Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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Athos buvait à petits coups la dernière bouteille de son vin d’Espagne.
Pendant ce temps, d’Artagnan défilait avec sa compagnie.
En arrivant au faubourg Saint-Antoine, il se retourna pour regarder gaiement la Bastille; mais, comme c’était la Bastille seulement qu’il regardait, il ne vit point Milady, qui, montée sur un cheval isabelle, le désignait du doigt à deux hommes de mauvaise mine qui s’approchèrent aussitôt des rangs pour le reconnaître. Sur une interrogation qu’ils firent du regard, Milady répondit par un signe que c’était bien lui. Puis, certaine qu’il ne pouvait plus y avoir de méprise dans l’exécution de ses ordres, elle piqua son cheval et disparut.
Les deux hommes suivirent alors la compagnie, et, à la sortie du faubourg Saint-Antoine, montèrent sur des chevaux tout préparés qu’un domestique sans livrée tenait en les attendant.
CHAPITRE XLI
Le siège de La Rochelle fut un des grands événements politiques du règne de Louis XIII, et une des grandes entreprises militaires du cardinal. Il est donc intéressant, et même nécessaire, que nous en disions quelques mots; plusieurs détails de ce siège se liant d’ailleurs d’une manière trop importante à l’histoire que nous avons entrepris de raconter, pour que nous les passions sous silence.
Les vues politiques du cardinal, lorsqu’il entreprit ce siège, étaient considérables. Exposons-les d’abord, puis nous passerons aux vues particulières qui n’eurent peut-être pas sur Son Éminence moins d’influence que les premières.
Des villes importantes données par Henri IV aux huguenots comme places de sûreté, il ne restait plus que La Rochelle. Il s’agissait donc de détruire ce dernier boulevard du calvinisme, levain dangereux, auquel se venaient incessamment mêler des ferments de révolte civile ou de guerre étrangère.
Espagnols, Anglais, Italiens mécontents, aventuriers de toute nation, soldats de fortune de toute secte accouraient au premier appel sous les drapeaux des protestants et s’organisaient comme une vaste association dont les branches divergeaient à loisir sur tous les points de l’Europe.
La Rochelle, qui avait pris une nouvelle importance de la ruine des autres villes calvinistes, était donc le foyer des dissensions et des ambitions. Il y avait plus, son port était la dernière porte ouverte aux Anglais dans le royaume de France; et en la fermant à l’Angleterre, notre éternelle ennemie, le cardinal achevait l’œuvre de Jeanne d’Arc et du duc de Guise.
Aussi Bassompierre, qui était à la fois protestant et catholique, protestant de conviction et catholique comme commandeur du Saint-Esprit; Bassompierre, qui était allemand de naissance et français de cœur; Bassompierre, enfin, qui avait un commandement particulier au siège de La Rochelle, disait-il, en chargeant à la tête de plusieurs autres seigneurs protestants comme lui:
«Vous verrez, messieurs, que nous serons assez bêtes pour prendre La Rochelle!»
Et Bassompierre avait raison: la canonnade de l’île de Ré lui présageait les dragonnades des Cévennes; la prise de La Rochelle était la préface de la révocation de l’édit de Nantes.
Mais nous l’avons dit, à côté de ces vues du ministre niveleur et simplificateur, et qui appartiennent à l’histoire, le chroniqueur est bien forcé de reconnaître les petites visées de l’homme amoureux et du rival jaloux.
Richelieu, comme chacun sait, avait été amoureux de la reine; cet amour avait-il chez lui un simple but politique ou était-ce tout naturellement une de ces profondes passions comme en inspira Anne d’Autriche à ceux qui l’entouraient, c’est ce que nous ne saurions dire; mais en tout cas on a vu, par les développements antérieurs de cette histoire, que Buckingham l’avait emporté sur lui, et que, dans deux ou trois circonstances et particulièrement dans celles des ferrets, il l’avait, grâce au dévouement des trois mousquetaires et au courage de d’Artagnan, cruellement mystifié.
