Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
– Avec cette pluie, la boue rend les rues impraticables, observa le domestique.
C’était une dernière et timide tentative qu’il faisait pour décider son barine à ne pas sortir. Mais, ouvrant le parapluie, Nicolas Vsévolodovitch pénétra silencieusement dans le vieux jardin alors humide et noir comme une cave. Le vent mugissait et secouait les cimes des arbres à demi dépouillés, les petits chemins sablés étaient fangeux et glissants. Alexis Égorovitch, en habit et sans chapeau, précédait son maître à la distance de trois pas pour l’éclairer avec la lanterne.
– Ne remarquera-t-on rien? demanda brusquement Nicolas Vsévolodovitch.
– Des fenêtres on ne verra rien, d’ailleurs toutes les précautions ont été prises d’avance, répondit d’un ton bas et mesuré le domestique.
– Ma mère est couchée?
– Elle s’est retirée dans sa chambre à neuf heures précises, selon son habitude depuis quelques jours, et il lui est impossible maintenant de rien savoir. À quelle heure faut-il vous attendre? se permit-il ensuite de demander.
– Je rentrerai à une heure ou une heure et demie, en tout cas avant deux heures.
– Bien.
S’engageant dans des sentiers sinueux, ils firent le tour du jardin que tous deux connaissaient très bien, et arrivèrent à l’angle du mur d’enceinte où se trouvait une petite porte donnant issue dans une étroite ruelle. Cette porte était presque toujours fermée, mais Alexis Égorovitch en avait maintenant la clef dans ses mains.
– Ne va-t-elle pas crier quand on l’ouvrira? observa Nicolas Vsévolodovitch.
Le valet de chambre répondit que, la veille encore, il y avait mis de l’huile «de même qu’aujourd’hui». Il était déjà tout trempé. Après avoir ouvert la porte, il tendit la clef à son maître.
– Si vous allez loin, je dois vous prévenir que je n’ai aucune confiance dans la populace d’ici; c’est dans les impasses en particulier que les mauvaises rencontres sont à craindre, surtout de l’autre côté de l’eau, ne put s’empêcher de faire remarquer Alexis Égorovitch.
C’était un vieux serviteur qui avait été jadis le diadka [9] de Nicolas Vsévolodovitch; homme sérieux et rigide, il aimait à entendre et à lire la parole de Dieu.
– Ne t’inquiète pas, Alexis Égorovitch.
– Dieu vous bénisse, monsieur, si toutefois vous ne projetez que de bonnes actions.
– Comment? fit en s’arrêtant Nicolas Vsévolodovitch qui était déjà sorti du jardin.
Alexis Égorovitch renouvela d’une voix ferme le souhait qu’il venait de formuler. Jamais auparavant il ne se serait permis de tenir un tel langage devant son maître.
Nicolas Vsévolodovitch ferma la porte, mit la clef dans sa poche et s’engagea dans le péréoulok, où, à chaque pas, il enfonçait dans la boue jusqu’au-dessus de la cheville. À la fin il arriva à une rue pavée, longue et déserte. Il connaissait la ville comme ses cinq doigts, mais la rue de l’Épiphanie était encore loin. Il était plus de dix heures quand il s’arrêta devant la porte fermée de la vieille et sombre maison Philippoff. Au rez-de-chaussée, où plus personne n’habitait depuis le départ des Lébiadkine, les fenêtres étaient condamnées, mais on apercevait de la lumière dans la mezzanine, chez Chatoff. Comme il n’y avait pas de sonnette, Nicolas Vsévolodovitch frappa à la porte. Une petite fenêtre s’ouvrit, et Chatoff se pencha à la croisée pour regarder dans la rue. L’obscurité était telle que, pendant une minute, il ne put rien distinguer.
– C’est vous? demanda-t-il tout à coup.
– Oui, répondit le visiteur.
Chatoff ferma la fenêtre et alla ouvrir la grand’porte. Nicolas Vsévolodovitch franchit le seuil, et, sans dire un mot, se dirigea vers le pavillon occupé par Kiriloff.
