Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Vous avez dit que personne n’avait jamais reçu une pareille lettre, observa Kiriloff: – cela est arrivé plus d’une fois. Quand on est furieux, que n’écrit-on pas? Vous connaissez la lettre de Pouchkine à Heeckeren. C’est bien. J’irai. Donnez-moi vos instructions.
Nicolas Vsévolodovitch dit à l’ingénieur qu’il désirait terminer cette affaire dans les vingt-quatre heures; pour commencer, il voulait absolument renouveler ses excuses et même s’engager à écrire une seconde lettre dans ce sens; mais, de son côté, Gaganoff promettrait de ne plus lui adresser de lettres; quant à celle qu’il avait écrite, elle serait considérée comme non avenue.
– C’est beaucoup trop de concessions, et elles ne le satisferont pas, répondit Kiriloff.
– Avant tout j’étais venu vous demander si vous consentiriez à lui porter ces conditions.
– Je les lui porterai. C’est votre affaire. Mais il ne les acceptera pas.
– Je le sais bien.
– Il veut se battre. Dites-moi comment vous entendez que le duel ait lieu.
– Je tiens beaucoup à ce que tout soit fini demain. Allez chez lui à neuf heures. Vous lui ferez part de mes propositions, il les repoussera et vous abouchera avec son témoin, – il sera alors onze heures, je suppose. Vous confèrerez avec ce témoin, et, à une heure ou à deux heures, tout le monde pourra se trouver sur le terrain. Je vous en prie, tâchez d’arranger les choses de la sorte. L’arme sera, naturellement, le pistolet. Les deux barrières seront séparées par un espace de dix pas, vous placerez chacun de nous à dix pas de sa barrière, et, au signal donné, nous marcherons l’un contre l’autre. Chacun devra nécessairement s’avancer jusqu’à sa barrière, mais il pourra tirer avant d’y être arrivé. Voilà tout, je pense.
– Dix pas entre les deux barrières, c’est une bien petite distance, objecta Kiriloff.
– Allons, mettons-en douze, mais pas plus, vous comprenez qu’il veut un duel sérieux. Vous savez charger un pistolet?
– Oui. J’ai des pistolets; je donnerai ma parole que vous ne vous en êtes pas servi. Son témoin en fera autant pour ceux qu’il aura apportés, et le sort décidera avec quelle paire de pistolets on se battra.
– Très bien.
– Voulez-vous voir mes pistolets?
– Soit.
La malle de Kiriloff était dans un coin, il ne l’avait pas encore défaite, mais il en retirait ses affaires au fur et à mesure qu’il en avait besoin.
L’ingénieur y prit une boîte en bois de palmier, capitonnée de velours à l’intérieur, et contenant une paire de pistolets superbes.
– Tout est là: poudre, balles, cartouches. J’ai aussi un revolver; attendez.
Il fouilla de nouveau dans sa malle et en sortit une autre boîte qui renfermait un revolver américain à six coups.
– Vous n’avez pas mal d’armes, et elles sont d’une grande valeur.
– D’une grande valeur.
Pauvre, presque indigent, Kiriloff, qui, du reste, ne s’apercevait jamais de sa misère, était évidemment bien aise d’exhiber aux yeux du visiteur ces armes de luxe dont l’achat avait sans doute entraîné pour lui bien des sacrifices.
– Vous êtes toujours dans les mêmes idées? demanda Stavroguine après une minute de silence.
Nonobstant le vague de cette question, au ton dont elle était faite l’ingénieur devina immédiatement à quoi elle se rapportait.
– Oui, répondit-il laconiquement tandis qu’il serrait les armes étalées sur la table.
– Quand donc? reprit en termes plus vagues encore Nicolas Vsévolodovitch après un nouveau silence.
Pendant ce temps, Kiriloff avait remis les deux boîtes dans la malle et s’était rassis à son ancienne place.
– Cela ne dépend pas de moi, comme vous savez; quand on me le dira, marmotta-t-il entre ses dents; cette question semblait le contrarier un peu, mais en même temps il paraissait disposé à répondre à toutes les autres. Ses yeux noirs et ternes restaient figés sur le visage de Stavroguine, leur regard tranquille était bon et affable.
Nicolas Vsévolodovitch se tut pendant trois minutes.
– Sans doute je comprends qu’on se brûle la cervelle, commença-t-il ensuite en fronçant légèrement les sourcils, – parfois moi-même j’ai songé à cela, et il m’est venu une idée nouvelle: si l’on commet un crime, ou pire encore, un acte honteux, déshonorant et… ridicule, un acte destiné à vous couvrir de mépris pendant mille ans, on peut se dire: «Un coup de pistolet dans la tempe, et plus rien de tout cela n’existera.» Qu’importent alors les jugements des hommes et leur mépris durant mille ans, n’est-il pas vrai?
– Vous appelez cela une idée nouvelle? demanda Kiriloff songeur…
– Je… je ne l’appelle pas ainsi… mais une fois, en y pensant, je l’ai sentie toute nouvelle.
– Vous l’avez «sentie»? reprit l’ingénieur, – c’est bien dire. Il y a beaucoup d’idées qu’on a toujours eues, et qui, à un moment donné, paraissent tout d’un coup nouvelles. C’est vrai. À présent je vois bien des choses comme pour la première fois.
Sans l’écouter, Stavroguine poursuivit le développement de sa pensée:
– Mettons que vous ayez vécu dans la lune, c’est là, je suppose, que vous avez commis toutes ces vilenies ridicules… Ici vous savez, à n’en pas douter, que là on se moquera de vous pendant mille ans, que pendant toute l’éternité toute la lune crachera sur votre mémoire. Mais maintenant vous êtes ici, et c’est de la terre que vous regardez la lune: peu vous importent, n’est-ce pas, les sottises que vous avez faites dans cet astre, et il vous est parfaitement égal d’être pendant un millier d’années en butte au mépris de ses habitants?
– Je ne sais pas, répondit Kiriloff, – je n’ai pas été dans la lune, ajouta-t-il sans ironie, simplement pour constater un fait.
– À qui est cet enfant que j’ai vu ici tout à l’heure?
– La belle-mère de la vieille est arrivée; c'est-à-dire, non, sa belle-fille… cela ne fait rien. Il y a trois jours. Elle est malade, avec un enfant; la nuit il crie beaucoup, il a mal au ventre. La mère dort, et la vieille apporte l’enfant ici; je l’amuse avec une balle. Cette balle vient de Hambourg. Je l’y ai achetée, pour la lancer et la rattraper; cela fortifie le dos. C’est une petite fille.
– Vous aimez les enfants?
– Je les aime, dit Kiriloff d’un ton assez indifférent, du reste.
– Alors vous aimez aussi la vie?
– Oui, j’aime aussi la vie, cela vous étonne?
– Mais vous êtes décidé à vous brûler la cervelle?
– Eh bien? Pourquoi mêler deux choses qui sont distinctes l’une de l’autre? La vie existe et la mort n’existe pas.