Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Vous mentez toujours, vous êtes un fort méchant homme, et tout à l’heure je vous ai péremptoirement démontré votre insolvabilité, répondit l’étudiante d’un ton dédaigneux, comme si elle trouvait au-dessous d’elle d’entrer dans de longues explications avec un pareil interlocuteur. – Tantôt je vous ai dit notamment qu’au catéchisme on nous avait à tous enseigné ceci: «Si tu honores ton père et tes parents, tu vivras longtemps, et la richesse te sera donnée.» C’est dans les dix commandements. Si Dieu a cru nécessaire de promettre à l’amour filial une récompense, alors votre Dieu est immoral. Voilà dans quels termes je me suis exprimée tantôt, et ce n’a pas été ma seconde parole; c’est vous qui, en parlant de vos droits, m’avez amenée à vous tenir ce langage. À qui la faute si vous êtes bouché et si vous ne comprenez pas encore? Cela vous vexe, et vous vous fâchez, – Voilà le mot de toute votre génération.
– Sotte! proféra le major.
– Vous, vous êtes un imbécile.
– C’est cela, injurie-moi!
– Mais permettez, Kapiton Maximovitch, vous m’avez dit vous-même que vous ne croyez pas en Dieu, cria du bout de la table Lipoutine.
– Qu’importe que j’aie dit cela? moi, c’est autre chose! Peut-être même que je crois, seulement ma foi n’est pas entière. Mais, quoique je ne croie pas tout à fait, je ne dis pas qu’il faille fusiller Dieu. Déjà, quand je servais dans les hussards, cette question me préoccupait fort. Pour tous les poètes il est admis que le hussard est un buveur et un noceur. En ce qui me concerne, je n’ai peut-être pas fait mentir la légende; mais, le croirez-vous? je me relevais la nuit et j’allais m’agenouiller devant un icône, demandant à Dieu avec force signes de croix qu’il voulût bien m’envoyer la foi, tant j’étais, dès cette époque, tourmenté par la question de savoir si, oui ou non, Dieu existe. Le matin venu, sans doute, vous avez des distractions, et les sentiments religieux s’évanouissent; en général, j’ai remarqué que la foi est toujours plus faible pendant la journée.
Pierre Stépanovitch bâillait à se décrocher la mâchoire.
– Est-ce qu’on ne va pas jouer aux cartes? demanda-t-il à madame Virguinsky.
– Je m’associe entièrement à votre question! déclara l’étudiante qui était devenue pourpre d’indignation en entendant les paroles du major.
– On perd un temps précieux à écouter des conversations stupides, observa la maîtresse de la maison, et elle regarda sévèrement son mari.
– Je me proposais, dit mademoiselle Virguinsky, – de signaler à la réunion les souffrances et les protestations des étudiants; mais, comme le temps se passe en conversations immorales…
– Rien n’est moral, ni immoral! interrompit avec impatience le collégien.
– Je savais cela, monsieur le gymnasiste, longtemps avant qu’on vous l’ait enseigné.
– Et moi, j’affirme, répliqua l’adolescent irrité, – que vous êtes un enfant venu de la capitale pour nous éclairer tous, alors que nous en savons autant que vous. Depuis Biélinsky, nul n’ignore en Russie l’immoralité du précepte: «Honore ton père et ta mère», que, par parenthèses, vous avez cité en l’estropiant.
– Est-ce que cela ne finira pas? dit résolument Arina Prokhorovna à son mari.
Comme maîtresse de maison, elle rougissait de ces conversations insignifiantes, d’autant plus qu’elle remarquait des sourires et même des marques de stupéfaction parmi les invités qui n’étaient pas des visiteurs habituels.
Virguinsky éleva soudain la voix:
– Messieurs, si quelqu’un a une communication à faire ou désire traiter un sujet se rattachant plus directement à l’œuvre commune, je l’invite à commencer sans retard.
– Je prendrai la liberté de faire une question, dit d’une voix douce le professeur boiteux, qui jusqu’alors n’avait pas prononcé un mot et s’était distingué par sa bonne tenue: – je désirerais savoir si nous sommes ici en séance, ou si nous ne formons qu’une réunion de simples mortels venus en visite. Je demande cela plutôt pour l’ordre, et afin de ne pas rester dans l’incertitude.
Cette «malicieuse» question produisit son effet; tous se regardèrent les uns les autres, chacun paraissant attendre une réponse de son voisin; puis, brusquement, comme par un mot d’ordre, tous les yeux se fixèrent sur Verkhovensky et sur Stavroguine.
– Je propose simplement de voter sur la question de savoir si nous sommes, oui ou non, en séance, déclara madame Virguinsky.
– J’adhère complètement à la proposition, dit Lipoutine, – quoiqu’elle soit un peu indéterminée.
– Moi aussi, moi aussi, entendit-on de divers côtés.
– Il me semble en effet que ce sera plus régulier, approuva à son tour Virguinsky.
– Ainsi aux voix! reprit Arina Prokhorovna. – Liamchine, mettez-vous au piano, je vous prie; cela ne vous empêchera pas de voter au moment du scrutin.
– Encore! cria Liamchine; – j’ai déjà fait assez de tapage comme cela.
– Je vous en prie instamment, jouez; vous ne voulez donc pas être utile à l’œuvre commune?
– Mais je vous assure, Arina Prokhorovna, que personne n’est aux écoutes. C’est seulement une idée que vous avez. D’ailleurs, les fenêtres sont hautes, et lors même que quelqu’un chercherait à nous entendre, cela lui serait impossible.
– Nous ne nous entendons pas nous-mêmes, grommela un des visiteurs.
– Et moi, je vous dis que les précautions sont toujours bonnes. Pour le cas où il y aurait des espions, expliqua-t-elle à Verkhovensky, – il faut que nous ayons l’air d’être en fête et que la musique s’entende de la rue.
– Eh, diable! murmura Liamchine avec colère, puis il s’assit devant le piano, et commença à jouer une valse en frappant sur les touches comme s’il eût voulu les briser.
– J’invite ceux qui désirent qu’il y ait séance à lever la main droite, proposa madame Virguinsky.
Les uns firent le mouvement indiqué, les autres s’en abstinrent. Il y en eut qui, ayant levé la main, la baissèrent aussitôt après; plusieurs qui l’avaient baissée la relevèrent ensuite.
– Oh! diable! Je n’ai rien compris! cria un officier.
– Moi non plus, ajouta un autre.
– Si, moi, je comprends, fit un troisième; – si c’est oui, on lève la main.
– Mais qu’est-ce que signifie oui?
– Cela signifie la séance.
– Non, cela signifie qu’on n’en veut pas.
– J’ai voté la séance, cria le collégien à madame Virguinsky.
– Alors, pourquoi n’avez-vous pas levé la main?
– Je vous ai regardée tout le temps, vous n’avez pas levé la main, je vous ai imitée.