V
Là, tout était ouvert. L’obscurité régnait dans le vestibule et dans les deux premières pièces, mais la dernière, où Kiriloff buvait son thé, était éclairée, des rires et des cris étranges s’y faisaient entendre. Nicolas Vsévolodovitch alla du côté où il apercevait la lumière; toutefois, avant d’entrer, il s’arrêta sur le seuil. Le thé se trouvait sur la table. La parente du propriétaire était debout au milieu de la chambre. Tête nue, sans bas à ses pieds chaussés de savates, la vieille n’avait pour tout vêtement qu’un jupon et une sorte de mantelet en peau de lièvre. Elle tenait dans ses bras un enfant de dix-huit mois. Le baby, en chemise et les pieds nus, venait d’être retiré de son berceau. Il avait les joues très colorées, et ses petits cheveux blancs étaient ébouriffés. Sans doute il avait pleuré un peu auparavant, car on voyait encore des traces de larmes au-dessous de ses yeux, mais en ce moment il tendait ses petits bras, frappait ses mains l’une contre l’autre et riait avec des sanglots comme cela arrive aux enfants de cet âge. Devant lui Kiriloff jetait par terre une grosse balle élastique qui rebondissait jusqu’au plafond pour retomber ensuite sur le plancher, le baby criait: «Balle, balle!» Kiriloff rattrapait la balle et la lui donnait, alors l’enfant la lançait lui-même avec ses petites mains maladroites, et de nouveau Kiriloff courait la ramasser. À la fin, la balle alla rouler sous une armoire. «Balle, balle!» cria le moutard. Kiriloff se baissant jusqu’à terre étendit le bras sous l’armoire pour tâcher de trouver la balle. Nicolas Vsévolodovitch entra dans la chambre. À la vue du visiteur, l’enfant se mit à pousser des cris et se serra contre la vieille qui se hâta de l’emporter.
Kiriloff se releva, la balle en main.
– Stavroguine? dit-il sans paraître aucunement surpris de cette visite inattendue. – Voulez-vous du thé?
– Je ne refuse pas, s’il est chaud, répondit Nicolas Vsévolodovitch; – Je suis tout trempé.
– Il est chaud, bouillant même, reprit avec satisfaction Kiriloff, – asseyez-vous; vous êtes sale, cela ne fait rien; tout à l’heure je mouillerai un torchon et je laverai le parquet.
Nicolas Vsévolodovitch s’assit et vida presque d’un seul trait la tasse de thé que lui avait versée l’ingénieur.
– Encore? demanda celui-ci.
– Merci.
Kiriloff, qui jusqu’alors était resté debout, s’assit en face du visiteur.
– Qu’est-ce qui vous amène? voulut-il savoir.
– Je suis venu pour affaire. Tenez, lisez cette lettre que j’ai reçue de Gaganoff; vous vous rappelez, je vous ai parlé de lui à Pétersbourg.
Kiriloff prit la lettre, la lut, puis la posa sur la table et regarda son interlocuteur comme un homme qui attend une explication.
– Ainsi que vous le savez, commença Nicolas Vsévolodovitch, – j’ai rencontré il y a un mois à Pétersbourg ce Gaganoff que je n’avais jamais vu de ma vie. Trois fois le hasard nous a mis dans le monde en présence l’un de l’autre. Sans entrer en rapport avec moi, sans m’adresser la parole, il a trouvé moyen d’être très insolent. Je vous l’ai dit alors; mais voici ce que vous ignorez: à la veille de quitter Pétersbourg d’où il est parti avant moi, il m’a tout à coup écrit une lettre, moins grossière que celle-ci, mais cependant des plus inconvenantes, et ce qu’il y a d’étrange, c’est que, dans cette lettre, il ne m’expliquait nullement à quel propos il m’écrivait ainsi. Je lui ai sur le champ répondu, par écrit aussi, et avec la plus grande franchise: je lui déclarais que, sans doute, il m’en voulait de ma manière d’agir à l’égard de son père ici, au club, il y a quatre ans, et que, de mon côté, j’étais prêt à lui faire toutes les excuses possibles pour un acte non prémédité et commis dans un état de maladie. Je le priais de prendre mes excuses en considération. Il n’a pas répondu et est parti; mais voici que maintenant je le retrouve ici absolument enragé. On m’a rapporté certains propos tout à fait injurieux qu’il a publiquement tenus sur mon compte en les accompagnant d’accusations étonnantes. Enfin aujourd’hui arrive cette lettre. Assurément personne n’en a jamais reçu une pareille. Elle contient des grossièretés ignobles, il se sert d’expressions comme «votre tête à claques». Je suis venu dans l’espoir que vous ne refuserez pas d’être mon témoin.