Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Or, comme d’Artagnan ne se gênait pas avec Aramis, voyant que Bazin oubliait de l’annoncer, il s’annonça lui-même.
«Ah! diable, mon cher Aramis, dit d’Artagnan, si ce sont là les pruneaux qu’on nous envoie de Tours, vous en ferez mon compliment au jardinier qui les récolte.
– Vous vous trompez, mon cher, dit Aramis toujours discret: c’est mon libraire qui vient de m’envoyer le prix de ce poème en vers d’une syllabe que j’avais commencé là-bas.
– Ah! vraiment! dit d’Artagnan; eh bien, votre libraire est généreux, mon cher Aramis, voilà tout ce que je puis vous dire.
– Comment, monsieur! s’écria Bazin, un poème se vend si cher! c’est incroyable! Oh! monsieur! vous faites tout ce que vous voulez, vous pouvez devenir l’égal de M. de Voiture et de M. de Benserade. J’aime encore cela, moi. Un poète, c’est presque un abbé. Ah! monsieur Aramis, mettez-vous donc poète, je vous en prie.
– Bazin, mon ami, dit Aramis, je crois que vous vous mêlez à la conversation.»
Bazin comprit qu’il était dans son tort; il baissa la tête, et sortit.
«Ah! dit d’Artagnan avec un sourire, vous vendez vos productions au poids de l’or: vous êtes bien heureux, mon ami; mais prenez garde, vous allez perdre cette lettre qui sort de votre casaque, et qui est sans doute aussi de votre libraire.»
Aramis rougit jusqu’au blanc des yeux, renfonça sa lettre, et reboutonna son pourpoint.
«Mon cher d’Artagnan, dit-il, nous allons, si vous le voulez bien, aller trouver nos amis; et puisque je suis riche, nous recommencerons aujourd’hui à dîner ensemble en attendant que vous soyez riches à votre tour.
– Ma foi! dit d’Artagnan, avec grand plaisir. Il y a longtemps que nous n’avons fait un dîner convenable; et comme j’ai pour mon compte une expédition quelque peu hasardeuse à faire ce soir, je ne serais pas fâché, je l’avoue, de me monter un peu la tête avec quelques bouteilles de vieux bourgogne.
– Va pour le vieux bourgogne; je ne le déteste pas non plus», dit Aramis, auquel la vue de l’or avait enlevé comme avec la main ses idées de retraite.
Et ayant mis trois ou quatre doubles pistoles dans sa poche pour répondre aux besoins du moment, il enferma les autres dans le coffre d’ébène incrusté de nacre, où était déjà le fameux mouchoir qui lui avait servi de talisman.
Les deux amis se rendirent d’abord chez Athos, qui, fidèle au serment qu’il avait fait de ne pas sortir, se chargea de faire apporter à dîner chez lui: comme il entendait à merveille les détails gastronomiques, d’Artagnan et Aramis ne firent aucune difficulté de lui abandonner ce soin important.
Ils se rendaient chez Porthos, lorsque, au coin de la rue du Bac, ils rencontrèrent Mousqueton, qui, d’un air piteux, chassait devant lui un mulet et un cheval.
D’Artagnan poussa un cri de surprise, qui n’était pas exempt d’un mélange de joie.
«Ah! mon cheval jaune! s’écria-t-il. Aramis, regardez ce cheval!
– Oh! l’affreux roussin! dit Aramis.
– Eh bien, mon cher, reprit d’Artagnan, c’est le cheval sur lequel je suis venu à Paris.
– Comment, monsieur connaît ce cheval? dit Mousqueton.
– Il est d’une couleur originale, fit Aramis; c’est le seul que j’aie jamais vu de ce poil-là.
– Je le crois bien, reprit d’Artagnan, aussi je l’ai vendu trois écus, et il faut bien que ce soit pour le poil, car la carcasse ne vaut certes pas dix-huit livres. Mais comment ce cheval se trouve-t-il entre tes mains, Mousqueton?
– Ah! dit le valet, ne m’en parlez pas, monsieur, c’est un affreux tour du mari de notre duchesse!
– Comment cela, Mousqueton?
– Oui nous sommes vus d’un très bon œil par une femme de qualité, la duchesse de…; mais pardon! mon maître m’a recommandé d’être discret: elle nous avait forcés d’accepter un petit souvenir, un magnifique genet d’Espagne et un mulet andalou, que c’était merveilleux à voir; le mari a appris la chose, il a confisqué au passage les deux magnifiques bêtes qu’on nous envoyait, et il leur a substitué ces horribles animaux!
