Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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– Nous ne l’avons pas vue, Monseigneur, dit Athos.
– Vous ne l’avez pas vue; ah! très bien, reprit vivement le cardinal; vous avez bien fait de défendre l’honneur d’une femme, et, comme c’est à l’auberge du Colombier-Rouge que je vais moi-même, je saurai si vous m’avez dit la vérité.
– Monseigneur, dit fièrement Athos, nous sommes gentilshommes, et pour sauver notre tête, nous ne ferions pas un mensonge.
– Aussi je ne doute pas de ce que vous me dites, monsieur Athos, je n’en doute pas un seul instant; mais, ajouta-t-il pour changer la conversation, cette dame était donc seule?
– Cette dame avait un cavalier enfermé avec elle, dit Athos; mais, comme malgré le bruit ce cavalier ne s’est pas montré, il est à présumer que c’est un lâche.
– Ne jugez pas témérairement, dit l’évangile», répliqua le cardinal.
Athos s’inclina.
«Et maintenant, messieurs, c’est bien, continua Son Éminence, je sais ce que je voulais savoir; suivez-moi.»
Les trois mousquetaires passèrent derrière le cardinal, qui s’enveloppa de nouveau le visage de son manteau et remit son cheval en marche, se tenant à huit ou dix pas en avant de ses quatre compagnons.
On arriva bientôt à l’auberge silencieuse et solitaire; sans doute l’hôte savait quel illustre visiteur il attendait, et en conséquence il avait renvoyé les importuns.
Dix pas avant d’arriver à la porte, le cardinal fit signe à son écuyer et aux trois mousquetaires de faire halte, un cheval tout sellé était attaché au contrevent, le cardinal frappa trois coups et de certaine façon.
Un homme enveloppé d’un manteau sortit aussitôt et échangea quelques rapides paroles avec le cardinal; après quoi il remonta à cheval et repartit dans la direction de Surgères, qui était aussi celle de Paris.
«Avancez, messieurs, dit le cardinal.
– Vous m’avez dit la vérité, mes gentilshommes, dit-il en s’adressant aux trois mousquetaires, il ne tiendra pas à moi que notre rencontre de ce soir ne vous soit avantageuse; en attendant, suivez-moi.»
Le cardinal mit pied à terre, les trois mousquetaires en firent autant; le cardinal jeta la bride de son cheval aux mains de son écuyer, les trois mousquetaires attachèrent les brides des leurs aux contrevents.
L’hôte se tenait sur le seuil de la porte; pour lui, le cardinal n’était qu’un officier venant visiter une dame.
«Avez-vous quelque chambre au rez-de-chaussée où ces messieurs puissent m’attendre près d’un bon feu?» dit le cardinal.
L’hôte ouvrit la porte d’une grande salle, dans laquelle justement on venait de remplacer un mauvais poêle par une grande et excellente cheminée.
«J’ai celle-ci, répondit-il.
– C’est bien, dit le cardinal; entrez là, messieurs, et veuillez m’attendre; je ne serai pas plus d’une demi-heure.»
Et tandis que les trois mousquetaires entraient dans la chambre du rez-de-chaussée, le cardinal, sans demander plus amples renseignements, monta l’escalier en homme qui n’a pas besoin qu’on lui indique son chemin.
CHAPITRE XLIV
Il était évident que, sans s’en douter, et mus seulement par leur caractère chevaleresque et aventureux, nos trois amis venaient de rendre service à quelqu’un que le cardinal honorait de sa protection particulière.
Maintenant quel était ce quelqu’un? C’est la question que se firent d’abord les trois mousquetaires; puis, voyant qu’aucune des réponses que pouvait leur faire leur intelligence n’était satisfaisante, Porthos appela l’hôte et demanda des dés.
Porthos et Aramis se placèrent à une table et se mirent à jouer. Athos se promena en réfléchissant.
En réfléchissant et en se promenant, Athos passait et repassait devant le tuyau du poêle rompu par la moitié et dont l’autre extrémité donnait dans la chambre supérieure, et à chaque fois qu’il passait et repassait, il entendait un murmure de paroles qui finit par fixer son attention. Athos s’approcha, et il distingua quelques mots qui lui parurent sans doute mériter un si grand intérêt qu’il fit signe à ses compagnons de se taire, restant lui-même courbé l’oreille tendue à la hauteur de l’orifice inférieur.
