Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Messieurs, commença-t-il, – il s’est produit par inadvertance un malentendu comique, qui d’ailleurs est maintenant dissipé; mais j’ai pris sur moi de vous transmettre la respectueuse prière d’un poète de notre ville… Pénétré de la pensée élevée et généreuse… nonobstant son extérieur… de la pensée qui nous a tous réunis… essuyer les larmes des jeunes filles de notre province que l’instruction ne met pas à l’abri de la misère… ce monsieur, je veux dire, ce poète d’ici… tout en désirant garder l’incognito… serait très heureux de voir sa poésie lue à l’ouverture du bal… je me trompe, je voulais dire, à l’ouverture de la séance littéraire. Quoique ce morceau ne figure pas sur le programme… car on l’a remis il y a une demi-heure… cependant, en raison de la remarquable naïveté de sentiment qui s’y trouve jointe à une piquante gaieté, il nous a semblé (nous, qui? Je transcris mot pour mot ce speech confus et péniblement débité), il nous a semblé que cette poésie pouvait être lue, non pas, il est vrai, comme œuvre sérieuse, mais comme à-propos, pièce de circonstance… Bref, à titre d’actualité… D’autant plus que certains vers… Et je suis venu solliciter la permission du bienveillant public.
– Lisez! cria quelqu’un au fond de la salle.
– Ainsi il faut lire?
– Lisez! lisez! firent plusieurs voix.
– Je vais lire, puisque le public le permet, reprit Lipoutine avec son sourire doucereux. Pourtant il semblait encore indécis, et je crus même remarquer chez lui une certaine agitation. L’aplomb de ces gens là n’égale pas toujours leur insolence. Sans doute, en pareil cas, un séminariste n’aurait pas hésité; mais Lipoutine, en dépit de ses opinions avancées, était un homme des anciennes couches.
– Je préviens, pardon, j’ai l’honneur de prévenir qu’il ne s’agit pas ici, à proprement parler, d’une ode comme on en composait autrefois pour les fêtes; c’est plutôt, en quelque sorte, un badinage, mais on y trouve une sensibilité incontestable, relevée d’une pointe d’enjouement; j’ajoute que cette pièce offre au plus haut degré le cachet de la réalité.
– Lis, lis!
Il déplia son papier. Qui aurait pu l’en empêcher? N’était-il pas dûment autorisé par l’insigne honorifique qu’il portait sur l’épaule gauche? D’une voix sonore il lut ce qui suit:
– Le poète complimente l’institutrice russe de notre province à l’occasion de la fête:
Salut, salut, institutrice!
Réjouis-toi, chante: Évohé!
Radicale ou conservatrice,
N’importe, maintenant ton jour est arrivé!
– Mais c’est de Lébiadkine! Oui, c’est de Lébiadkine! observèrent à haute voix quelques auditeurs. Des rires se firent entendre, il y eut même des applaudissements; ce fut, du reste, l’exception.
Tout en enseignant la grammaire,
Tu fais de l’œil soir et matin,
Dans l’espoir décevant de plaire,
Du moins à quelque sacristain.
– Hourra! Hourra!
Mais dans ce siècle de lumière,
Le rat d’église est un malin:
Pour l’épouser faut qu’on l’éclaire;
Sans quibus, pas de sacristain!
– Justement, justement, voilà du réalisme, sans quibus y a pas de mèche!
Mais maintenant qu’en une fête
Nous avons ramassé de quoi
T’offrir une dot rondelette,
Nos compliments volent vers toi:
Radicale ou conservatrice,
N’importe, chante: Évohé!
Avec ta dot, institutrice,
Crache sur tout, ton jour est arrivé!
J’avoue que je n’en crus pas mes oreilles. L’impudence s’étalait là avec un tel cynisme qu’il n’y avait pas moyen d’excuser Lipoutine en mettant son fait sur le compte de la bêtise. D’ailleurs, Lipoutine n’était pas bête. L’intention était claire, pour moi du moins: on avait hâte de provoquer des désordres. Certains vers de cette idiote composition, le dernier notamment, étaient d’une grossièreté qui devait frapper l’homme le plus niais. Son exploit accompli, Lipoutine lui-même parut sentir qu’il était allé trop loin: confus de sa propre audace, il ne quitta pas l’estrade, et resta là comme s’il eût voulu ajouter quelque chose. L’attitude de l’auditoire était évidemment pour lui une déception: le groupe même des tapageurs, qui avait applaudi pendant la lecture, devint tout à coup silencieux; il semblait que là aussi on fût déconcerté. Le plus drôle, c’est que quelques-uns, prenant au sérieux la pasquinade de Lébiadkine, y avaient vu l’expression consciencieuse de la vérité concernant les institutrices. Toutefois, l’excessif mauvais ton de cette poésie finit par leur ouvrir les yeux. Quant au vrai public, il n’était pas seulement scandalisé, il considérait comme un affront l’incartade de Lipoutine. Je ne me trompe pas en signalant cette impression. Julie Mikhaïlovna a dit plus tard qu’elle avait été sur le point de s’évanouir. Un vieillard des plus respectés invita sa femme à se lever, lui offrit son bras, et tous deux sortirent de la salle. Leur départ fut très remarqué; qui sait? d’autres désertions auraient peut-être suivi, si, à ce moment, Karmazinoff lui-même, en frac et en cravate blanche, n’était monté sur l’estrade avec un cahier à la main. Julie Mikhaïlovna adressa à son sauveur un regard chargé de reconnaissance… Mais déjà j’étais dans les coulisses; il me tardait d’avoir une explication avec Lipoutine.
– Vous l’avez fait exprès? lui dis-je, et dans mon indignation je le saisis par le bras.
Il prit aussitôt un air désolé.
– Je vous assure que je n’y ai mis aucune intention, répondit-il hypocritement; – les vers ont été apportés tout à l’heure, et j’ai pensé que, comme amusante plaisanterie…
– Vous n’avez nullement pensé cela. Se peut-il que cette ordure vous paraisse une amusante plaisanterie?
– Oui, c’est mon avis.
– Vous mentez, et il est également faux que ces vers vous aient été apportés tout à l’heure. C’est vous-même qui les avez composés en collaboration avec Lébiadkine pour faire du scandale; peut-être étaient-ils écrits depuis hier. Le dernier est certainement de vous, j’en dirai autant de ceux où il est question du sacristain. Pourquoi Lébiadkine est-il arrivé en frac? Vous vouliez donc qu’il lût lui-même cette poésie, s’il n’avait pas été ivre?
Lipoutine me lança un regard froid et venimeux.
– Qu’est-ce que cela vous fait? demanda-t-il soudain avec un calme étrange.
– Comment, ce que cela me fait? Vous portez aussi ce nœud de rubans… Où est Pierre Stépanovitch?
– Je ne sais pas; il est ici quelque part; pourquoi?
– Parce qu’à présent je vois clair dans votre jeu. C’est tout bonnement un coup monté contre Julie Mikhaïlovna. On veut troubler la fête…
De nouveau Lipoutine me regarda d’un air louche.
– Mais que vous importe? répliqua-t-il avec un sourire, et il s’éloigna en haussant les épaules.