Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Livre à Baal sa victime.
Jette aux lions le martyr:
Dieu te fera repentir!…
Je crie à lui de l’abîme.
Felton s’arrêta sous cette étrange apostrophe, et comme pétrifié.
«Qui êtes-vous, qui êtes-vous? s’écria-t-il en joignant les mains; êtes-vous une envoyée de Dieu, êtes-vous un ministre des enfers, êtes-vous ange ou démon, vous appelez-vous Eloa ou Astarté?
– Ne m’as-tu pas reconnue, Felton? Je ne suis ni un ange, ni un démon, je suis une fille de la terre, je suis une sœur de ta croyance, voilà tout.
– Oui! oui! dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je crois.
– Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de Bélial qu’on appelle Lord de Winter! Tu crois, et cependant tu me laisses aux mains de mes ennemis, de l’ennemi de l’Angleterre, de l’ennemi de Dieu? Tu crois, et cependant tu me livres à celui qui remplit et souille le monde de ses hérésies et de ses débauches, à cet infâme Sardanapale que les aveugles nomment le duc de Buckingham et que les croyants appellent l’Antéchrist.
– Moi, vous livrer à Buckingham! moi! que dites-vous là?
– Ils ont des yeux, s’écria Milady, et ils ne verront pas; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.
– Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert de sueur, comme pour en arracher son dernier doute; oui, je reconnais la voix qui me parle dans mes rêves; oui, je reconnais les traits de l’ange qui m’apparaît chaque nuit, criant à mon âme qui ne peut dormir: “Frappe, sauve l’Angleterre, sauve-toi, car tu mourras sans avoir désarmé Dieu!” Parlez, parlez! s’écria Felton, je puis vous comprendre à présent.»
Un éclair de joie terrible, mais rapide comme la pensée, jaillit des yeux de Milady.
Si fugitive qu’eût été cette lueur homicide, Felton la vit et tressaillit comme si cette lueur eût éclairé les abîmes du cœur de cette femme.
Felton se rappela tout à coup les avertissements de Lord de Winter, les séductions de Milady, ses premières tentatives lors de son arrivée; il recula d’un pas et baissa la tête, mais sans cesser de la regarder: comme si, fasciné par cette étrange créature, ses yeux ne pouvaient se détacher de ses yeux.
Milady n’était point femme à se méprendre au sens de cette hésitation. Sous ses émotions apparentes, son sang-froid glacé ne l’abandonnait point. Avant que Felton lui eût répondu et qu’elle fût forcée de reprendre cette conversation si difficile à soutenir sur le même accent d’exaltation, elle laissa retomber ses mains, et, comme si la faiblesse de la femme reprenait le dessus sur l’enthousiasme de l’inspirée:
«Mais, non, dit-elle, ce n’est pas à moi d’être la Judith qui délivrera Béthulie de cet Holopherne. Le glaive de l’éternel est trop lourd pour mon bras. Laissez-moi donc fuir le déshonneur par la mort, laissez-moi me réfugier dans le martyre. Je ne vous demande ni la liberté, comme ferait une coupable, ni la vengeance, comme ferait une païenne. Laissez-moi mourir, voilà tout. Je vous supplie, je vous implore à genoux; laissez-moi mourir, et mon dernier soupir sera une bénédiction pour mon sauveur.»
À cette voix douce et suppliante, à ce regard timide et abattu, Felton se rapprocha. Peu à peu l’enchanteresse avait revêtu cette parure magique qu’elle reprenait et quittait à volonté, c’est-à-dire la beauté, la douceur, les larmes et surtout l’irrésistible attrait de la volupté mystique, la plus dévorante des voluptés.
«Hélas! dit Felton, je ne puis qu’une chose, vous plaindre si vous me prouvez que vous êtes une victime! Mais Lord de Winter a de cruels griefs contre vous. Vous êtes chrétienne, vous êtes ma sœur en religion; je me sens entraîné vers vous, moi qui n’ai aimé que mon bienfaiteur, moi qui n’ai trouvé dans la vie que des traîtres et des impies. Mais vous, madame, vous si belle en réalité, vous si pure en apparence, pour que Lord de Winter vous poursuive ainsi, vous avez donc commis des iniquités?
– Ils ont des yeux, répéta Milady avec un accent d’indicible douleur, et ils ne verront pas; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.
