Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
IV
– «Un couteau! un couteau!» répétait Nicolas Vsévolodovitch en proie à une indicible colère, tandis qu’il marchait à grands pas dans la boue et dans les flaques d’eau sans remarquer où il posait ses pieds. Par moments, à la vérité, il éprouvait une violente envie de rire bruyamment, furieusement, mais il la refoulait en lui. Il ne recouvra un peu de sang-froid que quand il fut arrivé sur le pont, à l’endroit même où tantôt il avait fait la rencontre de Fedka. Cette fois encore le vagabond l’attendait; en l’apercevant, il ôta sa casquette, découvrit gaiement ses mâchoires, et avec un joyeux sans gêne engagea la conversation. D’abord, Nicolas Vsévolodovitch passa son chemin, et même pendant un certain temps il n’entendit point le rôdeur qui s’était mis à lui emboîter le pas. Tout à coup il songea avec surprise qu’il l’avait complètement oublié, et cela alors même qu’il ne cessait de se répéter: «Un couteau! un couteau!» Il saisit le vagabond, et, de toute sa force que doublait la colère amassée en lui, l’envoya rouler sur le pont. L’idée d’une lutte traversa l’esprit de Fedka, mais presque aussitôt il comprit qu’il n’aurait pas le dessus, en conséquence il se tint coi et n’essaya même aucune résistance. À genoux, le corps incliné vers la terre, les coudes saillant derrière le dos, le rusé personnage attendit tranquillement l’issue de cette aventure qui ne semblait pas du tout l’inquiéter.
L’événement lui donna raison. Le premier mouvement de Nicolas Vsévolodovitch avait été d’ôter son cache-nez pour lier les mains de son prisonnier, mais il lâcha brusquement ce dernier et le repoussa loin de lui. En un clin d’œil Fedka fut debout, il se détourna, et, tout à coup, un couteau à la lame courte mais large brilla dans sa main.
– À bas le couteau, cache-le, cache-le tout de suite, ordonna avec un geste impatient Nicolas Vsévolodovitch, et le couteau disparut aussi vite qu’il s’était montré.
Stavroguine continua sa marche en silence et sans se retourner, mais l’obstiné vaurien ne le quitta point; maintenant, il est vrai, il ne lui parlait plus et même le suivait respectueusement à un pas de distance. Tous deux traversèrent ainsi le pont, puis prirent à gauche et s’engagèrent dans un long et obscur péréoulok; pour aller dans le centre de la ville, on avait plus court par là que par la rue de l’Épiphanie.
– Dernièrement, dit-on, tu as dévalisé une église ici dans le district, est-ce vrai? demanda à brûle-pourpoint Nicolas Vsévolodovitch.
– C'est-à-dire que j’étais d’abord entré là pour prier, répondit le vagabond d’un ton grave et poli, comme si rien ne se fût passé entre lui et son interlocuteur; il était même plus que grave, il était digne. La familiarité «amicale» de tantôt avait disparu. Fedka offrait maintenant tous les dehors d’un homme sérieux, injustement offensé, il est vrai, mais sachant oublier une offense.
– Quand le Seigneur m’eut conduit dans cette église, poursuivit-il, je me dis: «Eh! c’est un bienfait du Ciel!» Je fus amené à cela par ma situation d’orphelin, car dans notre condition on ne peut pas se passer de secours. Eh bien, Dieu m’a puni de mes péchés: les objets que j’ai pris ne m’ont rapporté en tout que douze roubles. J’ai même dû donner par-dessus le marché la mentonnière en argent de saint-Nicolas, on m’a dit que c’était du faux.
– Tu as assassiné le gardien?
– C'est-à-dire que ce gardien et moi, nous avions fait la chose ensemble, mais le matin, près de la rivière, nous nous sommes disputés sur la question de savoir qui porterait le sac, et, dans la discussion, il a reçu un mauvais coup.
– Continue à tuer et à voler.
– C’est mot pour mot le conseil que me donne aussi Pierre Stépanovitch, parce qu’il est extraordinairement avare et dur à la détente. En dehors de cela, il n’a pas pour un groch de foi au Créateur céleste qui a fait l’homme avec de la terre, il dit que la nature seule a tout organisé, jusqu’à la dernière bête. De plus, il ne comprend pas que dans notre position on ne peut se passer d’un secours bienfaisant. Vous voulez le lui faire comprendre, il vous regarde comme un mouton regarde l’eau. Tenez, quand le capitaine Lébiadkine, que vous êtes allé voir tout à l’heure, demeurait chez Philippoff, une fois sa porte est restée grande ouverte toute une nuit, lui-même était couché par terre ivre-mort, et sur le parquet traînait quantité d’argent qu’il avait laissé tomber de ses poches. J’ai eu l’occasion de le voir de mes yeux parce que, dans notre position, quand on n’est pas secouru, il faut pourtant vivre…
– Comment, de tes yeux? Tu es donc entré chez lui pendant la nuit?
