Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– On voit que vous aimez votre femme après la Suisse. C ’est bien de l’aimer après la Suisse. Quand il faudra du thé, venez encore. Venez toute la nuit, je ne me coucherai pas. Il y aura un samovar. Tenez, prenez ce rouble. Allez auprès de votre femme, je resterai et je penserai à vous et à votre femme.
Marie Chatoff parut fort contente en voyant le thé arriver si vite, et elle se jeta avidement sur ce breuvage, mais on n’eut pas besoin d’aller chercher le samovar: la voyageuse ne but qu’une demi-tasse et ne mangea qu’un tout petit morceau de pain. Elle repoussa le veau avec un dégoût mêlé de colère.
– Tu es malade, Marie; tout cela est chez toi l’effet de la maladie… observa timidement Chatoff, qui, d’un air craintif, s’empressait autour d’elle.
– Certainement je suis malade. Asseyez-vous, je vous prie. Où avez-vous pris ce thé, si vous n’en aviez pas?
Il dit quelques mots de Kiriloff. Elle avait déjà entendu parler de lui.
– Je sais que c’est un fou; de grâce, assez là-dessus; les imbéciles ne sont pas une rareté, n’est-ce pas? Ainsi vous avez été en Amérique? Je l’ai entendu dire, vous avez écrit.
– Oui, je… j’ai écrit à Paris.
– Assez, parlons d’autre chose, s’il vous plaît. Vous appartenez à l’opinion slavophile?
– Je… ce n’est pas que je… Faute de pouvoir être Russe, je suis devenu slavophile, répondit Chatoff avec le sourire forcé de l’homme qui plaisante à contre-temps et sans en avoir envie.
– Ah! vous n’êtes pas Russe?
– Non, je ne suis pas Russe.
– Eh bien, tout cela, ce sont des bêtises. Pour la dernière fois, asseyez-vous. Pourquoi vous trémoussez-vous toujours ainsi? Vous pensez que j’ai le délire? Peut-être bien. Vous n’êtes que deux, dites-vous, dans la maison?
– Oui… Au rez-de-chaussée…
– Et, pour l’intelligence, les deux font la paire. Qu’est-ce qu’il y a au rez-de-chaussée? Vous avez dit: au rez-de-chaussée…
– Non, rien.
– Quoi, rien? Je veux savoir.
– Je voulais dire seulement qu’autrefois les Lébiadkine demeuraient au rez-de-chaussée…
Marie Chatoff fit un brusque mouvement.
– Celle qu’on a assassinée la nuit dernière? J’ai entendu parler de cela. C’est la première nouvelle que j’ai apprise en arrivant ici. Il y a eu un incendie chez vous?
Chatoff se leva soudain.
– Oui, Marie, oui, et je commets peut-être une infamie épouvantable en ce moment où je pardonne à des infâmes…
Il marchait à grands pas dans la chambre en levant les bras en l’air et en donnant les signes d’une violente agitation.
Mais Marie ne comprenait pas du tout ce qui se passait en lui. Elle était distraite pendant qu’il parlait; elle questionnait et n’écoutait pas les réponses.
– On en fait de belles chez vous. Oh! quelles gredineries partout! Quel monde de vauriens! Mais asseyez-vous donc enfin, oh! que vous m’agacez! répliqua la jeune femme qui, vaincue par la fatigue, laissa tomber sa tête sur l’oreiller.
– Marie, je t’obéis… Tu te coucherais peut-être volontiers, Marie?
Elle ne répondit pas, et, à bout de forces, ferma ses paupières. Son visage pâle ressemblait à celui d’une morte. Elle s’endormit presque instantanément. Chatoff promena ses yeux autour de lui, raviva la flamme de la bougie, et, après avoir jeté encore une fois un regard inquiet sur sa femme, après avoir joins ses mains devant elle, il sortit tout doucement de la chambre. Quand il fut sur le palier, il se fourra dans un coin, où il resta pendant dix minutes sans bouger, sans faire le moindre bruit. Tout à coup des pas légers et discrets retentirent dans l’escalier. Quelqu’un montait. Chatoff se rappela qu’il avait oublié de fermer la porte de la maison.
– Qui est là? demanda-t-il à voix basse.
Le visiteur ne répondit pas et continua de monter sans se presser. Arrivé sur le carré, il s’arrêta; l’obscurité ne permettait pas de distinguer ses traits.
– Ivan Chatoff? fit-il mystérieusement.
Le maître du logis se nomma, mais en même temps il étendit le bras pour écarter l’inconnu; ce dernier lui saisit la main, et Chatoff frissonna comme au contact d’un reptile.
– Restez ici, murmura-t-il rapidement, – n’entrez pas, je ne puis vous recevoir maintenant. Ma femme est revenue chez moi. Je vais chercher de la lumière.
Quand il reparut avec la bougie, il aperçut devant lui un officier tout jeune dont il ignorait le nom, mais qu’il se souvenait d’avoir rencontré quelque part.
Le visiteur se fit connaître:
– Erkel. Vous m’avez vu chez Virguinsky.
– Je me rappelle; vous étiez assis et vous écriviez, reprit Chatoff; ce disant, il s’avança vers le jeune homme, puis, avec une fureur subite, mais toujours sans élever la voix, il poursuivit: – Écoutez, vous m’avez fait tout à l’heure un signe de reconnaissance quand vous m’avez pris la main. Mais sachez que je crache sur tous ces signes! Je les repousse… je n’en veux pas… je puis à l’instant vous jeter en bas de l’escalier, savez-vous cela?
– Non, je n’en sais rien et j’ignore complètement pourquoi vous êtes si fâché, répondit l’enseigne dont le ton calme ne témoignait d’aucune irritation. – Je suis seulement chargé d’une commission pour vous, et j’ai voulu m’en acquitter sans perdre de temps. Vous avez entre les mains une presse qui ne vous appartient pas et dont vous êtes tenu de rendre compte, ainsi que vous le savez vous-même. Suivant l’ordre que j’ai reçu, je dois vous demander de la remettre à Lipoutine demain à sept heures précises du soir. En outre, il m’est enjoint de vous déclarer qu’à l’avenir on n’exigera plus rien de vous.
– Rien?
– Absolument rien. Votre demande a été prise en considération, et désormais vous ne faites plus partie de la société. J’ai été positivement chargé de vous l’apprendre.
– Qui vous a chargé de cela?
– Ceux qui m’ont révélé le signe de reconnaissance.
– Vous arrivez de l’étranger?
– Cela… cela, je crois, doit vous être indifférent.
– Eh! diable! Mais pourquoi n’êtes-vous pas venu plus tôt, si l’on vous a donné cet ordre?
– Je me conformais à certaines instructions et je n’étais pas seul.
– Je comprends, je comprends que vous n’étiez pas seul. Eh… diable! Mais pourquoi Lipoutine n’est-il pas venu lui-même?
– Ainsi, je viendrai vous prendre demain à six heures précises du soir, et nous irons là à pied. Il n’y aura que nous trois.