Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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VI
La nuit se passa. On renvoyait Chatoff, on l’injuriait, on l’appelait. Marie en vint à concevoir les plus grandes craintes pour sa vie. Elle criait qu’elle voulait vivre «absolument, absolument!» et qu’elle avait peur de mourir: «Il ne faut pas, il ne faut pas!» répétait-elle. Sans Arina Prokhorovna les choses auraient été fort mal. Peu à peu, elle se rendit complètement maîtresse de sa cliente, qui finit par lui obéir avec la docilité d’un enfant. La sage-femme procédait par la sévérité et non par les caresses; en revanche elle entendait admirablement son métier. L’aurore commençait à poindre. Arina Prokhorovna imagina tout à coup que Chatoff était allé prier Dieu sur le palier, et elle se mit à rire. La malade rit aussi, d’un rire méchant, amer, qui paraissait la soulager. À la fin, le mari fut expulsé pour tout de bon. La matinée était humide et froide. Debout sur le carré, le visage tourné contre le mur, Chatoff se trouvait exactement dans la même position que la veille, au moment de la visite d’Erkel. Il tremblait comme une feuille et n’osait penser; des rêves incohérents, aussi vite interrompus qu’ébauchés, occupaient son esprit. De la chambre arrivèrent enfin jusqu’à lui non plus des gémissements, mais des hurlements affreux, inexprimables, impossibles. En vain il voulut se boucher les oreilles, il ne put que tomber à genoux en répétant sans savoir ce qu’il disait: «Marie, Marie!» Et voilà que soudain retentit un cri nouveau, faible, inarticulé, – un vagissement. Chatoff frissonnant se releva d’un bond, fit le signe de la croix et s’élança dans la chambre. Entre les bras d’Arina Prokhorovna s’agitait un nouveau-né, un petit être rouge, ridé, sans défense, à la merci du moindre souffle, mais qui criait comme pour attester son droit à la vie… Étendue sur le lit, Marie semblait privée de sentiment; toutefois, au bout d’une minute, elle ouvrit les yeux et regarda son mari d’une façon étrange: jusqu’alors, jamais il ne lui avait vu ce regard, et il ne pouvait le comprendre.
– Un garçon? Un garçon? demanda-t-elle d’une voix brisée à l’accoucheuse.
– Oui, répondit celle-ci en train d’emmailloter le baby.
Pendant un instant elle le donna à tenir à Chatoff, tandis qu’elle se disposait à le mettre sur le lit, entre deux oreillers. La malade fit à son mari un petit signe à la dérobée, comme si elle eût craint d’être vue par Arina Prokhorovna. Il comprit tout de suite et vint lui montrer l’enfant.
La mère sourit.
– Qu’il est… joli… murmura-t-elle faiblement.
Madame Virguinsky était triomphante.
– Oh! comme il le regarde! fit-elle avec un rire gai en considérant le visage de Chatoff; – voyez donc cette tête!
– Égayez-vous, Arina Prokhorovna… C’est une grande joie… balbutia-t-il d’un air de béatitude idiote; il était radieux depuis les quelques mots prononcés par Marie au sujet de l’enfant.
– Quelle si grande joie y a-t-il là pour vous? répliqua en riant Arina Prokhorovna, qui n’épargnait pas sa peine et travaillait comme une esclave.
– Le secret de l’apparition d’un nouvel être, un grand, un inexplicable mystère, Arina Prokhorovna, et quel dommage que vous ne compreniez pas cela!
Dans son exaltation Chatoff bégayait des paroles confuses qui semblaient jaillir de son âme en dépit de lui-même; on aurait dit que quelque chose était détraqué dans son cerveau.
– Il y avait deux êtres humains, et en voici tout à coup un troisième, un nouvel esprit, entier, achevé, comme ne le sont pas les œuvres sortant des mains de l’homme; une nouvelle pensée et un nouvel amour, c’est même effrayant… Et il n’y a rien au monde qui soit au-dessus de cela!
La sage-femme partit d’un franc éclat de rire.
– Eh! qu’est-ce qu’il jabote! C’est tout simplement le développement ultérieur de l’organisme, et il n’y a là rien de mystérieux. Alors n’importe quelle mouche serait un mystère. Mais voici une chose: les gens qui sont de trop ne devraient pas venir au monde. Commencez par vous arranger de façon qu’ils ne soient pas de trop, et ensuite engendrez-les. Autrement, qu’arrive-t-il? Celui-ci, par exemple, après-demain on devra l’envoyer dans un asile… Du reste, il faut cela aussi.
– Je ne souffrirai jamais qu’il soit envoyé dans un asile! dit d’un ton ferme Chatoff qui regardait fixement le plancher.
– Vous l’adopterez?
– Il est déjà mon fils.
– Sans doute c’est un Chatoff; aux yeux de la loi vous êtes son père, et vous n’avez pas lieu de vous poser en bienfaiteur du genre humain. Il faut toujours qu’ils fassent des phrases. Allons, allons, c’est bien, seulement, messieurs, il est temps que je m’en aille, dit madame Virguinsky quand elle eut fini tous ses arrangements. – Je viendrai encore dans la matinée, et, si besoin est, je passerai ce soir, mais maintenant, comme tout est terminé à souhait, je dois courir chez d’autres qui m’attendent depuis longtemps. Vous avez une vieille qui demeure dans votre maison, Chatoff; autant elle qu’une autre, mais ne quittez pas pour cela votre femme, cher mari; restez près d’elle, vous pourrez peut-être vous rendre utile; je crois que Marie Ignatievna ne vous chassera pas… allons, allons, je ris…
Chatoff reconduisit Arina Prokhorovna jusqu’à la grand’porte. Avant de sortir, elle lui dit:
– Vous m’avez amusée pour toute ma vie, je ne vous demanderai pas d’argent; je rirai encore en rêve. Je n’ai jamais rien vu de plus drôle que vous cette nuit.
Elle s’en alla très contente. La manière d’être et le langage de Chatoff lui avaient prouvé clair comme le jour qu’une pareille «lavette», un homme chez qui la bosse de la paternité était si développée, ne pouvait pas être un dénonciateur. Quoiqu’elle eût une cliente à visiter dans le voisinage de la rue de l’Épiphanie, Arina Prokhorovna retourna directement chez elle, pressée qu’elle était de faire part de ses impressions à son mari.
– Marie, elle t’a ordonné de dormir pendant un certain temps, bien que ce soit fort difficile, je le vois… commença timidement Chatoff. – Je vais me mettre là près de la fenêtre et je veillerai sur toi, n’est-ce pas?
Il s’assit près de la fenêtre, derrière le divan, de sorte qu’elle ne pouvait pas le voir. Mais moins d’une minute après elle l’appela et, d’un ton dédaigneux, le pria d’arranger l’oreiller. Il obéit. Elle regardait le mur avec colère.
– Pas ainsi, oh! pas ainsi… Quel maladroit!
Chatoff se remit à l’œuvre.
La malade eut une fantaisie étrange:
– Baissez-vous vers moi, dit-elle soudain à son mari en faisant tous ses efforts pour ne pas le regarder.
Il eut un frisson, néanmoins il se pencha vers elle.
– Encore… pas comme cela, plus près…
Elle passa brusquement son bras gauche autour du cou de Chatoff, et il sentit sur son front le baiser brûlant de la jeune femme.
– Marie!