Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Remettez-vous, de grâce; pourquoi avoir peur? Est-il possible que vous ne me reconnaissiez pas? ne cessait de répéter Nicolas Vsévolodovitch, mais, cette fois, il fut longtemps sans pouvoir la rassurer; elle le regardait silencieusement, en proie à une cruelle incertitude, et l’on voyait qu’elle faisait de pénibles efforts pour concentrer sa pauvre intelligence sur une idée. Tantôt elle baissait les yeux, tantôt elle les relevait brusquement et enveloppait le visiteur d’un regard rapide. À la fin, elle parut, sinon se calmer, du moins prendre un parti.
– Asseyez-vous, je vous prie, à côté de moi, afin que plus tard je puisse vous examiner, dit-elle d’une voix assez ferme; il était clair qu’une nouvelle pensée venait de se faire jour dans son esprit. – Mais, pour le moment, ne vous inquiétez pas, moi-même je ne vous regarderai pas, je tiendrai les yeux baissés. Ne me regardez pas non plus jusqu’à ce que je vous le demande. Asseyez-vous donc, ajouta-t-elle avec impatience.
Elle était visiblement dominée de plus en plus par une impression nouvelle.
Nicolas Vsévolodovitch s’assit et attendit; il y eut un assez long silence.
– Hum! je trouve tout cela étrange, murmura-t-elle tout à coup d’un ton presque méprisant; sans doute je fais beaucoup de mauvais rêves; seulement pourquoi vous ai-je vu en songe sous ce même aspect?
– Allons, laissons là les rêves, répliqua le visiteur impatienté, et, malgré la défense qu’elle lui en avait faite, il se retourna vers elle. Peut-être ses yeux avaient-ils la même expression que tantôt. À plusieurs reprises il remarqua que Marie Timoféievna aurait bien voulu le regarder, qu’elle en avait grande envie, mais que, se roidissant contre son désir, elle s’obstinait à contempler le parquet.
– Écoutez, prince, écoutez, dit-elle en élevant soudain la voix, – écoutez, prince…
– Pourquoi vous êtes-vous détournée? Pourquoi ne me regardez-vous pas? À quoi bon cette comédie? interrompit-il violemment.
Mais elle n’eut pas l’air de l’avoir entendu; sa physionomie était soucieuse et maussade.
– Écoutez, prince, répéta-t-elle pour la troisième fois d’un ton ferme; – quand, l’autre jour, dans la voiture vous m’avez dit que vous feriez connaître notre mariage, je me suis effrayée à la pensée que notre secret serait rendu public. Maintenant je ne sais pas, j’ai beaucoup réfléchi, et je vois clairement que je ne suis bonne à rien. Je sais m’habiller, à la rigueur je saurais aussi recevoir: il n’est pas bien difficile d’offrir une tasse de thé aux gens, surtout quand on a des domestiques. Mais, n’importe, on me regardera de travers. Dimanche, lors de ma visite dans cette maison-là, j’ai observé bien des choses. Cette jolie demoiselle m’a examinée tout le temps, surtout à partir du moment où vous êtes entré. C’est vous, n’est-ce pas, qui êtes entré alors? Sa mère, cette vieille dame du monde, est simplement ridicule. Mon Lébiadkine s’est distingué aussi; pour ne pas éclater de rire, j’ai toujours regardé le plafond, il est orné de belles peintures. Sa mère à lui pourrait être supérieure d’un couvent; j’ai peur d’elle, quoiqu’elle m’ait fait cadeau d’un châle noir. Toutes ces personnes ont dû donner un triste témoignage de moi, je ne leur en veux pas, seulement je me disais alors en moi-même: Quelle parente suis-je pour elles? Sans doute on n’exige d’une comtesse que les qualités morales, – celles d’une femme de ménage ne lui sont pas nécessaires, car elle a une foule de laquais, – mettons qu’il lui faut aussi un peu de coquetterie mondaine pour être en état de recevoir les étrangers de distinction, voilà tout! Mais, n’importe, dimanche on me regardait d’un air de désolation. Dacha seule est un ange. J’ai bien peur qu’on ne l’ait chagrinée en lui tenant des propos inconsidérés sur mon compte.
