Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Je prêche Dieu, Marie.
– Sans y croire vous-même. Je n’ai jamais pu comprendre cette idée.
– Pour le moment laissons cela, Marie.
– Qu’était-ce que cette Marie Timoféievna qu’on a tuée?
– Nous parlerons aussi de cela plus tard, Marie.
– Ne vous avisez pas de me faire de pareilles observations! Est-ce vrai qu’on peut attribuer sa mort à la scélératesse de… de ces gens-là?
– Certainement, répondit Chatoff avec un grincement de dents.
Marie leva brusquement la tête et cria d’une voix douloureuse:
– Ne me parlez plus de cela, ne m’en parlez jamais, jamais!
Et elle retomba sur le lit, en proie à de nouvelles convulsions. Durant ce troisième accès, la souffrance arracha à la malade non plus des gémissements, mais de véritables cris.
– Oh! homme insupportable! Oh! homme insupportable! répétait-elle en se tordant et en repoussant Chatoff, qui s’était penché sur elle.
– Marie, je ferai ce que tu m’as ordonné… je vais me promener, parler…
– Mais ne voyez-vous pas que ça a commencé?
– Qu’est-ce qui a commencé, Marie?
– Et qu’en sais-je? Est-ce que j’y connais quelque chose?… Oh! maudite! Oh! que tout soit maudit d’avance!
– Marie, si tu disais ce qui commence, alors je… mais, sans cela, comment veux-tu que je comprenne?
– Vous êtes un homme abstrait, un bavard inutile. Oh! malédiction sur tout!
– Marie, Marie!
Il croyait sérieusement que sa femme devenait folle.
Elle se souleva sur le lit, et tournant vers Chatoff un visage livide de colère:
– Mais est-ce que vous ne voyez pas, enfin, vociféra-t-elle, – que je suis dans les douleurs de l’enfantement? Oh! qu’il soit maudit avant de naître, cet enfant!
– Marie! s’écria Chatoff comprenant enfin la situation, – Marie… Mais que ne le disais-tu plus tôt? ajouta-t-il brusquement, et, prompt comme l’éclair, il saisit sa casquette.
– Est-ce que je savais cela en entrant ici? Serais-je venue chez vous si je l’avais su? On m’avait dit que j’en avais encore pour dix jours! Où allez-vous donc? Où allez-vous donc? Voulez-vous bien ne pas sortir!
– Je vais chercher une accoucheuse! Je vendrai le revolver; maintenant c’est de l’argent qu’il faut avant tout.
– Gardez-vous bien de faire venir une accoucheuse, il ne me faut qu’une bonne femme, une vieille quelconque; j’ai huit grivnas dans mon porte-monnaie… À la campagne les paysannes accouchent sans le secours d’une sage-femme… Et si je crève, eh bien, ce sera tant mieux…
– Tu auras une bonne femme, et une vieille. Mais comment te laisser seule, Marie?
Pourtant, s’il ne la quittait pas maintenant, elle serait privée des soins d’une accoucheuse quand viendrait le moment critique. Cette considération l’emporta dans l’esprit de Chatoff sur tout le reste, et, sourd aux gémissements comme aux cris de colère de Marie, il descendit l’escalier de toute la vitesse de ses jambes.
III
En premier lieu il passa chez Kiriloff. Il pouvait être alors une heure du matin. L’ingénieur était debout au milieu de la chambre.
– Kiriloff, ma femme accouche!
– C'est-à-dire… comment?
– Elle accouche, elle va avoir un enfant.
– Vous… vous ne vous trompez pas?
– Oh! non, non, elle est dans les douleurs!… Il faut une femme, une vieille quelconque; cela presse… Pouvez-vous m’en procurer une maintenant? Vous aviez chez vous plusieurs vieilles…
– C’est grand dommage que je ne sache pas enfanter, répondit d’un air songeur Kiriloff, – c'est-à-dire, je ne regrette pas de ne pas savoir enfanter, mais de ne pas savoir comment il faut faire pour… Non, l’expression ne me vient pas.
– Vous voulez dire que vous ne sauriez pas vous-même assister une femme en couches, mais ce n’est pas cela que je vous demande, je vous prie seulement d’envoyer chez moi une bonne vieille, une garde-malade, une servante.
– Vous aurez une vieille, mais ce ne sera peut-être pas tout de suite. Si vous voulez, je puis, en attendant…
– Oh! c’est impossible; je vais de ce pas chez madame Virguinsky, l’accoucheuse.
– Une coquine!
– Oh! oui, Kiriloff, mais c’est la meilleure sage-femme de la ville! Oh! oui, tout cela se passera sans joie, sans piété; ce grand mystère, la venue au monde d’une créature nouvelle, ne sera saluée que par des paroles de dégoût et de colère, par des blasphèmes!… Oh! elle maudit déjà son enfant!…
– Si vous voulez, je…
– Non, non, mais en mon absence (oh! de gré ou de force je ramènerai madame Virguinsky!), venez de temps en temps près de mon escalier et prêtez l’oreille sans faire de bruit, seulement ne pénétrez pas dans la chambre, vous l’effrayeriez, gardez-vous bien d’entrer, bornez-vous à écouter… dans le cas où il arriverait un accident. Pourtant, s’il survenait quelque chose de grave, alors vous entreriez.
– Je comprends. J’ai encore un rouble d’argent. Tenez. Je voulais demain une poule, mais maintenant je ne veux plus. Allez vite, dépêchez-vous. J’aurai du thé toute la nuit.
Kiriloff n’avait aucune connaissance des projets formés contre Chatoff, il savait seulement que son voisin avait de vieux comptes à régler avec «ces gens-là». Lui-même s’était trouvé mêlé en partie à cette affaire par suite des instructions qui lui avaient été données à l’étranger (instructions, d’ailleurs très superficielles, car il n’appartenait qu’indirectement à la société), mais depuis quelque temps il avait abandonné toute occupation, à commencer par «l’œuvre commune», et il menait une vie exclusivement contemplative. Quoique Pierre Verkhovensky eût, au cours de la séance, invité Lipoutine à venir avec lui chez Kiriloff pour se convaincre qu’au moment voulu l’ingénieur endosserait l’ «affaire Chatoff», il n’avait cependant pas soufflé mot de ce dernier dans sa conversation avec Kiriloff. Jugeant sans doute imprudent de révéler ses desseins à un homme dont il n’était pas sûr, il avait cru plus sage de ne les lui faire connaître qu’après leur mise à exécution, c'est-à-dire le lendemain: quand ce sera chose faite, pensait Pierre Stépanovitch, Kiriloff prendra cela avec son indifférence accoutumée. Lipoutine avait fort bien remarqué le silence gardé par son compagnon sur l’objet même qui motivait leur visite chez l’ingénieur, mais il était trop troublé pour faire aucune observation à ce sujet.
Chatoff courut tout d’une haleine rue de la Fourmi; il maudissait la distance, et il lui semblait qu’il n’arriverait jamais.