Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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«Il paraît, dit le baron en s’asseyant dans un fauteuil en face de celui qu’occupait Milady et en étendant nonchalamment ses pieds sur le foyer, il paraît que nous avons fait une petite apostasie!
– Que voulez-vous dire, monsieur?
– Je veux dire que depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons changé de religion; auriez-vous épousé un troisième mari protestant, par hasard?
– Expliquez-vous, Milord, reprit la prisonnière avec majesté, car je vous déclare que j’entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas.
– Alors, c’est que vous n’avez pas de religion du tout; j’aime mieux cela, reprit en ricanant Lord de Winter.
– Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement Milady.
– Oh! je vous avoue que cela m’est parfaitement égal.
– Oh! vous n’avoueriez pas cette indifférence religieuse, Milord, que vos débauches et vos crimes en feraient foi.
– Hein! vous parlez de débauches, madame Messaline, vous parlez de crimes, Lady Macbeth! Ou j’ai mal entendu, ou vous êtes, pardieu, bien impudente.
– Vous parlez ainsi parce que vous savez qu’on nous écoute, monsieur, répondit froidement Milady, et que vous voulez intéresser vos geôliers et vos bourreaux contre moi.
– Mes geôliers! mes bourreaux! Ouais, madame, vous le prenez sur un ton poétique, et la comédie d’hier tourne ce soir à la tragédie. Au reste, dans huit jours vous serez où vous devez être et ma tâche sera achevée.
– Tâche infâme! tâche impie! reprit Milady avec l’exaltation de la victime qui provoque son juge.
– Je crois, ma parole d’honneur, dit de Winter en se levant, que la drôlesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu! c’est mon vin d’Espagne qui vous monte à la tête, n’est-ce pas? mais, soyez tranquille, cette ivresse-là n’est pas dangereuse et n’aura pas de suites.»
Et Lord de Winter se retira en jurant, ce qui à cette époque était une habitude toute cavalière.
Felton était en effet derrière la porte et n’avait pas perdu un mot de toute cette scène.
Milady avait deviné juste.
«Oui, va! va! dit-elle à son frère, les suites approchent, au contraire, mais tu ne les verras, imbécile, que lorsqu’il ne sera plus temps de les éviter.»
Le silence se rétablit, deux heures s’écoulèrent; on apporta le souper, et l’on trouva Milady occupée à faire tout haut ses prières, prières qu’elle avait apprises d’un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austères. Elle semblait en extase et ne parut pas même faire attention à ce qui se passait autour d’elle. Felton fit signe qu’on ne la dérangeât point, et lorsque tout fut en état il sortit sans bruit avec les soldats.
Milady savait qu’elle pouvait être épiée, elle continua donc ses prières jusqu’à la fin, et il lui sembla que le soldat qui était de sentinelle à sa porte ne marchait plus du même pas et paraissait écouter.
Pour le moment, elle n’en voulait pas davantage, elle se releva, se mit à table, mangea peu et ne but que de l’eau.
Une heure après on vint enlever la table, mais Milady remarqua que cette fois Felton n’accompagnait point les soldats.
Il craignait donc de la voir trop souvent.
Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l’eût dénoncée.
Elle laissa encore s’écouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux château, comme on n’entendait que l’éternel murmure de la houle, cette respiration immense de l’océan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commença le premier couplet de ce psaume alors en entière faveur près des puritains:
Seigneur, si tu nous abandonnes,
C’est pour voir si nous sommes forts;
Mais ensuite c’est toi qui donnes
De ta céleste main la palme à nos efforts.
Ces vers n’étaient pas excellents, il s’en fallait même de beaucoup; mais, comme on le sait, les protestants ne se piquaient pas de poésie.
Tout en chantant, Milady écoutait: le soldat de garde à sa porte s’était arrêté comme s’il eût été changé en pierre. Milady put donc juger de l’effet qu’elle avait produit.
Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment inexprimables; il lui sembla que les sons se répandaient au loin sous les voûtes et allaient comme un charme magique adoucir le cœur de ses geôliers. Cependant il paraît que le soldat en sentinelle, zélé catholique sans doute, secoua le charme, car à travers la porte:
«Taisez-vous donc madame, dit-il, votre chanson est triste comme un De profondis, et si, outre l’agrément d’être en garnison ici, il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera à n’y point tenir.
– Silence! dit alors une voix grave, que Milady reconnut pour celle de Felton; de quoi vous mêlez-vous, drôle? Vous a-t-on ordonné d’empêcher cette femme de chanter? Non. On vous a dit de la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la; si elle fuit, tuez-la, mais ne changez rien à la consigne.»
Une expression de joie indicible illumina le visage de Milady, mais cette expression fut fugitive comme le reflet d’un éclair, et, sans paraître avoir entendu le dialogue dont elle n’avait pas perdu un mot, elle reprit en donnant à sa voix tout le charme, toute l’étendue et toute la séduction que le démon y avait mis:
Pour tant de pleurs et de misère,
Pour mon exil et pour mes fers,
J’ai ma jeunesse, ma prière,
Et Dieu, qui comptera les maux que j’ai soufferts.
Cette voix, d’une étendue inouïe et d’une passion sublime, donnait à la poésie rude et inculte de ces psaumes une magie et une expression que les puritains les plus exaltés trouvaient rarement dans les chants de leurs frères et qu’ils étaient forcés d’orner de toutes les ressources de leur imagination: Felton crut entendre chanter l’ange qui consolait les trois Hébreux dans la fournaise.
Milady continua:
Mais le jour de la délivrance
Viendra pour nous, Dieu juste et fort;
Et s’il trompe notre espérance,
Il nous reste toujours le martyre et la mort.
Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s’efforça de mettre toute son âme, acheva de porter le désordre dans le cœur du jeune officier: il ouvrit brusquement la porte, et Milady le vit apparaître pâle comme toujours, mais les yeux ardents et presque égarés.
«Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix?
– Pardon, monsieur, dit Milady avec douceur, j’oubliais que mes chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai sans doute offensé dans vos croyances; mais c’était sans le vouloir, je vous jure; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-être grande, mais qui certainement est involontaire.»
Milady était si belle dans ce moment, l’extase religieuse dans laquelle elle semblait plongée donnait une telle expression à sa physionomie, que Felton, ébloui, crut voir l’ange que tout à l’heure il croyait seulement entendre.
«Oui, oui, répondit-il, oui: vous troublez, vous agitez les gens qui habitent ce château.»
Et le pauvre insensé ne s’apercevait pas lui-même de l’incohérence de ses discours, tandis que Milady plongeait son œil de lynx au plus profond de son cœur.
«Je me tairai, dit Milady en baissant les yeux avec toute la douceur qu’elle put donner à sa voix, avec toute la résignation qu’elle put imprimer à son maintien.
– Non, non, madame, dit Felton; seulement, chantez moins haut, la nuit surtout.»
Et à ces mots, Felton, sentant qu’il ne pourrait pas conserver longtemps sa sévérité à l’égard de la prisonnière, s’élança hors de son appartement.
«Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat; ces chants bouleversent l’âme; cependant on finit par s’y accoutumer: sa voix est si belle!»