Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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Un silence d’une minute suivit ces paroles. Maurice Nikolaïévitch était pâle, et ses yeux étincelaient.
– Pardonnez-moi les questions que je vous ai adressées, dit Stavroguine; – plusieurs d’entre elles étaient fort indiscrètes, mais il est une chose que j’ai, je pense, parfaitement le droit de vous demander: pour que vous ayez pris sur vous de venir me faire une proposition aussi… risquée, il faut que vous soyez bien convaincu de mes sentiments à l’égard d’Élisabeth Nikolaïevna; or, quelles données vous ont amené à cette conviction?
– Comment? fit avec un léger frisson Maurice Nikolaïévitch; – est-ce que vous n’avez pas prétendu à sa main? N’y prétendez-vous pas maintenant encore?
– En général, je ne puis parler à un tiers de mes sentiments pour une femme; excusez-moi, c’est une bizarrerie d’organisation. Mais, pour le reste, je vous dirai toute la vérité: je suis marié, il ne m’est donc plus possible ni d’épouser Élisabeth Nikolaïevna, ni de «prétendre à sa main».
Maurice Nikolaïévitch fut tellement stupéfait qu’il se renversa sur le dossier de son fauteuil; pendant un certain temps ses yeux ne quittèrent pas le visage de Stavroguine.
– Figurez-vous que cette idée ne m’était pas venue, balbutia-t-il; – vous avez dit l’autre jour que vous n’étiez pas marié… je croyais que vous ne l’étiez pas…
Il pâlit affreusement et soudain déchargea un violent coup de poing sur la table.
– Si, après un tel aveu, vous ne laissez pas tranquille Élisabeth Nikolaïevna, si vous la rendez vous-même malheureuse, je vous tuerai à coups de bâton comme un chien!
Sur ce, il sortit précipitamment de la chambre. Pierre Stépanovitch, qui y entra aussitôt après, trouva le maître du logis dans une disposition d’esprit fort inattendue.
– Ah! c’est vous! fit Stavroguine avec un rire bruyant qui semblait n’avoir pour cause que la curiosité empressée de Pierre Stépanovitch. – Vous écoutiez derrière la porte? Attendez, pourquoi êtes-vous venu? Je vous avez promis quelque chose… Ah, bah! je me rappelle: la visite «aux nôtres»? Partons, je suis enchanté, vous ne pouviez rien me proposer de plus agréable en ce moment.
Il prit son chapeau, et tous deux sortirent immédiatement.
– Vous riez d’avance à l’idée de voir «les nôtres»? observa avec enjouement Pierre Stépanovitch qui tantôt s’efforçait de marcher à côté de son compagnon sur l’étroit trottoir pavé en briques, tantôt descendait sur la chaussée et trottait en pleine boue, parce que Stavroguine, sans le remarquer, occupait à lui seul toute la largeur du trottoir.
– Je ne ris pas du tout, répondit d’une voix sonore et gaie Nicolas Vsévolodovitch; – au contraire, je suis convaincu que je trouverai là les gens les plus sérieux.
– De «mornes imbéciles», comme vous les avez appelés un jour.
– Rien n’est parfois plus amusant qu’un morne imbécile.
– Ah! vous dites cela à propos de Maurice Nikolaïévitch! Je suis sûr qu’il est venu tout à l’heure vous offrir sa fiancée, hein? Figurez-vous, c’est moi qui l’ai poussé indirectement à faire cette démarche. D’ailleurs, s’il ne la cède pas, nous la lui prendrons nous-mêmes, pas vrai?
Sans doute Pierre Stépanovitch savait qu’il jouait gros jeu en mettant la conversation sur ce sujet; mais lorsque sa curiosité était vivement excitée, il aimait mieux tout risquer que de rester dans l’incertitude. Nicolas Vsévolodovitch se contenta de sourire.
– Vous comptez toujours m’aider? demanda-t-il.
– Si vous faites appel à mon aide. Mais vous savez qu’il n’y a qu’un bon moyen.
– Je connais votre moyen.
– Non, c’est encore un secret. Seulement rappelez-vous que ce secret coûte de l’argent.
– Je sais même combien il coûte, grommela à part soi Stavroguine.
Pierre Stépanovitch tressaillit.
– Combien? Qu’est-ce que vous avez dit?
– J’ai dit: Allez-vous-en au diable avec votre secret! Apprenez-moi plutôt qui nous verrons là. Je sais que Virguinsky reçoit à l’occasion de sa fête, mais quels sont ses invités?
– Oh! il y aura là une société des plus variées! Kiriloff lui-même y sera.
– Tous membres de sections?
– Peste, comme vous y allez! Jusqu’à présent il n’existe pas encore ici une seule section organisée.
– Comment donc avez-vous fait pour répandre tant de proclamations?
– Là où nous allons, il n’y aura en tout que quatre sectionnaires. En attendant, les autres s’espionnent à qui mieux mieux, et chacun d’eux m’adresse des rapports sur ses camarades. Ces gens-là donnent beaucoup d’espérances. Ce sont des matériaux qu’il faut organiser. Du reste, vous-même avez rédigé le statut, il est inutile de vous expliquer les choses.
– Eh bien, ça ne marche pas? Il y a du tirage?
– Ça marche on ne peut mieux. Je vais vous faire rire: le premier moyen d’action, c’est l’uniforme. Il n’y a rien de plus puissant que la livrée bureaucratique. J’invente exprès des titres et des emplois: j’ai des secrétaires, des émissaires secrets, des caissiers, des présidents, des registrateurs; ce truc réussit admirablement. Vient ensuite, naturellement, la sentimentalité, qui chez nous est le plus efficace agent de la propagande socialiste. Le malheur, ce sont ces sous-lieutenants qui mordent. Et puis il y a les purs coquins; ces derniers sont parfois fort utiles, mais avec eux on perd beaucoup de temps, car ils exigent une surveillance continuelle. Enfin la principale force, le ciment qui relie tout, c’est le respect humain, la peur d’avoir une opinion à soi. Oui, c’est justement avec de pareilles gens que le succès est possible. Je vous le dis, ils se jetteraient dans le feu à ma voix: je n’aurai qu’à leur dire qu’ils manquent de libéralisme. Des imbéciles me blâment d’avoir trompé tous mes associés d’ici en leur parlant de comité central et de «ramifications innombrables». Vous-même vous m’avez une fois reproché cela, mais où est la tromperie? Le comité central, c’est moi et vous; quant aux ramifications, il y en aura autant qu’on voudra.
– Et toujours de la racaille semblable?
– Ce sont des matériaux. Ils sont bons tout de même.
– Vous n’avez pas cessé de compter sur moi?
– Vous serez le chef, la force dirigeante; moi, je ne serai que votre second, votre secrétaire. Vous savez, nous voguerons portés sur un esquif aux voiles de soie, aux rames d’érable; à la poupe sera assise une belle demoiselle, Élisabeth Nikolaïevna… est-ce qu’il n’y a pas une chanson comme cela?…
Stavroguine se mit à rire.
– Non, je préfère vous donner un bon conseil. Vous venez d’énumérer les procédés dont vous vous servez pour cimenter vos groupes, ils se réduisent au fonctionnarisme et à la sentimentalité, tout cela n’est pas mauvais comme clystère, mais il y a quelque chose de meilleur encore: persuadez à quatre membres d’une section d’assassiner le cinquième sous prétexte que c’est un mouchard, et aussitôt le sang versé les liera tous indissolublement à vous. Ils deviendront vos esclaves, ils n’oseront ni se mutiner, ni vous demander des comptes. Ha, ha, ha!