– Peut-être, seulement personne ne le sait.
– Pourquoi ne l’as-tu pas assassiné?
– Je m’en suis abstenu par calcul. Pourquoi, me suis-je dit, prendre maintenant cent cinquante roubles quand, en attendant un peu, je puis en prendre quinze cents? Le capitaine Lébiadkine, en effet (je l’ai entendu de mes oreilles), a toujours beaucoup compté pour vous: il n’est pas de traktir, pas de cabaret où, étant ivre, il ne l’ait déclaré hautement; ce que voyant, j’ai, moi aussi, mit tout mon espoir dans Votre Altesse. Je vous parle, monsieur, comme à un père ou à un frère, car jamais je ne dirai cela ni à Pierre Stépanovitch, ni à personne. Ainsi Votre Altesse aura-t-elle la bonté de me donner trois petits roubles? Vous devriez bien, monsieur, me fixer, c'est-à-dire me faire connaître la vérité vraie, vu que nous ne pouvons nous passer de secours.
Nicolas Vsévolodovitch partit d’un bruyant éclat de rire, et, tirant de sa poche son porte-monnaie qui contenait environ cinquante roubles en petites coupures, il jeta successivement quatre assignats au vagabond. Celui-ci les saisit au vol ou les ramassa dans la boue en criant: «Eh! eh!» Nicolas Vsévolodovitch finit par lui jeter tout le paquet, et, riant toujours, poursuivit son chemin. Cette fois Fedka le laissa aller seul; il se traînait sur le sol boueux pour chercher les assignats tombés dans les flaques d’eau, et, pendant une heure encore, on put l’entendre proférer au milieu de l’obscurité son petit cri: «Eh! eh!»
CHAPITRE III LE DUEL.
I
Le lendemain, à deux heures de l’après-midi, eut lieu le duel projeté. Le violent désir qu’Artémii Pétrovitch Gaganoff éprouvait de se battre coûte que coûte contribua à la prompte issue de l’affaire. Il ne comprenait pas la conduite de son adversaire, et il était furieux. Depuis un mois, il l’insultait impunément sans pouvoir lui faire perdre patience. Cependant il fallait que la provocation vînt de Nicolas Vsévolodovitch, car tout prétexte plausible pour envoyer un cartel manquait à Gaganoff. La vraie cause de sa haine maladive contre Stavroguine, c’était l’offense faite à son père quatre ans auparavant, et lui-même sentait qu’il ne pouvait décemment alléguer un pareil motif, surtout après les humbles excuses déjà présentées à deux reprises par Nicolas Vsévolodovitch. Il considérait ce dernier comme un poltron éhonté et trouvait incompréhensible sa longanimité à l’égard de Chatoff; c’est pourquoi, de guerre lasse, il se résolut à lui adresser la lettre outrageante qui décida enfin Nicolas Vsévolodovitch à proposer une rencontre. Après avoir envoyé cette lettre, Artémii Pétrovitch passa le reste de la journée à se demander anxieusement si elle aurait le résultat souhaité; à tout hasard il se munit le soir même d’un témoin et fit choix de Maurice Nikolaïévitch Drozdoff, son ancien camarade d’école, qu’il estimait particulièrement. Aussi Kiriloff trouva-t-il le terrain tout préparé quand, le lendemain, à neuf heures du matin, il se présenta comme mandataire de son ami. Gaganoff le laissa à peine s’expliquer et repoussa avec une irritation extraordinaire toutes les excuses, toutes les concessions de Nicolas Vsévolodovitch. Elles étaient pourtant d’une nature telle que Maurice Nikolaïévitch en fut stupéfait: il voulut parler dans le sens de la conciliation, mais remarquant qu’Artémii Pétrovitch avait deviné son intention et s’agitait sur sa chaise, il garda le silence. Sans la parole donnée à son ami, il se serait retiré sur le champ, et s’il ne renonça pas à sa mission, ce fut seulement dans l’espoir qu’au dernier moment son intervention pourrait être utile. Kiriloff transmit, au nom de son client, la demande d’une réparation par les armes; toutes les conditions de la rencontre, telles qu’elles avaient été fixées par Stavroguine furent acceptées aussitôt sans le moindre débat. Gaganoff n’y fit qu’une addition, destinée, du reste, à rendre le duel plus meurtrier encore: il exigea l’échange de trois balles. Kiriloff eut beau protester, il se heurta à une résolution inébranlable, et tout ce qu’il put obtenir fut qu’en aucun cas le chiffre de trois balles ne serait dépassé. La rencontre ainsi réglée eut lieu à deux heures de l’après-midi dans le petit bois de Brykovo situé entre le domaine de Skvorechniki et la fabrique des Chpigouline. La pluie avait complètement cessé, mais le temps était humide, et il faisait beaucoup de vent. Dans le ciel froid flottaient de petits nuages gris; la cime des arbres s’agitait bruyamment; la journée avait quelque chose de lugubre.