«Écoutez, Milady, disait le cardinal, l’affaire est importante: asseyez-vous là et causons.
– Milady! murmura Athos.
– J’écoute Votre Éminence avec la plus grande attention, répondit une voix de femme qui fit tressaillir le mousquetaire.
– Un petit bâtiment avec équipage anglais, dont le capitaine est à moi, vous attend à l’embouchure de la Charente, au fort de La Pointe; il mettra à la voile demain matin.
– Il faut alors que je m’y rende cette nuit?
– À l’instant même, c’est-à-dire lorsque vous aurez reçu mes instructions. Deux hommes que vous trouverez à la porte en sortant vous serviront d’escorte; vous me laisserez sortir le premier, puis une demi-heure après moi, vous sortirez à votre tour.
– Oui, Monseigneur. Maintenant revenons à la mission dont vous voulez bien me charger; et comme je tiens à continuer de mériter la confiance de Votre Éminence, daignez me l’exposer en termes clairs et précis, afin que je ne commette aucune erreur.»
Il y eut un instant de profond silence entre les deux interlocuteurs; il était évident que le cardinal mesurait d’avance les termes dans lesquels il allait parler, et que Milady recueillait toutes ses facultés intellectuelles pour comprendre les choses qu’il allait dire et les graver dans sa mémoire quand elles seraient dites.
Athos profita de ce moment pour dire à ses deux compagnons de fermer la porte en dedans et pour leur faire signe de venir écouter avec lui.
Les deux mousquetaires, qui aimaient leurs aises, apportèrent une chaise pour chacun d’eux, et une chaise pour Athos. Tous trois s’assirent alors, leurs têtes rapprochées et l’oreille au guet.
«Vous allez partir pour Londres, continua le cardinal. Arrivée à Londres, vous irez trouver Buckingham.
– Je ferai observer à Son Éminence, dit Milady, que depuis l’affaire des ferrets de diamants, pour laquelle le duc m’a toujours soupçonnée, Sa Grâce se défie de moi.
– Aussi cette fois-ci, dit le cardinal, ne s’agit-il plus de capter sa confiance, mais de se présenter franchement et loyalement à lui comme négociatrice.
– Franchement et loyalement, répéta Milady avec une indicible expression de duplicité.
– Oui, franchement et loyalement, reprit le cardinal du même ton; toute cette négociation doit être faite à découvert.
– Je suivrai à la lettre les instructions de Son Éminence, et j’attends qu’elle me les donne.
– Vous irez trouver Buckingham de ma part, et vous lui direz que je sais tous les préparatifs qu’il fait mais que je ne m’en inquiète guère, attendu qu’au premier mouvement qu’il risquera, je perds la reine.
– Croira-t-il que Votre Éminence est en mesure d’accomplir la menace qu’elle lui fait?
– Oui, car j’ai des preuves.
– Il faut que je puisse présenter ces preuves à son appréciation.
– Sans doute, et vous lui direz que je publie le rapport de Bois-Robert et du marquis de Beautru sur l’entrevue que le duc a eu chez Mme la connétable avec la reine, le soir que Mme la connétable a donné une fête masquée; vous lui direz, afin qu’il ne doute de rien, qu’il y est venu sous le costume du grand mogol que devait porter le chevalier de Guise, et qu’il a acheté à ce dernier moyennant la somme de trois mille pistoles.
– Bien, Monseigneur.
– Tous les détails de son entrée au Louvre et de sa sortie pendant la nuit où il s’est introduit au palais sous le costume d’un diseur de bonne aventure italien me sont connus; vous lui direz, pour qu’il ne doute pas encore de l’authenticité de mes renseignements, qu’il avait sous son manteau une grande robe blanche semée de larmes noires, de têtes de mort et d’os en sautoir: car, en cas de surprise, il devait se faire passer pour le fantôme de la Dame blanche qui, comme chacun le sait, revient au Louvre chaque fois que quelque grand événement va s’accomplir.