Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Avant de se coucher elle avait déjà commenté, analysé, retourné sur toutes leurs faces, examiné sous tous les points, les paroles, les pas, les gestes, les signes et jusqu’au silence de ses geôliers, et de cette étude profonde, habile et savante, il était résulté que Felton était, à tout prendre, le plus vulnérable de ses deux persécuteurs.
Un mot surtout revenait à l’esprit de la prisonnière:
«Si je t’eusse écouté», avait dit Lord de Winter à Felton.
Donc Felton avait parlé en sa faveur, puisque Lord de Winter n’avait pas voulu écouter Felton.
«Faible ou forte, répétait Milady, cet homme a donc une lueur de pitié dans son âme; de cette lueur je ferai un incendie qui le dévorera.
«Quant à l’autre, il me connaît, il me craint et sait ce qu’il a à attendre de moi si jamais je m’échappe de ses mains, il est donc inutile de rien tenter sur lui. Mais Felton, c’est autre chose; c’est un jeune homme naïf, pur et qui semble vertueux; celui-là, il y a moyen de le perdre.»
Et Milady se coucha et s’endormit le sourire sur les lèvres; quelqu’un qui l’eût vue dormant eût dit une jeune fille rêvant à la couronne de fleurs qu’elle devait mettre sur son front à la prochaine fête.
CHAPITRE LIII
Milady rêvait qu’elle tenait enfin d’Artagnan, qu’elle assistait à son supplice, et c’était la vue de son sang odieux, coulant sous la hache du bourreau, qui dessinait ce charmant sourire sur les lèvres.
Elle dormait comme dort un prisonnier bercé par sa première espérance.
Le lendemain, lorsqu’on entra dans sa chambre, elle était encore au lit. Felton était dans le corridor: il amenait la femme dont il avait parlé la veille, et qui venait d’arriver; cette femme entra et s’approcha du lit de Milady en lui offrant ses services.
Milady était habituellement pâle; son teint pouvait donc tromper une personne qui la voyait pour la première fois.
«J’ai la fièvre, dit-elle; je n’ai pas dormi un seul instant pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement: serez-vous plus humaine qu’on ne l’a été hier avec moi? Tout ce que je demande, au reste, c’est la permission de rester couchée.
– Voulez-vous qu’on appelle un médecin?» dit la femme.
Felton écoutait ce dialogue sans dire une parole.
Milady réfléchissait que plus on l’entourerait de monde, plus elle aurait de monde à apitoyer, et plus la surveillance de Lord de Winter redoublerait; d’ailleurs le médecin pourrait déclarer que la maladie était feinte, et Milady après avoir perdu la première partie ne voulait pas perdre la seconde.
«Aller chercher un médecin, dit-elle, à quoi bon? ces messieurs ont déclaré hier que mon mal était une comédie, il en serait sans doute de même aujourd’hui; car depuis hier soir, on a eu le temps de prévenir le docteur.
– Alors, dit Felton impatienté, dites vous-même, madame, quel traitement vous voulez suivre.
– Eh! le sais-je, moi? mon Dieu! je sens que je souffre, voilà tout, que l’on me donne ce que l’on voudra, peu m’importe.
– Allez chercher Lord de Winter, dit Felton fatigué de ces plaintes éternelles.
– Oh! non, non! s’écria Milady, non, monsieur, ne l’appelez pas, je vous en conjure, je suis bien, je n’ai besoin de rien, ne l’appelez pas.»
Elle mit une véhémence si prodigieuse, une éloquence si entraînante dans cette exclamation, que Felton, entraîné, fit quelques pas dans la chambre.
«Il est ému», pensa Milady.
«Cependant, madame, dit Felton, si vous souffrez réellement, on enverra chercher un médecin, et si vous nous trompez, eh bien, ce sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre côté, nous n’aurons rien à nous reprocher.»
Milady ne répondit point; mais renversant sa belle tête sur son oreiller, elle fondit en larmes et éclata en sanglots.
