Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Vous savez, répliqua-t-il d’une voix tremblante et saccadée, – vous savez, Nicolas Vsévolodovitch, nous laisserons de côté, une fois pour toutes, les personnalités, n’est-ce pas? Libre à vous, sans doute, de me mépriser tant qu’il vous plaira si vous trouvez ma conduite si ridicule, mais pour le moment vous pourriez bien, n’est-ce pas, m’épargner vos moqueries?
– Bien, je ne le ferai plus, dit Nicolas Vsévolodovitch.
Le visiteur sourit, frappa avec son chapeau sur son genou, et ses traits recouvrèrent leur sérénité.
– Ici plusieurs me considèrent même comme votre rival auprès d’Élisabeth Nikolaïevna, comment donc ne soignerais-je pas mon extérieur? fit-il en riant. – Qui pourtant vous a ainsi parlé de moi? Hum. Il est juste huit heures; allons, en route: j’avais promis à Barbara Pétrovna de passer chez elle, mais je lui ferai faux bond. Vous, couchez-vous, et demain vous serez plus dispos. Il pleut et il fait sombre, du reste j’ai pris une voiture parce qu’ici les rues ne sont pas sûres la nuit… Ah! à propos, dans la ville et aux environs rôde à présent un forçat évadé de Sibérie, un certain Fedka; figurez-vous que cet homme est un de mes anciens serfs; il y a quinze ans, papa l’a mis, moyennant finances, à la disposition du ministre de la guerre. C’est une personnalité très remarquable.
Nicolas Vsévolodovitch fixa soudain ses yeux sur Pierre Stépanovitch.
– Vous… lui avez parlé? demanda-t-il.
– Oui. Il ne se cache pas de moi. C’est une personnalité prête à tout; pour de l’argent, bien entendu. Du reste, il a aussi des principes, à sa façon, il est vrai. Ah! oui, dites donc, si vous avez parlé sérieusement tantôt, vous vous rappelez au sujet d’Élisabeth Nikolaïevna, je vous répète encore une fois que je suis moi aussi une personnalité prête à tout, dans tous les genres qu’il vous plaira, et entièrement à votre service… Eh bien, vous prenez votre canne? Ah! non, vous ne la prenez pas. Figurez-vous, il m’avait semblé que vous cherchiez une canne.
Nicolas Vsévolodovitch ne cherchait rien et ne disait mot, mais il s’était brusquement levé à demi, et son visage avait pris une expression étrange.
– Si, en ce qui concerne M. Gaganoff, vous avez aussi besoin de quelque chose, lâcha tout à coup Pierre Stépanovitch en montrant d’un signe de tête le presse-papier, – naturellement je puis tout arranger et je suis convaincu que vous ne me tromperez pas.
Il sortit sans laisser à Nicolas Vsévolodovitch le temps de lui répondre; mais avant de s’éloigner définitivement, il entrebâilla la porte et cria par l’ouverture:
– Je dis cela, parce que Chatoff, par exemple, n’avait pas non plus le droit de risquer sa vie le dimanche où il s’est porté à une voie de fait sur vous, n’est-il pas vrai? Je désirerais appeler votre attention là-dessus.
Il disparut sans attendre la réponse à ces paroles.
IV
Peut-être pensait-il que Nicolas Vsévolodovitch, laissé seul, allait frapper le mur à coups de poing, et sans doute il aurait été bien aise de s’en assurer si cela avait été possible; mais son attente aurait été trompée: Nicolas Vsévolodovitch conserva son calme. Pendant deux minutes il garda la position qu’il occupait tout à l’heure debout devant la table et parut très songeur; mais bientôt un vague et froid sourire se montra sur ses lèvres. Il reprit lentement son ancienne place sur le coin du divan et ferma les yeux comme par l’effet de la fatigue. Une partie de la lettre, incomplètement cachée sous le presse-papier, était toujours en évidence; il ne fit rien pour la dérober à la vue.
