Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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II
Sans presque dire bonjour à personne, Verkhovensky alla s’asseoir fort négligemment au haut bout de la table. Un insolent dédain se lisait sur son visage. Stavroguine s’inclina poliment. On n’attendait qu’eux; néanmoins, comme si une consigne avait été donnée dans ce sens, tout le monde feignait de remarquer à peine leur arrivée. Dès que Nicolas Vsévolodovitch se fut assis, la maîtresse de la maison s’adressa à lui d’un ton sévère:
– Stavroguine, voulez-vous du thé?
– Oui répondit-il.
– Du thé à Stavroguine, ordonna madame Virguinsky. – Et vous, est-ce que vous en voulez? (Ces derniers mots étaient adressés à Verkhovensky.)
– Sans doute; qui est-ce qui demande cela à ses invités? Mais donnez aussi de la crème, ce qu’on sert chez vous sous le nom de thé est toujours quelque chose de si infect; et un jour de fête encore…
– Comment, vous aussi vous admettez les fêtes? fit en riant l’étudiante; – on parlait de cela tout à l’heure.
– Vieillerie! grommela le collégien à l’autre bout de la table.
– Qu’est-ce qui est une vieillerie? Fouler aux pieds les préjugés, fussent-ils les plus innocents, n’est pas une vieillerie; au contraire, il faut le dire à notre honte, c’est jusqu’à présent une nouveauté, déclara aussitôt la jeune fille qui, en parlant, gesticulait avec véhémence. – D’ailleurs, il n’y a pas de préjugés innocents, ajouta-t-elle d’un ton aigre.
– J’ai seulement voulu dire, répliqua avec agitation le collégien, – que, quoique les préjugés soient sans doute des vieilleries et qu’il faille les extirper, cependant, en ce qui concerne les anniversaires de naissance, la stupidité de ces fêtes est trop universellement reconnue pour perdre un temps précieux et déjà sans cela perdu par tout le monde, en sorte qu’on pourrait employer son esprit à traiter un sujet plus urgent…
– Vous n’en finissez plus, on ne comprend rien, cria l’étudiante.
– Il me semble que chacun a le droit de prendre la parole, et si je désire exprimer mon opinion, comme tout autre…
– Personne ne vous conteste le droit de prendre la parole, interrompit sèchement la maîtresse de la maison, – on vous invite seulement à ne pas mâchonner, attendu que personne ne peut vous comprendre.
– Pourtant permettez-moi de vous faire observer que vous me témoignez peu d’estime; si je n’ai pas pu achever ma pensée, ce n’est pas parce que je n’ai pas d’idées, mais plutôt parce que j’en ai trop… balbutia le pauvre jeune homme qui pataugeait de plus en plus.
– Si vous ne savez pas parler, eh bien, taisez-vous, lui envoya l’étudiante.
À ces mots, le collégien se leva soudain, comme mû par un ressort.
– Je voulais seulement dire, vociféra-t-il rouge de honte et sans oser regarder autour de lui, – que si vous êtes tant pressée de montrer votre esprit, c’est tout bonnement parce que M. Stavroguine vient d’arriver – voilà!
– Votre idée est ignoble et immorale, elle prouve combien vous êtes peu développé. Je vous prie de ne plus m’adresser la parole, repartit violemment la jeune fille.
– Stavroguine, commença la maîtresse de la maison, – avant votre arrivée, cet officier (elle montra le major, son parent) parlait ici des droits de la famille. Sans doute, je ne vous ennuierai pas avec une sottise si vieille et depuis longtemps percée à jour. Mais, pourtant, où a-t-on pu prendre les droits et les devoirs de la famille, entendus dans le sens que le préjugé courant donne à ces mots? Voilà la question. Quel est votre avis?
– Comment, où l’on a pu les prendre? demanda Nicolas Vsévolodovitch.
