparavant?
– Vous le savez vous-même. J’ai rusé plus d’une fois… Vous avez souri, je suis enchanté de ce sourire qui me fournit l’occasion de vous donner un éclaircissement: c’est exprès que je me suis vanté de ma «ruse», je voulais vous mettre en colère. Vous voyez comme je suis devenu sincère à présent! Eh bien, vous plaît-il de m’entendre?
Bien que, par l’effronterie de ses naïvetés préparées d’avance et intentionnellement grossières, le visiteur eût évidemment pris à tâche d’irriter Nicolas Vsévolodovitch, celui-ci l’avait jusqu’alors écouté avec un flegme dédaigneux et même moqueur; à la fin pourtant une curiosité un peu inquiète se manifesta sur son visage.
– Écoutez donc, poursuivit Pierre Stépanovitch en s’agitant de plus en plus: – quand je me suis rendu ici, c'est-à-dire dans cette ville, il y a dix jours, mon intention, sans doute, était de jouer un rôle. Le mieux serait de n’en prendre aucun et d’être soi, n’est-ce pas? Être naturel, c’est le moyen de tromper tout le monde, parce que personne ne croit que vous l’êtes. J’avoue que je voulais d’abord me poser en imbécile, attendu que ce personnage est plus facile à jouer que le mien propre. Mais l’imbécillité est un extrême, et les extrêmes éveillent la curiosité; cette considération m’a décidé en fin de compte à rester moi. Or que suis-je? l’aurea mediocritas, un homme ni bête ni intelligent, passablement incapable, et tombé de la lune, comme disent ici les gens sages, n’est-il pas vrai?
– Peut-être bien, fit avec un léger sourire Nicolas Vsévolodovitch.
– Ah! vous l’admettez – enchanté! Je savais d’avance que c’était votre opinion… Ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas, je ne suis pas fâché, et si tout à l’heure je me suis défini de la sorte, ce n’était nullement pour provoquer de votre part une protestation flatteuse, pour vous faire dire: «Allons donc, vous n’êtes pas incapable, vous êtes intelligent…» Ah! vous souriez encore!… Je n’ai pas rencontré juste. Vous n’auriez pas dit: «vous êtes intelligent», allons, soit, je ne me formalise de rien. Passons, comme dit papa. Entre parenthèses, soyez indulgent pour ma prolixité. Je suis diffus, parce que je ne sais pas parler. Ceux qui savent bien parler sont laconiques. Cela prouve encore mon incapacité, pourquoi n’en pas profiter artificiellement? J’en profite. À la vérité, en venant ici, je pensais d’abord me taire, mais le silence est un grand talent, par conséquent il aurait été déplacé chez moi; de plus, on se défie d’un homme silencieux. J’ai donc jugé décidément que le mieux pour moi était de parler, mais de parler en incapable, c'est-à-dire de bavarder à jet continu, de démontrer et de toujours m’embrouiller à la fin dans mes propres démonstrations, bref de fatiguer la patience de mes auditeurs. Il résulte de là trois avantages: vous faites croire à votre bonhomie, vous assommez votre monde, et vous n’êtes pas compris! Qui donc, après cela, vous soupçonnera de desseins secrets? Si quelqu’un vous en attribuait, il se ferait conspuer. En outre, j’amuse quelque fois les gens, et c’est précieux. À présent ils me pardonnent tout, par cela seul que l’habile agitateur de là-bas s’est montré ici plus bête qu’eux-mêmes. N’est-ce pas vrai? Je vois à votre sourire que vous m’approuvez.
Nicolas Vsévolodovitch ne souriait pas du tout; loin de là, il écoutait d’un air maussade et légèrement impatienté.
– Hein? Quoi? Vous avez dit, je crois: «Cela m’est égal»? reprit Pierre Stépanovitch. (Nicolas Vsévolodovitch n’avait pas prononcé un mot.) – Sans doute, sans doute; ce que j’en dis, je vous l’assure n’est nullement pour vous compromettre dans mes agissements. Mais vous êtes aujourd’hui terriblement ombrageux, je venais chez vous pour causer gaiement, à cœur ouvert, et vous cherchez des arrière-pensées sous mes moindres paroles. Je vous jure qu’aujourd’hui je laisse de côté tout sujet délicat et que je souscris d’avance à toutes vos conditions!