Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– Et d’ici là, que faire?
– Attendre.
– Mais s’ils arrivent?
– La voiture de mon frère arrivera avant eux.
– Si je suis loin de vous quand on viendra vous prendre; à dîner ou à souper, par exemple?
– Faites une chose.
– Laquelle?
– Dites à votre bonne supérieure que, pour nous quitter le moins possible, vous lui demanderez la permission de partager mon repas.
– Le permettra-t-elle?
– Quel inconvénient y a-t-il à cela?
– Oh! très bien, de cette façon nous ne nous quitterons pas un instant!
– Eh bien, descendez chez elle pour lui faire votre demande! je me sens la tête lourde, je vais faire un tour au jardin.
– Allez, et où vous retrouverai-je?
– Ici dans une heure.
– Ici dans une heure; oh! vous êtes bonne et je vous remercie.
– Comment ne m’intéresserais-je pas à vous? Quand vous ne seriez pas belle et charmante, n’êtes-vous pas l’amie d’un de mes meilleurs amis!
– Cher d’Artagnan, oh! comme il vous remerciera!
– Je l’espère bien. Allons! tout est convenu, descendons.
– Vous allez au jardin?
– Oui.
– Suivez ce corridor, un petit escalier vous y conduit.
– À merveille! merci.»
Et les deux femmes se quittèrent en échangeant un charmant sourire.
Milady avait dit la vérité, elle avait la tête lourde; car ses projets mal classés s’y heurtaient comme dans un chaos. Elle avait besoin d’être seule pour mettre un peu d’ordre dans ses pensées. Elle voyait vaguement dans l’avenir; mais il lui fallait un peu de silence et de quiétude pour donner à toutes ses idées, encore confuses, une forme distincte, un plan arrêté.
Ce qu’il y avait de plus pressé, c’était d’enlever Mme Bonacieux, de la mettre en lieu de sûreté, et là, le cas échéant, de s’en faire un otage. Milady commençait à redouter l’issue de ce duel terrible, où ses ennemis mettaient autant de persévérance qu’elle mettait, elle, d’acharnement.
D’ailleurs elle sentait, comme on sent venir un orage, que cette issue était proche et ne pouvait manquer d’être terrible.
Le principal pour elle, comme nous l’avons dit, était donc de tenir Mme Bonacieux entre ses mains. Mme Bonacieux, c’était la vie de d’Artagnan; c’était plus que sa vie, c’était celle de la femme qu’il aimait; c’était, en cas de mauvaise fortune, un moyen de traiter et d’obtenir sûrement de bonnes conditions.
Or, ce point était arrêté: Mme Bonacieux, sans défiance, la suivait; une fois cachée avec elle à Armentières, il était facile de lui faire croire que d’Artagnan n’était pas venu à Béthune. Dans quinze jours au plus, Rochefort serait de retour; pendant ces quinze jours, d’ailleurs, elle aviserait à ce qu’elle aurait à faire pour se venger des quatre amis. Elle ne s’ennuierait pas, Dieu merci, car elle aurait le plus doux passe-temps que les événements pussent accorder à une femme de son caractère: une bonne vengeance à perfectionner.
Tout en rêvant, elle jetait les yeux autour d’elle et classait dans sa tête la topographie du jardin. Milady était comme un bon général, qui prévoit tout ensemble la victoire et la défaite, et qui est tout près, selon les chances de la bataille, à marcher en avant ou à battre en retraite.
Au bout d’une heure, elle entendit une douce voix qui l’appelait; c’était celle de Mme Bonacieux. La bonne abbesse avait naturellement consenti à tout, et, pour commencer, elles allaient souper ensemble.
En arrivant dans la cour, elles entendirent le bruit d’une voiture qui s’arrêtait a la porte.
«Entendez-vous? dit-elle.
– Oui, le roulement d’une voiture.
– C’est celle que mon frère nous envoie.
– Oh! mon Dieu!
– Voyons, du courage!»
On sonna à la porte du couvent, Milady ne s’était pas trompée.
«Montez dans votre chambre, dit-elle à Mme Bonacieux, vous avez bien quelques bijoux que vous désirez emporter.
– J’ai ses lettres, dit-elle.
