Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Il dut cogner longtemps chez Virguinsky: tout le monde dans la maison était couché depuis quelques heures. Mais Chatoff n’y alla pas de main morte et frappa à coups redoublés contre le volet. Le chien de garde enchaîné dans la cour fit entendre de furieux aboiements auxquels répondirent ceux de tous les chiens du voisinage; ce fut un vacarme dans toute la rue.
À la fin le volet s’entr’ouvrit, puis la fenêtre, et Virguinsky lui-même prit la parole:
– Pourquoi faites-vous ce bruit? Que voulez-vous? demanda-t-il doucement à l’inconnu qui troublait le repos de sa maison.
– Qui est-là? Quel est ce drôle? ajouta avec colère une voix féminine.
La personne qui venait de prononcer ces mots était la vieille demoiselle, parente de Virguinsky.
– C’est moi, Chatoff; ma femme est revenue chez moi, et elle va accoucher d’un moment à l’autre.
– Eh bien, qu’elle accouche! Fichez le camp!
– Je suis venu chercher Arina Prokhorovna, et je ne m’en irai pas sans elle!
– Elle ne peut pas aller chez tout le monde. Elle ne visite la nuit qu’une clientèle particulière. Adressez-vous à madame Makchéeff et laissez-nous tranquilles! reprit la voix féminine toujours irritée.
De la rue on entendait Virguinsky parlementer avec la vieille fille pour lui faire quitter la place, mais elle ne voulait pas se retirer.
– Je ne m’en irai pas! répliqua Chatoff.
– Attendez, attendez donc! cria Virguinsky, après avoir enfin réussi à éloigner sa parente, – je vous demande cinq minutes, Chatoff, le temps d’aller réveiller Arina Prokhorovna, mais, je vous en prie, cessez de cogner et de crier ainsi… Oh! que tout cela est terrible!
Au bout de cinq minutes, – cinq siècles! – madame Virguinsky se montra à la fenêtre.
– Votre femme est revenue chez vous? questionna-t-elle d’un ton qui, au grand étonnement de Chatoff, ne trahissait aucune colère et n’était qu’impérieux; mais Arina Prokhorovna avait naturellement le verbe haut, en sorte qu’il lui était impossible de parler autrement.
– Oui, ma femme est revenue, et elle va accoucher.
– Marie Ignatievna?
– Oui, Marie Ignatievna. Ce ne peut être que Marie Ignatievna!
Il y eut un silence. Chatoff attendait. Dans la maison l’on causait à voix basse.
– Quand est-elle arrivée? demanda ensuite madame Virguinsky.
– Ce soir, à huit heures. Vite, je vous prie.
Nouveaux chuchotements; il semblait qu’on délibérât.
– Écoutez, vous ne vous trompez pas? C’est elle-même qui vous a envoyé chez moi?
– Non, ce n’est pas elle qui m’a envoyé chez vous: pour m’occasionner moins de frais, elle voudrait n’être assistée que par une bonne femme quelconque, mais ne vous inquiétez pas, je vous payerai.
– C’est bien, j’irai, que vous me payiez ou non. J’ai toujours apprécié les sentiments indépendants de Marie Ignatievna, quoique peut-être elle ne se souvienne plus de moi. Avez-vous ce qu’il faut chez vous?
– Je n’ai rien, mais tout se trouvera, tout sera prêt, tout…
– «Il y a donc de la générosité même chez ces gens-là!» pensait Chatoff en se dirigeant vers la demeure de Liamchine. «Les opinions et l’homme sont, paraît-il, deux choses fort différentes. J’ai peut-être bien des torts envers eux!… Tout le monde a des torts, tout le monde, et… si chacun était convaincu de cela!…»
Chez Liamchine il n’eut pas à frapper longtemps. Le Juif sauta immédiatement à bas de son lit, et, pieds nus, en chemise, courut ouvrir le vasistas, au risque d’attraper un rhume, lui qui était toujours très soucieux de sa santé. Mais il y avait une cause particulière à cet empressement si étrange: pendant toute la soirée Liamchine n’avait fait que trembler, et jusqu’à ce moment il lui avait été impossible de s’endormir, tant il était inquiet depuis la séance; sans cesse il croyait voir arriver certains visiteurs dont l’apparition ne fait jamais plaisir. La nouvelle que Chatoff allait dénoncer les nôtres l’avait mis au supplice… Et voilà qu’il entendait frapper violemment à la fenêtre!…
Il fut si effrayé en apercevant Chatoff qu’il ferma aussitôt le vasistas et regagna précipitamment son lit. Le visiteur se mit à cogner et à crier de toutes ses forces.
– Comment osez-vous faire un pareil tapage au milieu de la nuit? gronda le maître du logis, mais, quoiqu’il essayât de prendre un ton menaçant, Liamchine se mourait de peur: il avait attendu deux minutes au moins avant de rouvrir le vasistas, et il ne s’y était enfin décidé qu’après avoir acquis la certitude que Chatoff était venu seul.
– Voilà le revolver que vous m’avez vendu; reprenez-le et donnez-moi quinze roubles.
– Qu’est-ce que c’est? Vous êtes ivre? C’est du brigandage; vous êtes cause que je vais prendre un refroidissement. Attendez, je vais m’envelopper dans un plaid.
– Donnez-moi tout de suite quinze roubles. Si vous refusez, je cognerai et je crierai jusqu’à l’aurore; je briserai votre châssis.
– J’appellerai la garde, et l’on vous conduira au poste.
– Et moi, je suis un muet, vous croyez? Je n’appellerai pas la garde? Lequel de nous deux doit la craindre, vous ou moi?
– Et vous pouvez avoir des principes si bas… Je sais à quoi vous faites allusion… Attendez, attendez, pour l’amour de Dieu, tenez-vous tranquille! Voyons, qui est-ce qui a de l’argent la nuit? Eh bien, pourquoi vous faut-il de l’argent, si vous n’êtes pas ivre?
– Ma femme est revenue chez moi. Je vous fais un rabais de dix roubles; je ne me suis pas servi une seule fois de ce revolver, reprenez-le tout de suite.
Machinalement Liamchine tendit la main par le vasistas et prit l’arme; il attendit un moment, puis soudain, comme ne se connaissant plus, il passa sa tête en dehors de la fenêtre et balbutia, tandis qu’un frisson lui parcourait l’épine dorsale:
– Vous mentez, votre femme n’est pas du tout revenue chez vous. C’est… c'est-à-dire que vous voulez tout bonnement vous sauver.
– Imbécile que vous êtes, où voulez-vous que je me sauve? C’est bon pour votre Pierre Stépanovitch de prendre la fuite; moi, je ne fais pas cela. J’ai été tout à l’heure trouver madame Virguinsky, la sage-femme, et elle a immédiatement consenti à venir chez moi. Vous pouvez vous informer. Ma femme est dans les douleurs, il me faut de l’argent; donnez-moi de l’argent!
Il se produisit comme une illumination subite dans l’esprit de Liamchine; les choses prenaient soudain une autre tournure, toutefois sa crainte était encore trop vive pour lui permettre de raisonner.
– Mais comment donc… vous ne vivez pas avec votre femme?