Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Gaganoff et Maurice Nikolaïévitch arrivèrent sur le terrain dans un élégant break attelé de deux chevaux et conduit par Artémii Pétrovitch; avec eux se trouvait un laquais. Presque au même instant parurent trois cavaliers: c’étaient Nicolas Vsévolodovitch et Kiriloff accompagnés d’un domestique. Kiriloff, qui montait à cheval pour la première fois de sa vie, avait en selle une attitude très crâne; il tenait dans sa main droite sa lourde boîte de pistolets qu’il n’avait pas voulu confier au domestique et dans sa main gauche les rênes de sa monture, mais, par suite de son inexpérience, il les tirait sans cesse; aussi le cheval secouait la tête et manifestait l’envie de se cabrer, ce qui, du reste, n’effrayait nullement l’ingénieur. Ombrageux et facilement irritable, Gaganoff vit dans l’arrivée des cavaliers une nouvelle insulte pour lui: ses ennemis se croyaient donc bien sûrs du succès puisqu’ils avaient même négligé de se munir d’une voiture pour ramener le blessé, le cas échéant! Il mit pied à terre, livide de rage, et sentit que ses mains tremblaient, ce dont il fit l’observation à Maurice Nikolaïévitch. Nicolas Vsévolodovitch le salua, il ne lui rendit point son salut et lui tourna le dos. Le sort consulté sur le choix des armes décida en faveur des pistolets de Kiriloff. Après avoir fixé la barrière, les témoins mirent en place les combattants, puis ordonnèrent aux laquais de se porter à trois cents pas plus loin avec le break et les chevaux. Ensuite on chargea les pistolets et on les remit aux adversaires.
Durant tous ces préparatifs, Maurice Nikolaïévitch était sombre et soucieux. Par contre, Kiriloff avait l’air parfaitement calme et indifférent. Il remplissait les obligations de son mandat avec le soin le plus minutieux, mais sans trahir la moindre inquiétude; la perspective d’un dénouement fatal ne semblait pas l’émouvoir. Nicolas Vsévolodovitch, plus pâle que de coutume, était assez légèrement vêtu: il portait un paletot et un chapeau de castor blanc. Il paraissait très fatigué, fronçait le sourcil de temps à autre, et ne cherchait pas du tout à cacher le sentiment désagréable qu’il éprouvait. Mais de tous le plus remarquable en ce moment était Artémii Pétrovitch, attendu qu’il n’offrait rien de particulier à signaler.
II
Je n’ai pas encore parlé de son extérieur. C’était un homme de trente-trois ans, grand et assez gros, «bien nourri», comme dit le peuple. Il avait le teint blanc, les cheveux blonds et rares; ses traits ne manquaient pas de distinction. Artémii Pétrovitch avait quitté la carrière des armes avec le grade de colonel; s’il eût continué à servir, il est très possible qu’il serait devenu un de nos bons généraux.
La principale cause pour laquelle il avait donné sa démission était l’idée fixe que son nom était déshonoré depuis l’insulte que Nicolas Vsévolodovitch avait faite à son père. Il croyait positivement qu’il ne pouvait plus rester dans l’armée, et que sa présence au régiment était une honte pour ses camarades, quoique aucun d’eux n’eût connaissance du fait. En ce moment, debout à sa place, il était en proie à une inquiétude extrême. Il lui semblait toujours que le duel n’aurait pas lieu, le moindre retard l’exaspérait. Une sensation maladive se manifesta sur son visage lorsque Kiriloff, au lieu de donner le signal du combat, adressa aux deux adversaires la question accoutumée:
– C’est seulement pour la forme; maintenant que les pistolets sont en main et qu’on va commander le feu, une dernière fois voulez-vous vous réconcilier? J’accomplis mon devoir de témoin.
Maurice Nikolaïévitch saisit la balle au bond: jusqu’alors il était resté silencieux, mais, depuis la veille, il s’en voulait de sa condescendance.