Le sommeil ne tarda pas à s’emparer de lui. Après le départ de Pierre Stépanovitch qui, contrairement à sa promesse, s’était retiré sans voir Barbara Pétrovna, celle-ci, fort tourmentée depuis quelques jours, ne put y tenir et prit sur elle de se rendre auprès de son fils, bien qu’elle ne fût pas autorisée à pénétrer en ce moment dans la chambre du jeune homme. «Ne me dira-t-il pas enfin quelque chose de définitif?» se demandait-elle. Comme tantôt, elle frappa doucement à la porte et, ne recevant pas de réponse, se hasarda à ouvrir. À la vue de Nicolas assis et absolument immobile, elle s’approcha avec précaution du divan. Son cœur battait très fort. C’était pour Barbara Pétrovna une chose surprenante que son fils eût pu s’endormir si vite et d’un sommeil si profond dans une position à demi verticale. Sa respiration était presque imperceptible; son visage était pâle et sévère, mais complètement inanimé; ses sourcils étaient quelque peu froncés; dans cet état il ressemblait tout à fait à une figure de cire. La générale, retenant son souffle, resta penchée au-dessus de lui pendant trois minutes; puis, saisie de peur, elle s’éloigna sur la pointe des pieds; avant de quitter la chambre, elle fit le signe de la croix sur le dormeur, et se retira sans avoir été remarquée, emportant de ce spectacle une nouvelle sensation d’angoisse.
Pendant longtemps, pendant plus d’une heure, Nicolas Vsévolodovitch demeura plongé dans ce lourd sommeil; pas un muscle de son visage ne remuait, pas le moindre trace d’activité motrice ne se manifestait dans toute sa personne, ses sourcils étaient toujours rapprochés, donnant ainsi à sa figure une expression de dureté. Si Barbara Pétrovna était restée encore trois minutes, il est probable qu’elle n’aurait pu supporter la terrifiante impression de cette immobilité léthargique et qu’elle aurait réveillé son fils. Tout à coup celui-ci ouvrit les yeux, mais durant dix minutes il ne fit aucun mouvement; il semblait considérer avec une curiosité obstinée un objet placé dans un coin de la chambre, quoiqu’il n’y eût là rien de nouveau, rien qui dût attirer particulièrement son attention.
À la fin retentit le timbre d’une horloge sonnant un coup. Nicolas Vsévolodovitch tourna la tête avec une certaine inquiétude pour regarder l’heure au cadran, mais presque aussitôt s’ouvrit la porte de derrière, qui donnait accès dans le corridor, et le valet de chambre Alexis Égorovitch se montra. Il tenait d’une main un paletot chaud, une écharpe et un chapeau, de l’autre une petite assiette d’argent sur laquelle se trouvait une lettre.
– Il est neuf heures et demie, dit-il à voix basse, et, après avoir déposé sur une chaise dans un coin les vêtements qu’il avait apportés, il présenta l’assiette à son maître. La lettre n’était pas cachetée et ne contenait que deux lignes écrites au crayon. Quand Nicolas Vsévolodovitch les eut lues, il prit aussi un crayon sur la table, écrivit deux mots au bas du billet et replaça celui-ci sur l’assiette.
– Tu remettras cela dès que je serai sorti, habille-moi, dit-il et il se leva.
Remarquant qu’il avait sur lui un léger veston de velours, il réfléchit un instant et se fit donner une redingote de drap, vêtement plus convenable pour les visites du soir. Lorsque sa toilette fut entièrement terminée, il ferma la porte par laquelle était entrée Barbara Pétrovna, prit la lettre cachetée sous le presse-papier, et, sans mot dire, passa dans le corridor en compagnie d’Alexis Égorovitch. Puis tous deux descendirent l’étroit escalier de derrière et débouchèrent dans le vestibule conduisant au jardin. Une petite lanterne et un grand parapluie avaient été déposés d’avance dans un coin de ce vestibule.