Felton la regarda un instant avec son impassibilité ordinaire; puis voyant que la crise menaçait de se prolonger, il sortit; la femme le suivit. Lord de Winter ne parut pas.
«Je crois que je commence à voir clair», murmura Milady avec une joie sauvage, en s’ensevelissant sous les draps pour cacher à tous ceux qui pourraient l’épier cet élan de satisfaction intérieure.
Deux heures s’écoulèrent.
«Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle: levons-nous et obtenons quelque succès dès aujourd’hui; je n’ai que dix jours, et ce soir il y en aura deux d’écoulés.
En entrant, le matin, dans la chambre de Milady, on lui avait apporté son déjeuner; or elle avait pensé qu’on ne tarderait pas à venir enlever la table, et qu’en ce moment elle reverrait Felton.
Milady ne se trompait pas. Felton reparut, et, sans faire attention si Milady avait ou non touché au repas, fit un signe pour qu’on emportât hors de la chambre la table, que l’on apportait ordinairement toute servie.
Felton resta le dernier, il tenait un livre à la main.
Milady, couchée dans un fauteuil près de la cheminée, belle, pâle et résignée, ressemblait à une vierge sainte attendant le martyre.
Felton s’approcha d’elle et dit:
«Lord de Winter, qui est catholique comme vous, madame, a pensé que la privation des rites et des cérémonies de votre religion peut vous être pénible: il consent donc à ce que vous lisiez chaque jour l’ordinaire de votre messe, et voici un livre qui en contient le rituel.»
À l’air dont Felton déposa ce livre sur la petite table près de laquelle était Milady, au ton dont il prononça ces deux mots, votre messe, au sourire dédaigneux dont il les accompagna, Milady leva la tête et regarda plus attentivement l’officier.
Alors, à cette coiffure sévère, à ce costume d’une simplicité exagérée, à ce front poli comme le marbre, mais dur et impénétrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains qu’elle avait rencontrés si souvent tant à la cour du roi Jacques qu’à celle du roi de France, où, malgré le souvenir de la Saint-Barthélémy, ils venaient parfois chercher un refuge.
Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de génie seuls en reçoivent dans les grandes crises, dans les moments suprêmes qui doivent décider de leur fortune ou de leur vie.
Ces deux mots, votre messe, et un simple coup d’œil jeté sur Felton, lui avaient en effet révélé toute l’importance de la réponse qu’elle allait faire.
Mais avec cette rapidité d’intelligence qui lui était particulière, cette réponse toute formulée se présenta sur ses lèvres:
«Moi! dit-elle avec un accent de dédain monté à l’unisson de celui qu’elle avait remarqué dans la voix du jeune officier, moi, monsieur, ma messe! Lord de Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c’est un piège qu’il veut me tendre!
– Et de quelle religion êtes-vous donc, madame? demanda Felton avec un étonnement que, malgré son empire sur lui-même, il ne put cacher entièrement.
– Je le dirai, s’écria Milady avec une exaltation feinte, le jour où j’aurai assez souffert pour ma foi.»
Le regard de Felton découvrit à Milady toute l’étendue de l’espace qu’elle venait de s’ouvrir par cette seule parole.
Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard seul avait parlé.
«Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d’enthousiasme qu’elle savait familier aux puritains; eh bien, que mon Dieu me sauve ou que je périsse pour mon Dieu! voilà la réponse que je vous prie de faire à Lord de Winter. Et quant à ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eût dû être souillée par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-même, car sans doute vous êtes doublement complice de Lord de Winter, complice dans sa persécution, complice dans son hérésie.»
Felton ne répondit rien, prit le livre avec le même sentiment de répugnance qu’il avait déjà manifesté et se retira pensif. Lord de Winter vint vers les cinq heures du soir; Milady avait eu le temps pendant toute la journée de se tracer son plan de conduite; elle le reçut en femme qui a déjà repris tous ses avantages.