Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Milady se voyant devinée s’enfonça les ongles dans la chair pour dompter tout mouvement qui eût pu donner à sa physionomie une signification quelconque, autre que celle de l’angoisse.
Lord de Winter continua:
«L’officier qui commande seul ici en mon absence, vous l’avez vu, donc vous le connaissez déjà, sait, comme vous voyez, observer une consigne, car vous n’êtes pas, je vous connais, venue de Portsmouth ici sans avoir essayé de le faire parler. Qu’en dites-vous? une statue de marbre eût-elle été plus impassible et plus muette? Vous avez déjà essayé le pouvoir de vos séductions sur bien des hommes, et malheureusement vous avez toujours réussi; mais essayez sur celui-là, pardieu! si vous en venez à bout, je vous déclare le démon lui-même.»
Il alla vers la porte et l’ouvrit brusquement.
«Qu’on appelle M. Felton, dit-il. Attendez encore un instant, et je vais vous recommander à lui.»
Il se fit entre ces deux personnages un silence étrange, pendant lequel on entendit le bruit d’un pas lent et régulier qui se rapprochait; bientôt, dans l’ombre du corridor, on vit se dessiner une forme humaine, et le jeune lieutenant avec lequel nous avons déjà fait connaissance s’arrêta sur le seuil, attendant les ordres du baron.
«Entrez, mon cher John, dit Lord de Winter, entrez et fermez la porte.»
Le jeune officier entra.
«Maintenant, dit le baron, regardez cette femme: elle est jeune, elle est belle, elle a toutes les séductions de la terre, eh bien, c’est un monstre qui, à vingt-cinq ans, s’est rendu coupable d’autant de crimes que vous pouvez en lire en un an dans les archives de nos tribunaux; sa voix prévient en sa faveur, sa beauté sert d’appât aux victimes, son corps même paye ce qu’elle a promis, c’est une justice à lui rendre; elle essayera de vous séduire, peut-être même essayera-t-elle de vous tuer. Je vous ai tiré de la misère, Felton, je vous ai fait nommer lieutenant, je vous ai sauvé la vie une fois, vous savez à quelle occasion; je suis pour vous non seulement un protecteur, mais un ami; non seulement un bienfaiteur, mais un père; cette femme est revenue en Angleterre afin de conspirer contre ma vie; je tiens ce serpent entre mes mains; eh bien, je vous fais appeler et vous dis: Ami Felton, John, mon enfant, garde-moi et surtout garde-toi de cette femme; jure sur ton salut de la conserver pour le châtiment qu’elle a mérité. John Felton, je me fie à ta parole; John Felton, je crois à ta loyauté.
– Milord, dit le jeune officier en chargeant son regard pur de toute la haine qu’il put trouver dans son cœur, Milord, je vous jure qu’il sera fait comme vous désirez.»
Milady reçut ce regard en victime résignée: il était impossible de voir une expression plus soumise et plus douce que celle qui régnait alors sur son beau visage. À peine si Lord de Winter lui-même reconnut la tigresse qu’un instant auparavant il s’apprêtait à combattre.
«Elle ne sortira jamais de cette chambre, entendez-vous, John, continua le baron; elle ne correspondra avec personne, elle ne parlera qu’à vous, si toutefois vous voulez bien lui faire l’honneur de lui adresser la parole.
– Il suffit, Milord, j’ai juré.
– Et maintenant, madame, tâchez de faire la paix avec Dieu, car vous êtes jugée par les hommes.»
Milady laissa tomber sa tête comme si elle se fût sentie écrasée par ce jugement. Lord de Winter sortit en faisant un geste à Felton, qui sortit derrière lui et ferma la porte.
Un instant après on entendait dans le corridor le pas pesant d’un soldat de marine qui faisait sentinelle, sa hache à la ceinture et son mousquet à la main.
Milady demeura pendant quelques minutes dans la même position, car elle songea qu’on l’examinait peut-être par la serrure; puis lentement elle releva sa tête, qui avait repris une expression formidable de menace et de défi, courut écouter à la porte, regarda par la fenêtre, et revenant s’enterrer dans un vaste fauteuil, elle songea.
