Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Vous êtes un psychologue, – répondit Stavroguine de plus en plus pâle, – quoique vous vous soyez mépris en partie sur les causes de mon mariage… Qui, du reste, peut vous avoir donné tous ces renseignements? ajouta-t-il avec un sourire forcé, – serait-ce Kiriloff? Mais il ne prenait point part…
– Vous pâlissez?
– Que voulez-vous donc? répliqua Nicolas Vsévolodovitch élevant enfin la voix, – depuis une demi-heure je subis votre knout, et vous pourriez au moins me congédier poliment… si en effet vous n’avez aucun motif raisonnable pour en user ainsi avec moi.
– Aucun motif raisonnable?
– Sans doute. À tout le moins vous deviez m’expliquer enfin votre but. J’attendais toujours que vous le fissiez, mais au lieu de l’explication espérée, je n’ai trouvé chez vous qu’une colère folle. Ouvrez-moi la porte, je vous prie.
Il se leva pour sortir. Chatoff furieux s’élança sur ses pas.
– Baisez la terre, arrosez-la de vos larmes, demandez pardon! cria-t-il en saisissant le visiteur par l’épaule.
– Pourtant je ne vous ai pas tué… ce matin-là… j’ai retiré mes mains qui vous avaient déjà empoigné… fit presque douloureusement Stavroguine en baissant les yeux.
– Achevez, achevez! vous êtes venu m’informer du danger que je cours, vous m’avez laissé parler, vous voulez demain rendre public votre mariage!… Est-ce que je ne lis pas sur votre visage que vous êtes vaincu par une nouvelle et terrible pensée?… Stavroguine, pourquoi suis-je condamné à toujours croire en vous? Est-ce que j’aurais pu parler ainsi à un autre? J’ai de la pudeur et je n’ai pas craint de me mettre tout nu, parce que je parlais à Stavroguine. Je n’ai pas eu peur de ridiculiser, en me l’appropriant, une grande idée, parce que Stavroguine m’entendait… Est-ce que je ne baiserai pas la trace de vos pieds, quand vous serez parti? Je ne puis vous arracher de mon cœur, Nicolas Stavroguine!
– Je regrette de ne pouvoir vous aimer, Chatoff, dit froidement Nicolas Vsévolodovitch.
– Je sais que cela vous est impossible, vous ne mentez pas. Écoutez, je puis remédier à tout: je vous procurerai le lièvre!
Stavroguine garda le silence.
– Vous êtes athée, parce que vous êtes un baritch, le dernier baritch. Vous avez perdu la distinction du bien et du mal, vous avez cessé de connaître votre peuple… Il viendra une nouvelle génération, sortie directement des entrailles du peuple, et vous ne la reconnaîtrez pas, ni vous, ni les Verkhovensky, père et fils, ni moi, car je suis aussi un baritch, quoique fils de votre serf, le laquais Pachka… Écoutez, cherchez Dieu par le travail; tout est là; sinon, vous disparaîtrez comme une vile pourriture; cherchez Dieu par le travail.
– Par quel travail?
– Celui du moujik. Allez, abandonnez vos richesses… Ah! vous riez, vous trouvez le moyen un peu roide?
Mais Stavroguine ne riait pas.
– Vous supposez qu’on peut trouver Dieu par le travail et, en particulier, le travail du moujik? demanda-t-il en réfléchissant, comme si en effet cette idée lui eût paru valoir la peine d’être examinée. – À propos, continua-t-il, – savez-vous que je ne suis pas riche du tout, de sorte que je n’aurai rien à abandonner? J’ai à peine le moyen d’assurer l’existence de Marie Timoféievna… Voici encore une chose: j’étais venu vous prier de conserver, si cela vous est possible, votre intérêt à Marie Timoféievna, attendu que vous seul pouvez avoir une certaine influence sur son pauvre esprit… Je dis cela à tout hasard.
Chatoff qui, d’une main, tenait une bougie agita l’autre en signe d’impatience.
– Bien, bien, vous parlez de Marie Timoféievna, bien, plus tard… Écoutez, allez voir Tikhon.
– Qui?
– Tikhon. C’est un ancien évêque, il a du quitter ses fonctions pour cause de maladie, et il habite ici en ville, au monastère de Saint-Euthyme.
– À quoi cela ressemblera-t-il?
– Laissez-donc, c’est la chose la plus simple du monde. Allez-y, qu’est-ce que cela vous fait?
– C’est la première fois que j’entends parler de lui et… je n’ai encore jamais fréquenté cette sorte de gens. Je vous remercie, j’irai.
Chatoff éclaira le visiteur dans l’escalier et ouvrit la porte de la rue.
– Je ne viendrai plus chez vous, Chatoff, dit à voix basse Stavroguine au moment où il mettait le pied dehors.
L’obscurité était toujours aussi épaisse, et la pluie n’avait rien perdu de sa violence.
CHAPITRE II LA NUIT (suite).
I
Il suivit toute la rue de l’Épiphanie et atteignit enfin le bas de la montagne. Il trottait dans la boue, soudain s’offrit à lui comme un espace large et vide, à demi caché par le brouillard, – c’était la rivière. Les maisons n’étaient plus que des masures, la rue faisait mille tours et détours parmi lesquels il était difficile de se reconnaître. Néanmoins Nicolas Vsévolodovitch trouvait son chemin sans presque y songer. De tout autres pensées l’occupaient, et il ne fut pas peu surpris quand, sortant de sa rêverie et levant les yeux, il se vit tout à coup au milieu du pont. Pas une âme ne se montrait aux alentours. Grand fut donc l’étonnement de Stavroguine lorsqu’il s’entendit interpeller avec une familiarité polie par une voix qui semblait venir de dessous son coude. La voix, assez agréable du reste, avait ces inflexions douces qu’affectent chez nous les bourgeois trop civilisés et les élégants commis de magasin.
– Voulez-vous me permettre, monsieur, de profiter de votre parapluie?
En effet, une forme humaine se glissait ou faisait semblant de se glisser sous le parapluie de Nicolas Vsévolodovitch. Celui-ci ralentit le pas et se pencha pour examiner, autant que l’obscurité le permettait, le promeneur nocturne qui s’était mis à marcher côte à côte avec lui. Cet homme était de taille peu élevée et avait l’air d’un petit bourgeois, il n’était ni chaudement ni élégamment vêtu. Une casquette de drap toute mouillée que la visière menaçait d’abandonner bientôt coiffait sa tête noire et crépue. Ce devait être un individu de quarante ans, brun, maigre, robuste; ses grands yeux noirs et brillants avaient un reflet jaune pareil à celui qu’on remarque chez les Tziganes. Il ne paraissait pas ivre.
– Tu me connais? demanda Nicolas Vsévolodovitch.
– Monsieur Stavroguine, Nicolas Vsévolodovitch: il y a eu dimanche huit jours on vous a montré à moi à la station, aussitôt que le train s’est arrêté. D’ailleurs, j’avais déjà beaucoup entendu parles de vous.
– Par Pierre Stépanovitch? Tu… tu es Fedka le forçat?
– On m’a baptisé Fédor Fédorovitch; j’ai encore ma mère qui habite dans ce pays-ci; la bonne femme prie pour moi jour et nuit afin de ne pas perdre son temps sur le poêle où elle est continuellement couchée.