– Eh bien, allez les chercher et venez me rejoindre chez moi, nous souperons à la hâte, peut-être voyagerons-nous une partie de la nuit, il faut prendre des forces.
– Grand Dieu! dit Mme Bonacieux en mettant la main sur sa poitrine, le cœur m’étouffe, je ne puis marcher.
– Du courage, allons, du courage! pensez que dans un quart d’heure vous êtes sauvée, et songez que ce que vous allez faire, c’est pour lui que vous le faites.
– Oh! oui, tout pour lui. Vous m’avez rendu mon courage par un seul mot; allez, je vous rejoins.»
Milady monta vivement chez elle, elle y trouva le laquais de Rochefort, et lui donna ses instructions.
Il devait attendre à la porte; si par hasard les mousquetaires paraissaient, la voiture partait au galop, faisait le tour du couvent, et allait attendre Milady à un petit village qui était situé de l’autre côté du bois. Dans ce cas, Milady traversait le jardin et gagnait le village à pied; nous l’avons dit déjà, Milady connaissait à merveille cette partie de la France.
Si les mousquetaires ne paraissaient pas, les choses allaient comme il était convenu: Mme Bonacieux montait dans la voiture sous prétexte de lui dire adieu et Milady enlevait Mme Bonacieux.
Mme Bonacieux entra, et pour lui ôter tout soupçon si elle en avait, Milady répéta devant elle au laquais toute la dernière partie de ses instructions.
Milady fit quelques questions sur la voiture: c’était une chaise attelée de trois chevaux, conduite par un postillon; le laquais de Rochefort devait la précéder en courrier.
C’était à tort que Milady craignait que Mme Bonacieux n’eût des soupçons: la pauvre jeune femme était trop pure pour soupçonner dans une autre femme une telle perfidie; d’ailleurs le nom de la comtesse de Winter, qu’elle avait entendu prononcer par l’abbesse, lui était parfaitement inconnu, et elle ignorait même qu’une femme eût eu une part si grande et si fatale aux malheurs de sa vie.
«Vous le voyez, dit Milady, lorsque le laquais fut sorti, tout est prêt. L’abbesse ne se doute de rien et croit qu’on me vient chercher de la part du cardinal. Cet homme va donner les derniers ordres; prenez la moindre chose, buvez un doigt de vin et partons.
– Oui, dit machinalement Mme Bonacieux, oui, partons.»
Milady lui fit signe de s’asseoir devant elle, lui versa un petit verre de vin d’Espagne et lui servit un blanc de poulet.
«Voyez, lui dit-elle, si tout ne nous seconde pas: voici la nuit qui vient; au point du jour nous serons arrivées dans notre retraite, et nul ne pourra se douter où nous sommes. Voyons, du courage, prenez quelque chose.»
Mme Bonacieux mangea machinalement quelques bouchées et trempa ses lèvres dans son verre.
«Allons donc, allons donc, dit Milady portant le sien à ses lèvres, faites comme moi.»
Mais au moment où elle l’approchait de sa bouche, sa main resta suspendue: elle venait d’entendre sur la route comme le roulement lointain d’un galop qui allait s’approchant; puis, presque en même temps, il lui sembla entendre des hennissements de chevaux.
Ce bruit la tira de sa joie comme un bruit d’orage réveille au milieu d’un beau rêve; elle pâlit et courut à la fenêtre, tandis que Mme Bonacieux, se levant toute tremblante, s’appuyait sur sa chaise pour ne point tomber.
On ne voyait rien encore, seulement on entendait le galop qui allait toujours se rapprochant.
«Oh! mon Dieu, dit Mme Bonacieux, qu’est-ce que ce bruit?
– Celui de nos amis ou de nos ennemis, dit Milady avec son sang-froid terrible; restez où vous êtes, je vais vous le dire.»
Mme Bonacieux demeura debout, muette, immobile et pâle comme une statue.
Le bruit devenait plus fort, les chevaux ne devaient pas être à plus de cent cinquante pas; si on ne les apercevait point encore, c’est que la route faisait un coude. Toutefois, le bruit devenait si distinct qu’on eût pu compter les chevaux par le bruit saccadé de leurs fers.
Milady regardait de toute la puissance de son attention; il faisait juste assez clair pour qu’elle pût reconnaître ceux qui venaient.