– Que tu lui ramènes? dit d’Artagnan.
– Justement! reprit Mousqueton; vous comprenez que nous ne pouvons point accepter de pareilles montures en échange de celles que l’on nous avait promises.
– Non, pardieu, quoique j’eusse voulu voir Porthos sur mon Bouton-d’Or; cela m’aurait donné une idée de ce que j’étais moi-même, quand je suis arrivé à Paris. Mais que nous ne t’arrêtions pas, Mousqueton; va faire la commission de ton maître, va. Est-il chez lui?
– Oui, monsieur, dit Mousqueton, mais bien maussade, allez!»
Et il continua son chemin vers le quai des Grands-Augustins, tandis que les deux amis allaient sonner à la porte de l’infortuné Porthos. Celui-ci les avait vus traversant la cour, et il n’avait garde d’ouvrir. Ils sonnèrent donc inutilement.
Cependant, Mousqueton continuait sa route, et, traversant le Pont-Neuf, toujours chassant devant lui ses deux haridelles, il atteignit la rue aux Ours. Arrivé là, il attacha, selon les ordres de son maître, cheval et mulet au marteau de la porte du procureur; puis, sans s’inquiéter de leur sort futur, il s’en revint trouver Porthos et lui annonça que sa commission était faite.
Au bout d’un certain temps, les deux malheureuses bêtes, qui n’avaient pas mangé depuis le matin, firent un tel bruit en soulevant et en laissant retomber le marteau de la porte, que le procureur ordonna à son saute-ruisseau d’aller s’informer dans le voisinage à qui appartenaient ce cheval et ce mulet.
Mme Coquenard reconnut son présent, et ne comprit rien d’abord à cette restitution; mais bientôt la visite de Porthos l’éclaira. Le courroux qui brillait dans les yeux du mousquetaire, malgré la contrainte qu’il s’imposait, épouvanta la sensible amante. En effet, Mousqueton n’avait point caché à son maître qu’il avait rencontré d’Artagnan et Aramis, et que d’Artagnan, dans le cheval jaune, avait reconnu le bidet béarnais sur lequel il était venu à Paris, et qu’il avait vendu trois écus.
Porthos sortit après avoir donné rendez-vous à la procureuse dans le cloître Saint-Magloire. Le procureur, voyant que Porthos partait, l’invita à dîner, invitation que le mousquetaire refusa avec un air plein de majesté.
Mme Coquenard se rendit toute tremblante au cloître Saint-Magloire, car elle devinait les reproches qui l’y attendaient; mais elle était fascinée par les grandes façons de Porthos.
Tout ce qu’un homme blessé dans son amour-propre peut laisser tomber d’imprécations et de reproches sur la tête d’une femme, Porthos le laissa tomber sur la tête courbée de la procureuse.
«Hélas! dit-elle, j’ai fait pour le mieux. Un de nos clients est marchand de chevaux, il devait de l’argent à l’étude, et s’est montré récalcitrant. J’ai pris ce mulet et ce cheval pour ce qu’il nous devait; il m’avait promis deux montures royales.
– Eh bien, madame, dit Porthos, s’il vous devait plus de cinq écus, votre maquignon est un voleur.
– Il n’est pas défendu de chercher le bon marché, monsieur Porthos, dit la procureuse cherchant à s’excuser.
– Non, madame, mais ceux qui cherchent le bon marché doivent permettre aux autres de chercher des amis plus généreux.»
Et Porthos, tournant sur ses talons, fit un pas pour se retirer.
«Monsieur Porthos! monsieur Porthos! s’écria la procureuse, j’ai tort, je le reconnais, je n’aurais pas dû marchander quand il s’agissait d’équiper un cavalier comme vous!»
Porthos, sans répondre, fit un second pas de retraite.
La procureuse crut le voir dans un nuage étincelant tout entouré de duchesses et de marquises qui lui jetaient des sacs d’or sous les pieds.
«Arrêtez, au nom du Ciel! monsieur Porthos, s’écria-t-elle, arrêtez et causons.
– Causer avec vous me porte malheur, dit Porthos.
– Mais, dites-moi, que demandez-vous?
– Rien, car cela revient au même que si je vous demandais quelque chose.»
La procureuse se pendit au bras de Porthos, et, dans l’élan de sa douleur, elle s’écria: