Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Au contraire, au contraire, je vois que vous êtes à bout de patience, et sans doute vous avez vos raisons pour cela, répondit d’un ton irrité Barbara Pétrovna.
Elle avait écouté avec un malin plaisir Pierre Stépanovitch témoignant ses regrets d’avoir bavardé de la sorte. Évidemment il venait de jouer un rôle, – lequel? je l’ignorais encore, mais il était visible que sa prétendue «gaffe» avait été préméditée.
– Au contraire, continua Barbara Pétrovna, – je vous suis très reconnaissante d’avoir parlé; sans vous je ne saurais rien encore. Pour la première fois depuis vingt ans j’ouvre les yeux. Nicolas Vsévolodovitch, vous avez dit tout à l’heure que vous aviez été informé spécialement: Stépan Trophimovitch vous aurait-il écrit aussi quelque chose dans le même genre?
– J’ai reçu de lui une lettre très innocente et… et… très noble.
– Vous êtes embarrassé, vous cherchez vos mots, – assez! Stépan Trophimovitch, j’attends de vous un dernier service, ajouta-t-elle tout à coup en regardant mon malheureux ami avec des yeux enflammés de colère, – faites-moi le plaisir de nous quitter à l’instant même, et ne franchissez plus jamais le seuil de ma maison.
Je prie le lecteur de se rappeler que la générale Stavroguine se trouvait encore dans un état particulier d’ «exaltation». À la vérité, ce n’était pas la faute de Stépan Trophimovitch! Mais ce qui m’étonna au plus haut point, ce fut l’admirable fermeté de son attitude aussi bien devant les «accusations» de Pétroucha qu’il ne songea pas à interrompre, que devant la «malédiction» de Barbara Pétrovna. Où avait-il puisé tant de force d’âme? Je savais seulement que, tantôt, lors de sa première rencontre avec Pétroucha, il avait été atteint au plus profond de son être par la froideur insultante de son fils. De même qu’un vrai chagrin donne parfois de l’intelligence aux imbéciles, il peut aussi, – momentanément du moins, – faire un stoïque de l’homme le plus pusillanime.
Stépan Trophimovitch salua avec dignité Barbara Pétrovna et ne prononça pas un mot (il est vrai qu’il ne lui restait plus rien à dire). Il voulait se retirer sur le champ, mais malgré lui il s’approcha de Daria Pavlovna. C’était sans doute ce qu’avait prévu la jeune fille, qui, inquiète, se hâta de prendre la parole:
– Je vous en prie, Stépan Trophimovitch, pour l’amour de Dieu, ne dites rien, commença-t-elle d’une voix agitée tandis que sa physionomie trahissait une sensation de malaise. – Soyez sûr, poursuivit-elle en lui tendant la main, – que je vous apprécie toujours autant… que j’ai toujours pour vous la même estime… et pensez aussi du bien de moi, Stépan Trophimovitch, j’apprécierai extrêmement cela…
Il s’inclina fort bas devant elle.
– Tu es libre, Daria Pavlovna, tu sais que dans toute cette affaire une liberté complète t’a été laissée! Tu l’as eue, tu l’as et tu l’auras toujours, dit gravement Barbara Pétrovna.
– Bah! Mais maintenant je comprends tout! s’écria en se frappant le front Pierre Stépanovitch. – Eh bien, dans quelle situation ai-je été placé? Daria Pavlovna, je vous en prie, pardonnez-moi!… Voilà les sottises que tu me fais faire! ajouta-t-il en s’adressant à son père.
– Pierre, tu pourrais bien prendre un autre ton avec moi, n’est-ce pas, mon ami? observa avec la plus grande douceur Stépan Trophimovitch.
– Ne crie pas, je te prie, répliqua Pierre en agitant le bras, – sois bien persuadé que tout cela, c’est l’effet de nerfs vieux et malades, et qu’il ne sert à rien de crier. Réponds à ma question: tu devais bien supposer qu’à peine arrivé ici, je parlerais de cela: pourquoi donc ne m’as-tu pas prévenu?
Stépan Trophimovitch attacha sur son fils un regard pénétrant.
– Pierre, se peut-il que toi, si au courant de ce qui se passe ici, tu n’aies réellement rien su de cette affaire, rien entendu dire?
– Quo-o-i! Voilà les gens! Ainsi ce n’est pas assez pour nous d’être un vieil enfant, nous sommes, qui plus est, un enfant méchant? Barbara Pétrovna avez-vous entendu ce qu’il a dit?
Le salon se remplissait de bruit; mais alors se produisit soudain un incident auquel personne ne pouvait s’attendre.
VIII
Avant tout, je signalerai l’agitation nouvelle qui se manifestait chez Élisabeth Nikolaïevna depuis deux ou trois minutes; la jeune fille parlait rapidement à l’oreille de sa mère et de Maurice Nikolaïévitch penché vers elle. Son visage était inquiet, mais en même temps respirait l’énergie. À la fin elle se leva, visiblement pressée de partir et d’emmener sa mère; de son côté celle-ci se mit en devoir de quitter son fauteuil avec le secours de Maurice Nikolaïévitch. Mais il était écrit que les dames Drozdoff ne s’en iraient pas avant d’avoir tout vu.
Chatoff était toujours assis dans son coin (non loin d’Élisabeth Nikolaïevna); tout le monde avait complètement oublié sa présence, et lui-même ne paraissait pas savoir pourquoi il restait là au lieu de s’en aller; tout à coup il se leva, et, les yeux fixés sur le visage de Nicolas Vsévolodovitch, se dirigea vers ce dernier en traversant toute la chambre d’un pas lent, mais ferme. À son approche, Nicolas Vsévolodovitch sourit légèrement, mais, quand il le vit tout près de lui, il cessa de sourire.
Au moment où les deux hommes se trouvèrent vis-à-vis l’un de l’autre, le silence se fit dans le salon, celui qui se tut le dernier fut Pierre Stépanovitch; Lisa et sa mère s’arrêtèrent au milieu de la chambre. Ainsi s’écoulèrent cinq secondes; sans dire un mot, Chatoff regardait en face Nicolas Vsévolodovitch; celui-ci, dont la physionomie n’avait d’abord exprimé qu’une surprise insolente, fronça le sourcil avec colère, et soudain…
Soudain le bras long et lourd de Chatoff s’éleva en l’air, puis s’abattit de toute sa force sur la figure de Nicolas Vsévolodovitch, qui faillit être terrassé.
Au lieu de frapper avec le plat de la main comme il est reçu de donner des soufflets (si toutefois on peut s’exprimer ainsi), Chatoff avait frappé avec le poing, un gros poing pesant, osseux, couvert de poils roux et de lentilles. Si le coup avait atteint le nez, il l’aurait brisé. Mais il tomba sur la joue, frôlant le côté gauche de la lèvre et de la mâchoire supérieure, d’où le sang jaillit aussitôt.
Au même instant retentit, je crois, un cri, poussé peut-être par Barbara Pétrovna; du reste, je n’affirme rien, car immédiatement tout retomba dans le silence. Cette scène ne dura guère plus d’une dizaine de secondes.
Néanmoins pendant un si court laps de temps bien des choses se passèrent.
Je rappellerai de nouveau au lecteur que Nicolas Vsévolodovitch avait un tempérament inaccessible à la peur. Dans un duel il pouvait attendre de sang-froid le coup de feu de son adversaire, viser lui-même ce dernier, et le tuer le plus tranquillement du monde. Souffleté, il était homme, non pas à appeler son insulteur sur le terrain, mais à le tuer sur place, et cela sans emportement, avec la pleine conscience de son acte. Je crois même qu’il n’a jamais connu ces aveugles transports de fureur qui suppriment la faculté de raisonner. Au plus fort de la colère, il restait toujours maître de lui-même et pouvait, par conséquent, comprendre quelle différence existe au point de vue juridique entre le duel et l’assassinat; néanmoins il aurait sans aucune hésitation assassiné un insulteur.