Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– Mais, pardieu! il y a le vôtre, cher ami, répondit d’Artagnan.
– Notre vin? fit Athos étonné.
– Oui, celui que vous m’avez envoyé.
– Nous vous avons envoyé du vin?
– Mais vous savez bien, de ce petit vin des coteaux d’Anjou?
– Oui, je sais bien de quel vin vous voulez parler.
– Le vin que vous préférez.
– Sans doute, quand je n’ai ni champagne ni chambertin.
– Eh bien, à défaut de champagne et de chambertin, vous vous contenterez de celui-là.
– Nous avons donc fait venir du vin d’Anjou, gourmet que nous sommes? dit Porthos.
– Mais non, c’est le vin qu’on m’a envoyé de votre part.
– De notre part? firent les trois mousquetaires.
– Est-ce vous, Aramis, dit Athos, qui avez envoyé du vin?
– Non, et vous, Porthos?
– Non, et vous, Athos?
– Non.
– Si ce n’est pas vous, dit d’Artagnan, c’est votre hôtelier.
– Notre hôtelier?
– Eh oui! votre hôtelier, Godeau, hôtelier des mousquetaires.
– Ma foi, qu’il vienne d’où il voudra, n’importe, dit Porthos, goûtons-le, et, s’il est bon, buvons-le.
– Non pas, dit Athos, ne buvons pas le vin qui a une source inconnue.
– Vous avez raison, Athos, dit d’Artagnan. Personne de vous n’a chargé l’hôtelier Godeau de m’envoyer du vin?
– Non! et cependant il vous en a envoyé de notre part?
– Voici la lettre!» dit d’Artagnan.
Et il présenta le billet à ses camarades.
«Ce n’est pas son écriture! s’écria Athos, je la connais, c’est moi qui, avant de partir, ai réglé les comptes de la communauté.
– Fausse lettre, dit Porthos; nous n’avons pas été consignés.
– D’Artagnan, demanda Aramis d’un ton de reproche, comment avez-vous pu croire que nous avions fait du bruit?…»
D’Artagnan pâlit, et un tremblement convulsif secoua tous ses membres.
«Tu m’effraies, dit Athos, qui ne le tutoyait que dans les grandes occasions, qu’est-il donc arrivé?
– Courons, courons, mes amis! s’écria d’Artagnan, un horrible soupçon me traverse l’esprit! serait-ce encore une vengeance de cette femme?»
Ce fut Athos qui pâlit à son tour.
D’Artagnan s’élança vers la buvette, les trois mousquetaires et les deux gardes l’y suivirent.
Le premier objet qui frappa la vue de d’Artagnan en entrant dans la salle à manger, fut Brisemont étendu par terre et se roulant dans d’atroces convulsions.
Planchet et Fourreau, pâles comme des morts, essayaient de lui porter secours; mais il était évident que tout secours était inutile: tous les traits du moribond étaient crispés par l’agonie.
«Ah! s’écria-t-il en apercevant d’Artagnan, ah! c’est affreux, vous avez l’air de me faire grâce et vous m’empoisonnez!
– Moi! s’écria d’Artagnan, moi, malheureux! moi! que dis-tu donc là?
– Je dis que c’est vous qui m’avez donné ce vin, je dis que c’est vous qui m’avez dit de le boire, je dis que vous avez voulu vous venger de moi, je dis que c’est affreux!
– N’en croyez rien, Brisemont, dit d’Artagnan, n’en croyez rien; je vous jure, je vous proteste…
– Oh! mais Dieu est là! Dieu vous punira! Mon Dieu! qu’il souffre un jour ce que je souffre!
– Sur l’évangile, s’écria d’Artagnan en se précipitant vers le moribond, je vous jure que j’ignorais que ce vin fût empoisonné et que j’allais en boire comme vous.
– Je ne vous crois pas», dit le soldat.
Et il expira dans un redoublement de tortures.
«Affreux! affreux! murmurait Athos, tandis que Porthos brisait les bouteilles et qu’Aramis donnait des ordres un peu tardifs pour qu’on allât chercher un confesseur.
– O mes amis! dit d’Artagnan, vous venez encore une fois de me sauver la vie, non seulement à moi, mais à ces messieurs. Messieurs, continua-t-il en s’adressant aux gardes, je vous demanderai le silence sur toute cette aventure; de grands personnages pourraient avoir trempé dans ce que vous avez vu, et le mal de tout cela retomberait sur nous.