CHAPITRE LI
Cependant le cardinal attendait des nouvelles d’Angleterre, mais aucune nouvelle n’arrivait, si ce n’est fâcheuse et menaçante.
Si bien que La Rochelle fût investie, si certain que pût paraître le succès, grâce aux précautions prises et surtout à la digue qui ne laissait plus pénétrer aucune barque dans la ville assiégée, cependant le blocus pouvait durer longtemps encore; et c’était un grand affront pour les armes du roi et une grande gêne pour M. le cardinal, qui n’avait plus, il est vrai, à brouiller Louis XIII avec Anne d’Autriche, la chose était faite, mais à raccommoder M. de Bassompierre, qui était brouillé avec le duc d’Angoulême.
Quant à Monsieur, qui avait commencé le siège, il laissait au cardinal le soin de l’achever.
La ville, malgré l’incroyable persévérance de son maire, avait tenté une espèce de mutinerie pour se rendre; le maire avait fait pendre les émeutiers. Cette exécution calma les plus mauvaises têtes, qui se décidèrent alors à se laisser mourir de faim. Cette mort leur paraissait toujours plus lente et moins sûre que le trépas par strangulation.
De leur côté, de temps en temps, les assiégeants prenaient des messagers que les Rochelois envoyaient à Buckingham ou des espions que Buckingham envoyait aux Rochelois. Dans l’un et l’autre cas le procès était vite fait. M. le cardinal disait ce seul mot: Pendu! On invitait le roi à venir voir la pendaison. Le roi venait languissamment, se mettait en bonne place pour voir l’opération dans tous ses détails: cela le distrayait toujours un peu et lui faisait prendre le siège en patience, mais cela ne l’empêchait pas de s’ennuyer fort, de parler à tout moment de retourner à Paris; de sorte que si les messagers et les espions eussent fait défaut, Son Éminence, malgré toute son imagination, se fût trouvée fort embarrassée.
Néanmoins le temps passait, les Rochelois ne se rendaient pas: le dernier espion que l’on avait pris était porteur d’une lettre. Cette lettre disait bien à Buckingham que la ville était à toute extrémité; mais, au lieu d’ajouter: «Si votre secours n’arrive pas avant quinze jours, nous nous rendrons», elle ajoutait tout simplement: «Si votre secours n’arrive pas avant quinze jours, nous serons tous morts de faim quand il arrivera.»
Les Rochelois n’avaient donc espoir qu’en Buckingham. Buckingham était leur Messie. Il était évident que si un jour ils apprenaient d’une manière certaine qu’il ne fallait plus compter sur Buckingham, avec l’espoir leur courage tomberait.
Le cardinal attendait donc avec grande impatience des nouvelles d’Angleterre qui devaient annoncer que Buckingham ne viendrait pas.
La question d’emporter la ville de vive force, débattue souvent dans le conseil du roi, avait toujours été écartée; d’abord La Rochelle semblait imprenable, puis le cardinal, quoi qu’il eût dit, savait bien que l’horreur du sang répandu en cette rencontre, où Français devaient combattre contre Français, était un mouvement rétrograde de soixante ans imprimé à la politique, et le cardinal était, à cette époque, ce qu’on appelle aujourd’hui un homme de progrès. En effet, le sac de La Rochelle, l’assassinat de trois ou quatre mille huguenots qui se fussent fait tuer ressemblaient trop, en 1628, au massacre de la Saint-Barthélémy, en 1572; et puis, par-dessus tout cela, ce moyen extrême, auquel le roi, bon catholique, ne répugnait aucunement, venait toujours échouer contre cet argument des généraux assiégeants: La Rochelle est imprenable autrement que par la famine.
Le cardinal ne pouvait écarter de son esprit la crainte où le jetait sa terrible émissaire, car il avait compris, lui aussi, les proportions étranges de cette femme, tantôt serpent, tantôt lion. L’avait-elle trahi? était-elle morte? Il la connaissait assez, en tout cas, pour savoir qu’en agissant pour lui ou contre lui, amie ou ennemie, elle ne demeurait pas immobile sans de grands empêchements. C’était ce qu’il ne pouvait savoir.