– N’ayez pas peur et ne vous tourmentez pas, dit Nicolas Vsévolodovitch avec un sourire qu’il ne réussit pas à rendre agréable.
– Du reste, quand même il serait un peu honteux de moi, cela ne me ferait rien, car il aura toujours plus de compassion que de honte; j’en juge, naturellement, d’après le cœur humain. Il sait que c’est plutôt à moi de plaindre ces gens-là qu’à eux d’avoir pitié de moi.
– Vous avez été, paraît-il très blessée de leur manière d’être, Marie Timoféievna?
– Qui? Moi? Non, répondit-elle en souriant avec bonhomie. – Pas du tout. Je vous regardais tous alors; vous étiez tous fâchés, vous vous disputiez, ils se réunissent et ils ne savent pas rire de bon cœur. Tant de richesses et si peu de gaieté, cela me paraît horrible. Du reste, à présent je ne plains plus personne, je garde pour moi toute ma pitié.
– J’ai entendu dire qu’avec votre frère vous aviez la vie dure avant mon arrivée?
– Qui est-ce qui vous a dit cela? C’est absurde. Je suis bien plus malheureuse à présent. Je fais maintenant de mauvais rêves, et c’est parce que vous êtes arrivé. Pourquoi êtes-vous venu? dites-le, je vous prie.
– Mais ne voulez-vous pas retourner au couvent?
– Allons, je m’en doutais, qu’il allait encore me proposer cela! Un beau venez-y voir que votre couvent! Et pourquoi y retournerai-je? Avec quoi maintenant y rentrerais-je? Je suis toute seule à présent! Il est trop tard pour commencer une troisième vie.
– Pourquoi vous emportez-vous ainsi? N’avez-vous pas peur que je cesse de vous aimer?
– Je ne m’inquiète pas du tout de vous. Je crains moi-même de ne plus guère aimer quelqu’un.
Elle eut un sourire de mépris.
– Je dois m’être donné envers lui un tort grave, ajouta-t-elle soudain comme se parlant à elle-même, – seulement voilà, je ne sais pas en quoi consiste ce tort, et c’est ce qui fait mon éternel tourment. Depuis cinq ans je ne cessais de me dire nuit et jour que j’avais été coupable à son égard. Je priais, je priais, et toujours je pensais à ma grande faute envers lui. Et voilà qu’il s’est trouvé que c’était vrai.
– Mais quoi?
– Toute ma crainte, c’est qu’il ne soit mêlé à cela, poursuivit-elle sans répondre à la question qu’elle n’avait même pas entendue. – Pourtant il ne peut pas s’être associé de nouveau à ces petites gens. La comtesse me mangerait volontiers, quoiqu’elle m’ait fait asseoir à côté d’elle dans sa voiture. Ils ont tous formé un complot – se peut-il qu’il y soit entré aussi? Se peut-il que lui aussi soit un traître? (Un tremblement agita ses lèvres et son menton.) Écoutez, vous: avez-vous lu l’histoire de Grichka Otrépieff qui a été maudit dans sept cathédrales?
Nicolas Vsévolodovitch garda le silence.
– Mais, du reste, je vais maintenant me retourner vers vous et vous regarder, décida-t-elle subitement – tournez-vous aussi de mon côté et regardez-moi, mais plus fixement. Je veux enfin éclaircir mes doutes.
– Je vous regarde depuis longtemps déjà.
– Hum, fit Marie Timoféievna en observant attentivement le visiteur, – vous avez beaucoup engraissé…
La folle voulait encore dire quelque chose, mais soudain la terreur qu’elle avait éprouvée tantôt se peignit pour la troisième fois sur son visage, de nouveau elle recula en projetant le bras devant elle.