Il s’agissait donc pour Richelieu, non seulement de débarrasser la France d’un ennemi, mais de se venger d’un rival; au reste, la vengeance devait être grande et éclatante, et digne en tout d’un homme qui tient dans sa main, pour épée de combat, les forces de tout un royaume.
Richelieu savait qu’en combattant l’Angleterre il combattait Buckingham, qu’en triomphant de l’Angleterre il triomphait de Buckingham, enfin qu’en humiliant l’Angleterre aux yeux de l’Europe il humiliait Buckingham aux yeux de la reine.
De son côté Buckingham, tout en mettant en avant l’honneur de l’Angleterre, était mû par des intérêts absolument semblables à ceux du cardinal; Buckingham aussi poursuivait une vengeance particulière: sous aucun prétexte, Buckingham n’avait pu rentrer en France comme ambassadeur, il voulait y rentrer comme conquérant.
Il en résulte que le véritable enjeu de cette partie, que les deux plus puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux hommes amoureux, était un simple regard d’Anne d’Autriche.
Le premier avantage avait été au duc de Buckingham: arrivé inopinément en vue de l’île de Ré avec quatre-vingt-dix vaisseaux et vingt mille hommes à peu près, il avait surpris le comte de Toiras, qui commandait pour le roi dans l’île; il avait, après un combat sanglant, opéré son débarquement.
Relatons en passant que dans ce combat avait péri le baron de Chantal; le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille de dix-huit mois.
Cette petite fille fut depuis Mme de Sévigné.
Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec la garnison, et jeta une centaine d’hommes dans un petit fort qu’on appelait le fort de La Prée.
Cet événement avait hâté les résolutions du cardinal; et en attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement du siège de La Rochelle, qui était résolu, il avait fait partir Monsieur pour diriger les premières opérations, et avait fait filer vers le théâtre de la guerre toutes les troupes dont il avait pu disposer.
C’était de ce détachement envoyé en avant-garde que faisait partie notre ami d’Artagnan.
Le roi, comme nous l’avons dit, devait suivre, aussitôt son lit de justice tenu, mais en se levant de ce lit de justice, le 28 juin, il s’était senti pris par la fièvre; il n’en avait pas moins voulu partir, mais, son état empirant, il avait été forcé de s’arrêter à Villeroi.
Or, où s’arrêtait le roi s’arrêtaient les mousquetaires; il en résultait que d’Artagnan, qui était purement et simplement dans les gardes, se trouvait séparé, momentanément du moins, de ses bons amis Athos, Porthos et Aramis; cette séparation, qui n’était pour lui qu’une contrariété, fût certes devenue une inquiétude sérieuse s’il eût pu deviner de quels dangers inconnus il était entouré.
Il n’en arriva pas moins sans accident au camp établi devant La Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l’année 1627.
Tout était dans le même état: le duc de Buckingham et ses Anglais, maîtres de l’île de Ré, continuaient d’assiéger mais sans succès, la citadelle de Saint-Martin et le fort de La Prée, et les hostilités avec La Rochelle étaient commencées depuis deux ou trois jours à propos d’un fort que le duc d’Angoulême venait de faire construire près de la ville.
Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur logement aux Minimes.
Mais nous le savons, d’Artagnan, préoccupé de l’ambition de passer aux mousquetaires, avait rarement fait amitié avec ses camarades; il se trouvait donc isolé et livré à ses propres réflexions.
Ses réflexions n’étaient pas riantes: depuis un an qu’il était arrivé à Paris, il s’était mêlé aux affaires publiques; ses affaires privées n’avaient pas fait grand chemin comme amour et comme fortune.
Comme amour, la seule femme qu’il eût aimée était Mme Bonacieux, et Mme Bonacieux avait disparu sans qu’il pût découvrir encore ce qu’elle était devenue.