– Ah! monsieur! balbutiait Planchet plus mort que vif; ah! monsieur! que je l’ai échappé belle!
– Comment, drôle, s’écria d’Artagnan, tu allais donc boire mon vin?
– À la santé du roi, monsieur, j’allais en boire un pauvre verre, si Fourreau ne m’avait pas dit qu’on m’appelait.
– Hélas! dit Fourreau, dont les dents claquaient de terreur, je voulais l’éloigner pour boire tout seul!
– Messieurs, dit d’Artagnan en s’adressant aux gardes, vous comprenez qu’un pareil festin ne pourrait être que fort triste après ce qui vient de se passer; ainsi recevez toutes mes excuses et remettez la partie à un autre jour, je vous prie.»
Les deux gardes acceptèrent courtoisement les excuses de d’Artagnan, et, comprenant que les quatre amis désiraient demeurer seuls, ils se retirèrent.
Lorsque le jeune garde et les trois mousquetaires furent sans témoins, ils se regardèrent d’un air qui voulait dire que chacun comprenait la gravité de la situation.
«D’abord, dit Athos, sortons de cette chambre; c’est une mauvaise compagnie qu’un mort, mort de mort violente.
– Planchet, dit d’Artagnan, je vous recommande le cadavre de ce pauvre diable. Qu’il soit enterré en terre sainte. Il avait commis un crime, c’est vrai, mais il s’en était repenti.»
Et les quatre amis sortirent de la chambre, laissant à Planchet et à Fourreau le soin de rendre les honneurs mortuaires à Brisemont.
L’hôte leur donna une autre chambre dans laquelle il leur servit des œufs à la coque et de l’eau, qu’Athos alla puiser lui-même à la fontaine. En quelques paroles Porthos et Aramis furent mis au courant de la situation.
«Eh bien, dit d’Artagnan à Athos, vous le voyez, cher ami, c’est une guerre à mort.»
Athos secoua la tête.
«Oui, oui, dit-il, je le vois bien; mais croyez-vous que ce soit elle?
– J’en suis sûr.
– Cependant je vous avoue que je doute encore.
– Mais cette fleur de lis sur l’épaule?
– C’est une Anglaise qui aura commis quelque méfait en France, et qu’on aura flétrie à la suite de son crime.
– Athos, c’est votre femme, vous dis-je, répétait d’Artagnan, ne vous rappelez-vous donc pas comme les deux signalements se ressemblent?
– J’aurais cependant cru que l’autre était morte, je l’avais si bien pendue.»
Ce fut d’Artagnan qui secoua la tête à son tour.
«Mais enfin, que faire? dit le jeune homme.
– Le fait est qu’on ne peut rester ainsi avec une épée éternellement suspendue au-dessus de sa tête, dit Athos, et qu’il faut sortir de cette situation.
– Mais comment?
– Écoutez, tâchez de la rejoindre et d’avoir une explication avec elle; dites-lui: La paix ou la guerre! ma parole de gentilhomme de ne jamais rien dire de vous, de ne jamais rien faire contre vous; de votre côté serment solennel de rester neutre à mon égard: sinon, je vais trouver le chancelier, je vais trouver le roi, je vais trouver le bourreau, j’ameute la cour contre vous, je vous dénonce comme flétrie, je vous fais mettre en jugement, et si l’on vous absout, eh bien, je vous tue, foi de gentilhomme! au coin de quelque borne, comme je tuerais un chien enragé.
– J’aime assez ce moyen, dit d’Artagnan, mais comment la joindre?
– Le temps, cher ami, le temps amène l’occasion, l’occasion c’est la martingale de l’homme: plus on a engagé, plus l’on gagne quand on sait attendre.
– Oui, mais attendre entouré d’assassins et d’empoisonneurs…
– Bah! dit Athos, Dieu nous a gardés jusqu’à présent, Dieu nous gardera encore.
– Oui, nous; nous d’ailleurs, nous sommes des hommes, et, à tout prendre, c’est notre état de risquer notre vie: mais elle! ajouta-t-il à demi-voix.
– Qui elle? demanda Athos.
– Constance.
– Mme Bonacieux! ah! c’est juste, fit Athos; pauvre ami! j’oubliais que vous étiez amoureux.
– Eh bien, mais, dit Aramis, n’avez-vous pas vu par la lettre même que vous avez trouvée sur le misérable mort qu’elle était dans un couvent? On est très bien dans un couvent, et aussitôt le siège de La Rochelle terminé, je vous promets que pour mon compte…