Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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En effet, la position était terrible. Buckingham était retourné à Londres, Mme de Chevreuse était à Tours. Plus surveillée que jamais, la reine sentait sourdement qu’une de ses femmes la trahissait, sans savoir dire laquelle. La Porte ne pouvait pas quitter le Louvre. Elle n’avait pas une âme au monde à qui se fier.
Aussi, en présence du malheur qui la menaçait et de l’abandon qui était le sien, éclata-t-elle en sanglots.
«Ne puis-je donc être bonne à rien à Votre Majesté?» dit tout à coup une voix pleine de douceur et de pitié.
La reine se retourna vivement, car il n’y avait pas à se tromper à l’expression de cette voix: c’était une amie qui parlait ainsi.
En effet, à l’une des portes qui donnaient dans l’appartement de la reine apparut la jolie Mme Bonacieux; elle était occupée à ranger les robes et le linge dans un cabinet, lorsque le roi était entré; elle n’avait pas pu sortir, et avait tout entendu.
La reine poussa un cri perçant en se voyant surprise, car dans son trouble elle ne reconnut pas d’abord la jeune femme qui lui avait été donnée par La Porte.
«Oh! ne craignez rien, madame, dit la jeune femme en joignant les mains et en pleurant elle-même des angoisses de la reine; je suis à Votre Majesté corps et âme, et si loin que je sois d’elle, si inférieure que soit ma position, je crois que j’ai trouvé un moyen de tirer Votre Majesté de peine.
– Vous! ô Ciel! vous! s’écria la reine; mais voyons regardez-moi en face. Je suis trahie de tous côtés, puis-je me fier à vous?
– Oh! madame! s’écria la jeune femme en tombant à genoux: sur mon âme, je suis prête à mourir pour Votre Majesté!»
Ce cri était sorti du plus profond du cœur, et, comme le premier, il n’y avait pas à se tromper.
«Oui, continua Mme Bonacieux, oui, il y a des traîtres ici; mais, par le saint nom de la Vierge, je vous jure que personne n’est plus dévoué que moi à Votre Majesté. Ces ferrets que le roi redemande, vous les avez donnés au duc de Buckingham, n’est-ce pas? Ces ferrets étaient enfermés dans une petite boîte en bois de rose qu’il tenait sous son bras? Est-ce que je me trompe? Est-ce que ce n’est pas cela?
– Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura la reine dont les dents claquaient d’effroi.
– Eh bien, ces ferrets, continua Mme Bonacieux, il faut les ravoir.
– Oui, sans doute, il le faut, s’écria la reine; mais comment faire, comment y arriver?
– Il faut envoyer quelqu’un au duc.
– Mais qui?… qui?… à qui me fier?
– Ayez confiance en moi, madame; faites-moi cet honneur, ma reine, et je trouverai le messager, moi!
– Mais il faudra écrire!
– Oh! oui. C’est indispensable. Deux mots de la main de Votre Majesté et votre cachet particulier.
– Mais ces deux mots, c’est ma condamnation. C’est le divorce, l’exil!
– Oui, s’ils tombent entre des mains infâmes! Mais je réponds que ces deux mots seront remis à leur adresse.
– Oh! mon Dieu! il faut donc que je remette ma vie, mon honneur, ma réputation entre vos mains!
– Oui! oui, madame, il le faut, et je sauverai tout cela, moi!
– Mais comment? dites-le-moi au moins.
– Mon mari a été remis en liberté il y a deux ou trois jours; je n’ai pas encore eu le temps de le revoir. C’est un brave et honnête homme qui n’a ni haine, ni amour pour personne. Il fera ce que je voudrai: il partira sur un ordre de moi, sans savoir ce qu’il porte, et il remettra la lettre de Votre Majesté, sans même savoir qu’elle est de Votre Majesté, à l’adresse qu’elle indiquera.»
La reine prit les deux mains de la jeune femme avec un élan passionné, la regarda comme pour lire au fond de son cœur, et ne voyant que sincérité dans ses beaux yeux, elle l’embrassa tendrement.
«Fais cela, s’écria-t-elle, et tu m’auras sauvé la vie, tu m’auras sauvé l’honneur!
– Oh! n’exagérez pas le service que j’ai le bonheur de vous rendre; je n’ai rien à sauver à Votre Majesté, qui est seulement victime de perfides complots.
– C’est vrai, c’est vrai, mon enfant, dit la reine, et tu as raison.
– Donnez-moi donc cette lettre, madame, le temps presse.»
La reine courut à une petite table sur laquelle se trouvaient encre, papier et plumes: elle écrivit deux lignes, cacheta la lettre de son cachet et la remit à Mme Bonacieux.
