Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Mais c’est une… aliénée?
– Je prendrai mes dispositions en conséquence.
– Mais… que dira votre mère?
– Elle dira ce qu’elle voudra.
– Et vous introduirez votre femme dans votre maison?
– Oui, peut-être. Du reste, cela ne vous regarde pas.
– Comment, cela ne me regarde pas? s’écria le capitaine; – mais moi, quelle sera donc ma situation?
– Eh bien, naturellement, vous n’entrerez pas chez moi.
– Je suis pourtant un parent.
– Les parents comme vous, on les fuit. Pourquoi vous donnerais-je alors de l’argent? Jugez-en vous-même.
– Nicolas Vsévolodovitch, Nicolas Vsévolodovitch, c’est impossible, vous réfléchirez peut-être encore, vous ne voudrez pas attenter… que pensera-t-on, que dira-t-on dans le monde?
– J’ai bien peur de votre monde. J’ai épousé votre sœur parce qu’après un dîner, étant pris de vin, j’avais parié que je l’épouserais, et maintenant je le ferai savoir publiquement… si cela me plaît.
Il prononça ces mots avec une sorte de colère. Lébiadkine commença à croire que c’était sérieux, et l’épouvante s’empara de lui.
– Mais moi, voyons, le principal ici, c’est moi!… Vous plaisantez peut-être, Nicolas Vsévolodovitch!
– Non, je ne plaisante pas.
– Vous êtes libre, Nicolas Vsévolodovitch, mais je ne vous crois pas… alors je porterai plainte.
– Vous êtes terriblement bête, capitaine.
– Soit, mais c’est tout ce qu’il me reste à faire, – répliqua Lébiadkine qui ne savait plus ce qu’il disait; – autrefois, à Pétersbourg, quand elle servait dans les maisons meublées, on nous donnait du moins le logement. Mais maintenant que deviendrai-je si vous m’abandonnez?
– Ne voulez-vous donc pas vous rendre à Pétersbourg pour commencer une carrière nouvelle? À propos, d’après ce que j’ai entendu dire, vous vous proposez d’aller faire des dénonciations, dans l’espoir d’obtenir votre pardon en signalant tous les autres?
Le capitaine resta bouche béante, regardant avec de grands yeux son interlocuteur.
Nicolas Vsévolodovitch se pencha vers la table.
– Écoutez, capitaine, reprit-il tout à coup d’un ton extrêmement sérieux. Jusqu’alors il avait parlé d’une façon assez équivoque, si bien que Lébiadkine habitué au rôle de bouffon avait pu se demander si son barine était réellement fâché ou s’il voulait rire, s’il songeait pour tout de bon à rendre son mariage public ou si c’était seulement une plaisanterie. Maintenant il n’y avait plus à s’y méprendre: le visage de Nicolas Vsévolodovitch était tellement sévère qu’un frisson parcourut l’épine dorsale du capitaine. – Écoutez et dites la vérité, Lébiadkine: avez-vous révélé quelque chose ou ne l’avez-vous pas encore fait? N’êtes-vous pas déjà entré dans la voie des dénonciations? N’avez-vous point, par bêtise, écrit quelque lettre?
– Non, je n’ai rien fait encore, et… je ne pensais même pas à cela, répondit le capitaine qui tenait toujours ses yeux fixés sur Stavroguine.
– Eh bien, vous mentez quand vous dites que vous ne pensiez pas à cela. C’est même dans cette intention que vous voulez aller à Pétersbourg. Si vous n’avez pas écrit, n’avez-vous pas lâché un mot de trop en causant ici avec quelqu’un? Répondez franchement, j’ai entendu parler de quelque chose.
– J’ai causé avec Lipoutine, étant ivre. Lipoutine est un traître. Je lui ai ouvert mon cœur, murmura le capitaine devenu pâle.
