Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Je suis perdu! gémit-il, et il s’assit soudain à côté de moi; cher, je ne crains pas la Sibérie, oh! je vous le jure, ajouta-t-il les larmes aux yeux, – c’est autre chose qui me fait peur…
Je devinai à sa physionomie qu’une confidence d’une nature particulièrement pénible allait s’échapper de ses lèvres.
– Je crains la honte, fit-il à voix basse.
– Quelle honte? Mais, au contraire, soyez persuadé, Stépan Trophimovitch, que tout cela s’éclaircira aujourd’hui même, et que cette affaire se terminera à votre avantage…
– Vous êtes si sûr qu’on me pardonnera?
– Que vient faire ici le mot «pardonner»? Quelle expression! De quoi êtes-vous coupable pour qu’on vous pardonne? Je vous assure que vous n’êtes coupable de rien!
– Qu’en savez-vous? Toute ma vie a été… cher… Ils se rappelleront tout, et s’ils ne trouvent rien, ce sera encore pire, ajouta-t-il brusquement.
– Comment, encore pire?
– Oui.
– Je ne comprends pas.
– Mon ami, mon ami, qu’on m’envoie en Sibérie, à Arkhangel, qu’on me prive de mes droits civils, soit – s’il faut périr, j’accepte ma perte! Mais… c’est autre chose que je crains, acheva-t-il en baissant de nouveau la voix.
– Eh bien, quoi, quoi?
– On me fouettera, dit-il, et il me considéra d’un air égaré.
– Qui vous fouettera? Où? Pourquoi? répliquai-je, me demandant avec inquiétude s’il n’avait pas perdu l’esprit.
– Où? Eh bien, là… où cela se fait.
– Mais où cela se fait-il?
– Eh! cher, répondit-il d’une voix qui s’entendait à peine, – une trappe s’ouvre tout à coup sous vos pieds et vous engloutit jusqu’au milieu du corps… Tout le monde sait cela.
– Ce sont des fables! m’écriai-je, – se peut-il que jusqu’à présent vous ayez cru à ces vieux contes?
Je me mis à rire.
– Des fables! Pourtant il n’y a pas de fumée sans feu; un homme qui a été fouetté ne va pas le raconter. Dix mille fois je me suis représenté cela en imagination!
– Mais vous, vous, pourquoi vous fouetterait-on? Vous n’avez rien fait.
– Tant pis, on verra que je n’ai rien fait, et l’on me fouettera.
– Et vous êtes sûr qu’on vous emmènera ensuite à Pétersbourg?
– Mon ami, j’ai déjà dit que je ne regrettais rien, ma carrière est finie. Depuis l’heure où elle m’a dit adieu à Skvorechniki, j’ai cessé de tenir à la vie… mais la honte, le déshonneur, que dira-t-elle, si elle apprend cela?
Le pauvre homme fixa sur moi un regard navré. Je baissai les yeux.
– Elle n’apprendra rien, parce qu’il ne vous arrivera rien. En vérité, je ne vous reconnais plus, Stépan Trophimovitch, tant vous m’étonnez ce matin.
– Mon ami, ce n’est pas la peur. Mais en supposant même qu’on me pardonne, qu’on me ramène ici et qu’on ne me fasse rien, – je n’en suis pas moins perdu. Elle me soupçonnera toute sa vie… moi, moi, le poète, le penseur, l’homme qu’elle a adoré pendant vingt-deux ans!
– Elle n’en aura même pas l’idée.
– Si, elle en aura l’idée, murmura-t-il avec une conviction profonde. – Elle et moi nous avons parlé de cela plus d’une fois à Pétersbourg pendant le grand carême, à la veille de notre départ, quand nous craignions tous deux… Elle me soupçonnera toute sa vie… et comment la détromper? D’ailleurs, ici, dans cette petite ville, qui ajoutera foi à mes paroles? Tout ce que je pourrai dire paraîtra invraisemblable… Et puis les femmes… Cela lui fera plaisir. Elle sera désolée, très sincèrement désolée, comme une véritable amie, mais au fond elle sera bien aise… Je lui fournirai une arme contre moi pour toute la vie. Oh! c’en est fait de mon existence! Vingt ans d’un bonheur si complet avec elle… et voilà!
Il couvrit son visage de ses mains.
– Stépan Trophimovitch, si vous faisiez savoir tout de suite à Barbara Pétrovna ce qui s’est passé? conseillai-je.
Il se leva frissonnant.
– Dieu m’en préserve! Pour rien au monde, jamais, après ce qui a été dit au moment des adieux à Skvorechniki, jamais!
Ses yeux étincelaient.
Nous restâmes encore une heure au moins dans l’attente de quelque chose. Il se recoucha sur le divan, ferma les yeux, et durant vingt minutes ne dit pas un mot; je crus même qu’il s’était endormi. Tout à coup il se souleva sur son séant, arracha la compresse nouée autour de sa tête et courut à une glace. Ses mains tremblaient tandis qu’il mettait sa cravate. Ensuite, d’une voix de tonnerre, il cria à Nastasia de lui donner son paletot, son chapeau et sa canne.
– Je ne puis plus y tenir, prononça-t-il d’une voix saccadée, – je ne le puis plus, je ne le puis plus!… J’y vais moi-même.
– Où? demandai-je en me levant aussi.
– Chez Lembke. Cher, je le dois, j’y suis tenu. C’est un devoir. Je suis un citoyen, un homme, et non un petit copeau, j’ai des droits, je veux mes droits… Pendant vingt ans je n’ai pas réclamé mes droits, toute ma vie je les ai criminellement oubliés… mais maintenant je les revendique. Il faut qu’il me dise tout, tout. Il a reçu un télégramme. Qu’il ne s’avise pas de me faire languir dans l’incertitude, qu’il me mette plutôt en état d’arrestation, oui, qu’il m’arrête, qu’il m’arrête!
Il frappait du pied tout en proférant ces exclamations.
– Je vous approuve, dis-je aussi tranquillement que possible, quoique son état m’inspirât de vives inquiétudes, – après tout, cela vaut mieux que de rester dans une pareille angoisse, mais je n’approuve pas votre surexcitation; voyez un peu à qui vous ressemblez et comment vous irez là. Il faut être digne et calme avec Lembke. Réellement vous êtes capable à présent de vous précipiter sur quelqu’un et de le mordre.
– J’irai me livrer moi-même. Je me jetterai dans la gueule du lion.
– Je vous accompagnerai.
– Je n’attendais pas moins de vous, j’accepte votre sacrifice, le sacrifice d’un véritable ami, mais jusqu’à la maison seulement, je ne souffrirai pas que vous alliez plus loin que la porte: vous ne devez pas, vous n’avez pas le droit de vous compromettre davantage dans ma compagnie. Oh! croyez-moi, je serai calme! Je me sens en ce moment à la hauteur de ce qu’il y a de plus sacré…
– Peut-être entrerai-je avec vous dans la maison, interrompis-je. – Hier, leur imbécile de comité m’a fait savoir par Vysotzky que l’on comptait sur moi et que l’on me priait de prendre part à la fête de demain en qualité de commissaire: c’est ainsi qu’on appelle les six jeunes gens désignés pour veiller au service des consommations, s’occuper des dames et placer les invités; comme marque distinctive de leurs fonctions, ils porteront sur l’épaule gauche un nœud de rubans blancs et rouges. Mon intention était d’abord de refuser, mais maintenant cela me fournit un prétexte pour pénétrer dans la maison: je dirai que j’ai à parler à Julie Mikhaïlovna… Comme cela, nous entrerons ensemble.