– Je m’associe complètement aux paroles de M. Kiriloff… Cette idée qu’on ne peut se réconcilier sur le terrain est un préjugé bon pour les Français… D’ailleurs, il y a longtemps que je voulais le dire, je ne vois point ici de motif à une rencontre… Car toutes les excuses sont offertes, n’est-ce pas?
Il prononça ces mots le visage couvert de rougeur. Il n’avait pas l’habitude de parler aussi longtemps, et il était fort agité.
– Je renouvelle mon offre de présenter toutes les excuses possibles, répondit avec un empressement extraordinaire Nicolas Vsévolodovitch.
– Est-ce que c’est possible? cria Gaganoff furieux (il s’adressait à Maurice Nikolaïévitch et trépignait de colère); – si vous êtes mon témoin et non mon ennemi, Maurice Nikolaïévitch, expliquez à cet homme (il montra avec son pistolet Nicolas Vsévolodovitch) – que de pareilles concessions ne font qu’aggraver l’offense! Il se juge au-dessus de mes insultes!… Sur le terrain même il ne voit aucun déshonneur à refuser un duel avec moi! Pour qui donc me prend-il après cela? je vous le demande. Et vous êtes mon témoin! Vous ne faites que m’irriter pour que je le manque.
De nouveau il frappa du pied, l’écume blanchissait ses lèvres.
– Les pourparlers sont terminés. Attention au commandement! cria de toute sa force Kiriloff. – Un! Deux! Trois!
Au mot trois, Gaganoff et Stavroguine se dirigèrent l’un vers l’autre. Le premier leva aussitôt son pistolet, et, après avoir fait cinq ou six pas, tira. Durant une seconde il s’arrêta, puis, convaincu que son adversaire n’avait pas été atteint, il s’approcha rapidement de la barrière. Nicolas Vsévolodovitch s’avança aussi, leva son pistolet, mais fort haut, et tira presque sans viser. Ensuite il prit son mouchoir dont il entoura le petit doigt de sa main droite. Alors seulement on s’aperçut qu’Artémii Pétrovitch n’avait pas tout à fait manqué son ennemi, mais la balle ayant simplement frôlé les parties molles du doigt sans toucher l’os, il n’en était résulté pour Nicolas Vsévolodovitch qu’une égratignure insignifiante. Kiriloff déclara immédiatement que si les adversaires n’étaient pas satisfaits, le duel allait continuer.
Gaganoff s’adressa à Maurice Nikolaïévitch:
– Je déclare, fit-il d’une voix rauque (les mots avaient peine à sortir de sa gorge desséchée), – que cet homme (ce disant, il montrait encore Stavroguine avec son pistolet) a tiré en l’air exprès… de propos délibéré… C’est une nouvelle offense! Il veut rendre le duel impossible!
– J’ai le droit de tirer comme je veux, pourvu que je me conforme aux règlements, – observa d’un ton ferme Nicolas Vsévolodovitch.
– Non, il ne l’a pas! Faites-le-lui comprendre! cria Gaganoff.
– Je partage tout à fait l’opinion de Nicolas Vsévolodovitch, dit à haute voix Kiriloff.
– Pourquoi m’épargne-t-il? vociféra Artémii Pétrovitch, qui n’avait pas écouté l’ingénieur. – Je méprise sa clémence… Je crache dessus… Je…
– Je vous donne ma parole que je n’ai nullement voulu vous offenser, dit avec impatience Stavroguine, – j’ai tiré en l’air, parce que je ne veux plus tuer personne, pas plus vous qu’un autre; ma résolution n’a rien qui vous soit personnel. Il est vrai que je ne me considère pas comme insulté, et je regrette que cela vous fâche. Mais je ne permets à personne de s’immiscer dans mon droit.
– S’il n’a pas peur de verser le sang, demandez-lui pourquoi il m’a appelé sur le terrain! cria Gaganoff s’adressant comme toujours à Maurice Nikolaïévitch.