– Nous savons, par exemple, que le préjugé de Dieu est venu du tonnerre et de l’éclair, s’empressa d’ajouter l’étudiante en dardant ses yeux sur Stavroguine; – personne n’ignore que les premiers hommes, effrayés par la foudre, ont divinisé l’ennemi invisible devant qui ils sentaient leur faiblesse. Mais d’où est né le préjugé de la famille? D’où a pu provenir la famille elle-même?
– Ce n’est pas tout à fait la même chose…, voulut faire observer madame Virguinsky.
– Je suppose que la réponse à une telle question serait indécente, dit Stavroguine.
– Allons donc! protesta l’étudiante.
Dans le groupe des professeurs éclatèrent des rires auxquels firent écho, à l’autre bout de la table, Liamchine et le collégien; le major pouffait.
– Vous devriez écrire des vaudevilles, remarqua la maîtresse de la maison en s’adressant à Stavroguine.
– Cette réponse ne vous fait guère honneur; je ne sais comment on vous appelle, déclara l’étudiante positivement indignée.
– Mais, toi, ne saute pas comme cela! cria le major à sa nièce, – tu es une demoiselle, tu devrais avoir un maintien modeste, et l’on dirait que tu es assise sur une aiguille.
– Veuillez vous taire et ne pas m’interpeller avec cette familiarité, épargnez-moi vos ignobles comparaisons. Je vous vois pour la première fois, et ne veux pas savoir si vous êtes mon parent.
– Mais, voyons, je suis ton oncle; je t’ai portée dans mes bras quand tu n’étais encore qu’un enfant à la mamelle!
– Et quand même vous m’auriez portée dans vos bras, voilà-t-il pas une affaire! Je ne vous l’avais pas demandé; si donc vous l’avez fait, monsieur l’officier impoli, c’est que cela vous plaisait. Et permettez-moi de vous faire observer que vous ne devez pas me tutoyer, si ce n’est par civisme; autrement je vous le défends une fois pour toutes.
Le major frappa du poing sur la table.
– Voilà comme elles sont toutes! dit-il à Stavroguine assis en face de lui. – Non, permettez, j’aime le libéralisme et les idées modernes, je goûte fort les propos intelligents, mais, entendons-nous, ils ne me plaisent que dans la bouche des hommes, et le libéralisme en jupons fait mon supplice! Ne te tortille donc pas ainsi! cria-t-il à la jeune fille qui se démenait sur sa chaise. – Non, je demande aussi la parole, je suis offensé.
– Vous ne faites que gêner les autres, et vous-même vous ne savez rien dire, bougonna la maîtresse de la maison.
– Si, je vais m’expliquer, reprit en s’échauffant le major. – Je m’adresse à vous, monsieur Stavroguine, parce que vous venez d’arriver, quoique je n’aie pas l’honneur de vous connaître. Sans les hommes, elles ne peuvent rien, – voilà mon opinion. Toute leur question des femmes n’est qu’un emprunt qu’elles nous ont fait; je vous l’assure, c’est nous autres qui la leur avons inventée et qui nous sommes bêtement mis cette pierre au cou. Si je remercie Dieu d’une chose, c’est d’être resté célibataire! Pas le plus petit grain d’originalité; elles ne sont même pas capables de créer une façon de robe, il faut que les hommes inventent des patrons pour elles! Tenez, celle-ci, je l’ai portée dans mes bras, j’ai dansé la mazurka avec elle quand elle avait dix ans; aujourd’hui elle arrive de Pétersbourg, naturellement je cours l’embrasser, et quelle est la seconde parole qu’elle me dit? «Dieu n’existe pas!» Si encore ç’avait été la troisième; mais non, c’est la seconde, la langue lui démangeait! Allons, lui dis-je, j’admets que les hommes intelligents ne croient pas, cela peut tenir à leur intelligence; mais toi, tête vide, qu’est-ce que tu comprends à la question de l’existence de Dieu? Tu répètes ce qu’un étudiant t’a seriné; s’il t’avait dit d’allumer des lampes devant les icônes, tu en allumerais.