– Il n’est pas défendu d’ouvrir son cœur, mais il ne faut pas être un sot. Si vous aviez cette idée, vous auriez dû la garder pour vous. Aujourd’hui les hommes intelligents se taisent au lieu de bavarder.
– Nicolas Vsévolodovitch! dit en tremblant Lébiadkine; – personnellement vous n’avez pris part à rien, je ne vous ai pas…
– Oh! je sais bien que vous n’oseriez pas dénoncer votre vache à lait.
– Nicolas Vsévolodovitch, jugez, jugez!… Et désespéré, les larmes aux yeux, le capitaine fit le récit de sa vie depuis quatre ans. C’était la stupide histoire d’un imbécile qui, l’ivrognerie et la fainéantise aidant, se fourre dans une affaire pour laquelle il n’est pas fait et dont, jusqu’au dernier moment, il comprend à peine la gravité. Il raconta qu’à Pétersbourg il s’était laissé entraîner d’abord simplement par l’amitié, comme un brave étudiant, quoiqu’il ne fût pas étudiant: sans rien savoir, «le plus innocemment du monde», il semait divers papiers dans les escaliers, les déposait par paquets de dix sous les portes, les accrochait aux cordons des sonnettes, les distribuait en guise de journaux, les glissait, au théâtre, dans les chapeaux et dans les poches des spectateurs. Ensuite on lui avait donné de l’argent pour faire cette besogne qu’il avait acceptée «parce qu’il fallait vivre!» Dans deux provinces il avait colporté de district en district «toutes sortes de vilenies». Ô Nicolas Vsévolodovitch, s’écria-t-il, rien ne me révoltait comme ces attaques dirigées contre les lois civiles et surtout celles de la patrie. «Prenez des fourches, lisait-on dans ces papiers, songez que celui qui, le matin, sortira pauvre de chez lui pourra, le soir, y rentrer riche.» «Fermez au plus tôt les églises, était-il dit dans une proclamation de cinq ou six lignes adressée à toute la Russie, anéantissez Dieu, abolissez le mariage, supprimez le droit d’hériter, prenez des couteaux.» Le diable sait ce qu’il y avait ensuite. Ces horreurs me faisaient frissonner, mais je les distribuais tout de même. Un jour il faillit m’en cuire: je fus surpris par des officiers au moment où j’essayais d’introduire dans une caserne cette proclamation de cinq lignes, heureusement ils se contentèrent de me rosser, après quoi ils me laissèrent partir: que Dieu les en récompense! Ici, l’an dernier, je fus sur le point d’être arrêté quand je remis à Korovaïeff de faux assignats fabriqués en France, mais, grâce à Dieu, sur ces entrefaites Korovaïeff, étant ivre, se noya dans un étang, et l’on ne put rien prouver contre moi. Ici j’ai proclamé chez Virguinsky la liberté de la femme sociale. Au mois de juin j’ai de nouveau répandu différents papiers dans le district de ***. Il paraît qu’on veut encore m’y forcer… Pierre Stépanovitch me donne à entendre que je dois obéir. Depuis longtemps déjà il me menace. Et comme il m’a traité l’autre dimanche! Nicolas Vsévolodovitch, je suis un esclave, je suis un ver, mais non un Dieu, par là seulement je me distingue de Derjavine. Vous voyez quelle est ma détresse.
Stavroguine l’écouta avec curiosité jusqu’au bout.
– Je ne savais pas tout cela, dit-il; – naturellement, à un homme comme vous tout peut arriver… Écoutez, poursuivit-il après avoir réfléchi un instant, – si vous voulez, dites-leur, dites à qui vous savez, que les propos de Lipoutine sont des contes et que vos menaces de dénonciation ne visaient que moi, parce que, me croyant compromis aussi, vous comptiez de la sorte m’extorquer plus d’argent… Vous comprenez?
– Nicolas Vsévolodovitch, mon cher, se peut-il donc que je sois exposé à un pareil danger? Il me tardait de vous voir pour vous questionner.