Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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La porte du vestibule, grande ouverte, donnait accès dans une chambre éclairée par deux bougies.
– J’avais votre parole, sans cela, j’aurais désespéré de votre visite.
Nicolas Vsévolodovitch regarda sa montre.
– Minuit trois quarts, dit-il en pénétrant dans la chambre.
– Et puis la pluie, la distance qui est si longue… Je n’ai pas de montre, et de la fenêtre on n’aperçoit que des jardins, de sorte que… on est en retard sur les événements… mais je ne murmure pas, je ne voudrais pas me permettre; seulement, depuis huit jours, je suis dévoré d’impatience, il me tarde d’arriver enfin… à une solution.
– Comment?
– D’entendre l’arrêt qui décidera de mon sort, Nicolas Vsévolodovitch. Je vous en prie…
Il s’inclina en indiquant un siège à Stavroguine.
Ce dernier parcourut des yeux la chambre; petite et basse, elle ne contenait en fait de meubles que le strict nécessaire: des chaises et un divan en bois, tout nouvellement fabriqués, sans garnitures et sans coussins; deux petites tables de tilleul, l’une près du divan, l’autre dans un coin; celle-ci, couverte d’une nappe, était chargée de choses sur lesquelles on avait étendu une serviette fort propre. Du reste, toute la chambre paraissait tenue très proprement. Depuis huit jours la capitaine ne s’était pas enivré; il avait le visage enflé et jaune; son regard était inquiet, curieux et évidemment indécis; on voyait que Lébiadkine ne savait pas encore quel ton il devait prendre et quelle attitude servirait le mieux ses intérêts.
– Voilà, dit-il en promenant le bras autour de lui, – je vis comme un Zosime. Sobriété, solitude et pauvreté: les trois vœux des anciens chevaliers.
– Vous supposez que les anciens chevaliers faisaient de tels vœux?
– Je me suis peut-être trompé! Hélas, je n’ai pas d’instruction! J’ai tout perdu! Le croirez-vous, Nicolas Vsévolodovitch? ici, pour la première fois, j’ai secoué le joug des passions honteuses – pas un petit verre, pas une goutte! J’ai un gîte, et depuis six jours je goûte les joies de la conscience. Ces murs mêmes ont une bonne odeur de résine qui rappelle la nature. Mais qu’étais-je? Qu’étais-je?
«N’ayant point d’abri pour la nuit,
pendant le jour tirant la langue»,
selon l’expression du poète! Mais… vous êtes tout trempé… Voulez-vous prendre du thé?
– Ne vous dérangez pas.
– Le samovar bouillait avant huit heures, mais… il est refroidi… comme tout dans le monde. Le soleil même, dit-on se refroidira à son tour… Du reste, s’il le faut, je vais donner des ordres à Agafia, elle n’est pas encore couchée.
– Dites-moi, Marie Timoféievna…
– Elle est ici, elle est ici, répondit aussitôt à voix basse Lébiadkine, – voulez-vous la voir? ajouta-t-il en montrant une porte à demi fermée.
– Elle ne dort pas?
– Oh! non, non, est-ce possible? Au contraire, elle vous attend depuis le commencement de la soirée, et, dès qu’elle a su que vous deviez venir, elle s’est empressée de faire toilette, reprit le capitaine; en même temps il voulut esquisser un sourire jovial, mais il s’en tint à l’intention.
– Comment est-elle en général? demanda Nicolas Vsévolodovitch dont les sourcils se froncèrent.
Le capitaine leva les épaules en signe de compassion.
– En général? vous le savez vous-même, mais maintenant… maintenant elle se tire les cartes.
– Bien, plus tard; d’abord il faut en finir avec vous.
Nicolas Vsévolodovitch s’assit sur une chaise.
Le capitaine n’osa pas s’asseoir sur le divan, il se hâta de prendre une autre chaise, et, anxieux, se prépara à entendre ce que Stavroguine avait à lui dire.
Soudain l’attention de celui-ci fut attirée par la table placée dans le coin.
– Qu’est-ce qu’il y a sous cette nappe? demanda-t-il.
– Cela? fit Lébiadkine en se retournant vers l’objet indiqué, – cela provient de vos libéralités: je voulais, pour ainsi dire, pendre ma crémaillère, et l’idée m’était venue aussi qu’après une si longue course vous auriez besoin de vous restaurer, acheva-t-il avec un petit rire; puis il se leva, s’approcha tout doucement de la table et enleva la nappe avec précaution. Alors apparut une collation très proprement servie et offrant un coup d’œil fort agréable: il y avait là du jambon, du veau, des sardines, du fromage, un petit carafon verdâtre et une longue bouteille de bordeaux.
– C’est vous qui vous êtes occupé de cela?
– Oui. Depuis hier je n’ai rien négligé pour faire honneur… Sur ce chapitre, vous le savez vous-même, Marie Timoféievna est fort indifférente. Mais, je le répète, tout cela provient de vos libéralités, tout cela est à vous, car vous êtes ici le maître, et moi, je ne suis en quelque sorte que votre employé; néanmoins, Nicolas Vsévolodovitch, néanmoins, d’esprit je suis indépendant! Ne m’enlevez pas ce dernier bien, le seul qui me reste! ajouta-t-il d’un ton pathétique.
– Hum!… vous devriez vous asseoir.
– Re-con-nais-sant, reconnaissant et indépendant! (Il s’assit.) Ah! Nicolas Vsévolodovitch, ce cœur est si plein que je me demandais s’il n’éclaterait pas avant votre arrivée! Voilà que maintenant vous allez décider mon sort et… celui de cette malheureuse; et là… là, comme autrefois, comme il y a quatre ans, je m’épancherai avec vous! Dans ce temps-là vous daigniez m’entendre, vous lisiez mes strophes… Alors vous m’appeliez votre Falstaff, mais qu’importe? vous avez tant marqué dans ma vie!… J’ai maintenant de grandes craintes, de vous seul j’attends un conseil, une lumière. Pierre Stépanovitch me traite d’une façon effroyable!
Stavroguine l’écoutait avec curiosité et fixait sur lui un regard sondeur. Évidemment le capitaine Lébiadkine, quoiqu’il eût cessé de s’enivrer, était loin d’avoir recouvré la plénitude de ses facultés mentales. Les gens qui se sont adonnés à la boisson durant de longues années conservent toujours quelque chose d’incohérent, de trouble et de détraqué; du reste, cette sorte de folie ne les empêche pas de se montrer rusés au besoin et de tromper leur monde presque aussi bien que les autres.
– Je vois que vous n’avez pas du tout changé, capitaine, depuis plus de quatre ans, observa d’un ton un peu plus affable Nicolas Vsévolodovitch. – Cela prouve que la seconde partie de la vie humaine se compose exclusivement des habitudes contractées pendant la première.
– Grande parole qui tranche le nœud gordien de la vie! s’écria Lébiadkine avec une admiration moitié hypocrite, moitié sincère, car il aimait beaucoup les belles sentences. – Parmi toutes vos paroles, Nicolas Vsévolodovitch, il en est une surtout que je me rappelle, vous l’avez prononcée à Pétersbourg: «Il faut être un grand homme pour savoir résister au bon sens.» Voilà!