«Et maintenant, dit la reine, nous oublions une chose nécessaire.
– Laquelle?
– L’argent.»
Mme Bonacieux rougit.
«Oui, c’est vrai, dit-elle, et j’avouerai à Votre Majesté que mon mari…
– Ton mari n’en a pas, c’est cela que tu veux dire.
– Si fait, il en a, mais il est fort avare, c’est là son défaut. Cependant, que Votre Majesté ne s’inquiète pas, nous trouverons moyen…
– C’est que je n’en ai pas non plus, dit la reine (ceux qui liront les Mémoires de Mme de Motteville ne s’étonneront pas de cette réponse); mais, attends.»
Anne d’Autriche courut à son écrin.
«Tiens, dit-elle, voici une bague d’un grand prix à ce qu’on assure; elle vient de mon frère le roi d’Espagne, elle est à moi et j’en puis disposer. Prends cette bague et fais-en de l’argent, et que ton mari parte.
– Dans une heure vous serez obéie.
– Tu vois l’adresse, ajouta la reine, parlant si bas qu’à peine pouvait-on entendre ce qu’elle disait: à Milord duc de Buckingham, à Londres.
– La lettre sera remise à lui-même.
– Généreuse enfant!» s’écria Anne d’Autriche.
Mme Bonacieux baisa les mains de la reine, cacha le papier dans son corsage et disparut avec la légèreté d’un oiseau.
Dix minutes après, elle était chez elle; comme elle l’avait dit à la reine, elle n’avait pas revu son mari depuis sa mise en liberté; elle ignorait donc le changement qui s’était fait en lui à l’endroit du cardinal, changement qu’avaient opéré la flatterie et l’argent de Son Éminence et qu’avaient corroboré, depuis, deux ou trois visites du comte de Rochefort, devenu le meilleur ami de Bonacieux, auquel il avait fait croire sans beaucoup de peine qu’aucun sentiment coupable n’avait amené l’enlèvement de sa femme, mais que c’était seulement une précaution politique.
Elle trouva M. Bonacieux seul: le pauvre homme remettait à grand-peine de l’ordre dans la maison, dont il avait trouvé les meubles à peu près brisés et les armoires à peu près vides, la justice n’étant pas une des trois choses que le roi Salomon indique comme ne laissant point de traces de leur passage. Quant à la servante, elle s’était enfuie lors de l’arrestation de son maître. La terreur avait gagné la pauvre fille au point qu’elle n’avait cessé de marcher de Paris jusqu’en Bourgogne, son pays natal.
Le digne mercier avait, aussitôt sa rentrée dans sa maison, fait part à sa femme de son heureux retour, et sa femme lui avait répondu pour le féliciter et pour lui dire que le premier moment qu’elle pourrait dérober à ses devoirs serait consacré tout entier à lui rendre visite.
Ce premier moment s’était fait attendre cinq jours, ce qui, dans toute autre circonstance, eût paru un peu bien long à maître Bonacieux; mais il avait, dans la visite qu’il avait faite au cardinal et dans les visites que lui faisait Rochefort, ample sujet à réflexion, et, comme on sait, rien ne fait passer le temps comme de réfléchir.
D’autant plus que les réflexions de Bonacieux étaient toutes couleur de rose. Rochefort l’appelait son ami, son cher Bonacieux, et ne cessait de lui dire que le cardinal faisait le plus grand cas de lui. Le mercier se voyait déjà sur le chemin des honneurs et de la fortune.
De son côté, Mme Bonacieux avait réfléchi, mais, il faut le dire, à tout autre chose que l’ambition; malgré elle, ses pensées avaient eu pour mobile constant ce beau jeune homme si brave et qui paraissait si amoureux. Mariée à dix-huit ans à M. Bonacieux, ayant toujours vécu au milieu des amis de son mari, peu susceptibles d’inspirer un sentiment quelconque à une jeune femme dont le cœur était plus élevé que sa position, Mme Bonacieux était restée insensible aux séductions vulgaires; mais, à cette époque surtout, le titre de gentilhomme avait une grande influence sur la bourgeoisie, et d’Artagnan était gentilhomme; de plus, il portait l’uniforme des gardes, qui, après l’uniforme des mousquetaires, était le plus apprécié des dames. Il était, nous le répétons, beau, jeune, aventureux; il parlait d’amour en homme qui aime et qui a soif d’être aimé; il y en avait là plus qu’il n’en fallait pour tourner une tête de vingt-trois ans, et Mme Bonacieux en était arrivée juste à cet âge heureux de la vie.