La Reine Margot Tome I
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Sur fond de guerres sanglantes, de Saint Barth?l?my ainsi que de la lutte entre Catherine de M?dicis et Henri de Navarre, la premi?re ?pouse de ce dernier, Marguerite de Valois, appel?e la reine Margot, entretient des intrigues amoureuses notoires et violentes… Roman historique qui reste avant tout un roman, ce livre nous fait sentir l'atmosph?re de cette ?poque et appr?hender l'histoire de notre pays!
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Un vague espoir disait tout bas à chaque cœur que ce protecteur inconnu était la femme qu’il aimait.
Aussi les deux blessés attendaient-ils avec une impatience sans égale le moment de leur sortie. La Mole, plus fort et mieux guéri que Coconnas, aurait pu opérer la sienne depuis longtemps; mais une espèce de convention tacite le liait au sort de son ami. Il était convenu que leur première sortie serait consacrée à trois visites.
La première, au docteur inconnu dont le breuvage velouté avait opéré sur la poitrine enflammée de Coconnas une si notable amélioration.
La seconde, à l’hôtel de défunt maître La Hurière, où chacun d’eux avait laissé valise et cheval.
La troisième, au Florentin René, lequel, joignant à son titre de parfumeur celui de magicien, vendait non seulement des cosmétiques et des poisons, mais encore composait des philtres et rendait des oracles.
Enfin, après deux mois passés de convalescence et de réclusion, ce jour tant attendu arriva.
Nous avons dit de réclusion, c’est le mot qui convient, car plusieurs fois, dans leur impatience, ils avaient voulu hâter ce jour; mais une sentinelle placée à la porte leur avait constamment barré le passage, et ils avaient appris qu’ils ne sortiraient que sur un exeat de maître Ambroise Paré.
Or, un jour, l’habile chirurgien ayant reconnu que les deux malades étaient, sinon complètement guéris, du moins en voie de complète guérison, avait donné cet exeat, et vers les deux heures de l’après-midi, par une de ces belles journées d’automne, comme Paris en offre parfois à ses habitants étonnés qui ont déjà fait provision de résignation pour l’hiver, les deux amis, appuyés au bras l’un de l’autre, mirent le pied hors du Louvre.
La Mole, qui avait retrouvé avec grand plaisir sur un fauteuil le fameux manteau cerise qu’il avait plié avec tant de soin avant le combat, s’était constitué le guide de Coconnas, et Coconnas se laissait guider sans résistance et même sans réflexion. Il savait que son ami le conduisait chez le docteur inconnu dont la potion, non patentée, l’avait guéri en une seule nuit, quand toutes les drogues de maître Ambroise Paré le tuaient lentement. Il avait fait deux parts de l’argent renfermé dans sa bourse, c’est-à-dire de deux cents nobles à la rose, et il en avait destiné cent à récompenser l’Esculape anonyme auquel il devait sa convalescence: Coconnas ne craignait pas la mort, mais Coconnas n’en était pas moins fort aise de vivre; aussi, comme on le voit, s’apprêtait-il à récompenser généreusement son sauveur.
La Mole prit la rue de l’Astruce, la grande rue Saint Honoré, la rue des Prouvelles, et se trouva bientôt sur la place des Halles. Près de l’ancienne fontaine et à l’endroit que l’on désigne aujourd’hui par le nom de Carreau des Halles, s’élevait une construction octogone en maçonnerie surmontée d’une vaste lanterne de bois, surmontée elle-même par un toit pointu, au sommet duquel grinçait une girouette. Cette lanterne de bois offrait huit ouvertures que traversait, comme cette pièce héraldique qu’on appelle la fasce traverse le champ du blason, une espèce de roue en bois, laquelle se divisait par le milieu, afin de prendre dans des échancrures taillées à cet effet la tête et les mains du condamné ou des condamnés que l’on exposait à l’une ou l’autre, ou à plusieurs de ces huit ouvertures.
Cette construction étrange, qui n’avait son analogue dans aucune des constructions environnantes, s’appelait le pilori.
Une maison informe, bossue, éraillée, borgne et boiteuse, au toit taché de mousse comme la peau d’un lépreux, avait, pareille à un champignon, poussé au pied de cette espèce de tour.
Cette maison était celle du bourreau.
Un homme était exposé et tirait la langue aux passants; c’était un des voleurs qui avaient exercé autour du gibet de Montfaucon, et qui avait par hasard été arrêté dans l’exercice de ses fonctions.
Coconnas crut que son ami l’amenait voir ce curieux spectacle; il se mêla à la foule des amateurs qui répondaient aux grimaces du patient par des vociférations et des huées.
Coconnas était naturellement cruel, et ce spectacle l’amusa fort; seulement, il eût voulu qu’au lieu des huées et des vociférations, ce fussent des pierres que l’on jetât au condamné assez insolent pour tirer la langue aux nobles seigneurs qui lui faisaient l’honneur de le visiter.
Aussi, lorsque la lanterne mouvante tourna sur sa base pour faire jouir une autre partie de la place de la vue du patient, et que la foule suivit le mouvement de la lanterne, Coconnas voulut-il suivre le mouvement de la foule, mais La Mole l’arrêta en lui disant à demi-voix:
– Ce n’est point pour cela que nous sommes venus ici.
– Et pourquoi donc sommes-nous venus, alors? demanda Coconnas.
– Tu vas le voir, répondit La Mole. Les deux amis se tutoyaient depuis le lendemain de cette fameuse nuit où Coconnas avait voulu éventrer La Mole. Et La Mole conduisit Coconnas droit à la petite fenêtre de cette maison adossée à la tour et sur l’appui de laquelle se tenait un homme accoudé.
– Ah! ah! c’est vous, Messeigneurs! dit l’homme en soulevant son bonnet sang-de-bœuf et en découvrant sa tête aux cheveux noirs et épais descendant jusqu’à ses sourcils, soyez les bienvenus.
– Quel est cet homme? demanda Coconnas cherchant à rappeler ses souvenirs, car il lui sembla avoir vu cette tête-là pendant un des moments de sa fièvre.
– Ton sauveur, mon cher ami, dit La Mole, celui qui t’a apporté au Louvre cette boisson rafraîchissante qui t’a fait tant de bien.
– Oh! oh! fit Coconnas; en ce cas, mon ami… Et il lui tendit la main. Mais l’homme, au lieu de correspondre à cette avance par un geste pareil, se redressa, et, en se redressant, s’éloigna des deux amis de toute la distance qu’occupait la courbe de son corps.
– Monsieur, dit-il à Coconnas, merci de l’honneur que vous voulez bien me faire; mais il est probable que si vous me connaissiez vous ne me le feriez pas.
– Ma foi, dit Coconnas, je déclare que quand vous seriez le diable je me tiens pour votre obligé, car sans vous je serais mort à cette heure.
– Je ne suis pas tout à fait le diable, répondit l’homme au bonnet rouge; mais souvent beaucoup aimeraient mieux voir le diable que de me voir.
– Qui êtes-vous donc? demanda Coconnas.
– Monsieur, répondit l’homme, je suis maître Caboche, bourreau de la prévôté de Paris!…
– Ah!… fit Coconnas en retirant sa main.
– Vous voyez bien! dit maître Caboche.
– Non pas! je toucherai votre main, ou le diable m’emporte! Étendez-la…
– En vérité?
– Toute grande.
– Voici!
– Plus grande… encore… bien!… Et Coconnas prit dans sa poche la poignée d’or préparée pour son médecin anonyme et la déposa dans la main du bourreau.