– Mais, alors, s’écria le jeune officier, parlez, parlez donc!
– Vous confier ma honte! s’écria Milady avec le rouge de la pudeur au visage, car souvent le crime de l’un est la honte de l’autre; vous confier ma honte, à vous homme, moi femme! Oh! continua-t-elle en ramenant pudiquement sa main sur ses beaux yeux, oh! jamais, jamais je ne pourrai!
– À moi, à un frère!» s’écria Felton.
Milady le regarda longtemps avec une expression que le jeune officier prit pour du doute, et qui cependant n’était que de l’observation et surtout la volonté de fasciner.
Felton, à son tour suppliant, joignit les mains.
«Eh bien, dit Milady, je me fie à mon frère, j’oserai!»
En ce moment, on entendit le pas de Lord de Winter; mais, cette fois le terrible beau-frère de Milady ne se contenta point, comme il avait fait la veille, de passer devant la porte et de s’éloigner, il s’arrêta, échangea deux mots avec la sentinelle, puis la porte s’ouvrit et il parut.
Pendant ces deux mots échangés, Felton s’était reculé vivement, et lorsque Lord de Winter entra, il était à quelques pas de la prisonnière.
Le baron entra lentement, et porta son regard scrutateur de la prisonnière au jeune officier:
«Voilà bien longtemps, John, dit-il, que vous êtes ici; cette femme vous a-t-elle raconté ses crimes? alors je comprends la durée de l’entretien.»
Felton tressaillit, et Milady sentit qu’elle était perdue si elle ne venait au secours du puritain décontenancé.
«Ah! vous craignez que votre prisonnière ne vous échappe! dit-elle, eh bien, demandez à votre digne geôlier quelle grâce, à l’instant même, je sollicitais de lui.
– Vous demandiez une grâce? dit le baron soupçonneux.
– Oui, Milord, reprit le jeune homme confus.
– Et quelle grâce, voyons? demanda Lord de Winter.
– Un couteau qu’elle me rendra par le guichet, une minute après l’avoir reçu, répondit Felton.
– Il y a donc quelqu’un de caché ici que cette gracieuse personne veuille égorger? reprit Lord de Winter de sa voix railleuse et méprisante.
– Il y a moi, répondit Milady.
– Je vous ai donné le choix entre l’Amérique et Tyburn, reprit Lord de Winter, choisissez Tyburn, Milady: la corde est, croyez-moi, encore plus sûre que le couteau.»
Felton pâlit et fit un pas en avant, en songeant qu’au moment où il était entré, Milady tenait une corde.
«Vous avez raison, dit celle-ci, et j’y avais déjà pensé; puis elle ajouta d’une voix sourde: j’y penserai encore.»
Felton sentit courir un frisson jusque dans la moelle de ses os; probablement Lord de Winter aperçut ce mouvement.
«Méfie-toi, John, dit-il, John, mon ami, je me suis reposé sur toi, prends garde! Je t’ai prévenu! D’ailleurs, aie bon courage, mon enfant, dans trois jours nous serons délivrés de cette créature, et où je l’envoie, elle ne nuira plus à personne.
– Vous l’entendez!» s’écria Milady avec éclat, de façon que le baron crût qu’elle s’adressait au Ciel et que Felton comprît que c’était à lui.
Felton baissa la tête et rêva.
Le baron prit l’officier par le bras en tournant la tête sur son épaule, afin de ne pas perdre Milady de vue jusqu’à ce qu’il fût sorti.
«Allons, allons, dit la prisonnière lorsque la porte se fut refermée, je ne suis pas encore si avancée que je le croyais. Winter a changé sa sottise ordinaire en une prudence inconnue; ce que c’est que le désir de la vengeance, et comme ce désir forme l’homme! Quant à Felton, il hésite. Ah! ce n’est pas un homme comme ce d’Artagnan maudit. Un puritain n’adore que les vierges, et il les adore en joignant les mains. Un mousquetaire aime les femmes, et il les aime en joignant les bras.»
Cependant Milady attendit avec impatience, car elle se doutait bien que la journée ne se passerait pas sans qu’elle revit Felton. Enfin, une heure après la scène que nous venons de raconter, elle entendit que l’on parlait bas à la porte, puis bientôt la porte s’ouvrit, et elle reconnut Felton.