La Reine Margot Tome I
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Sur fond de guerres sanglantes, de Saint Barth?l?my ainsi que de la lutte entre Catherine de M?dicis et Henri de Navarre, la premi?re ?pouse de ce dernier, Marguerite de Valois, appel?e la reine Margot, entretient des intrigues amoureuses notoires et violentes… Roman historique qui reste avant tout un roman, ce livre nous fait sentir l'atmosph?re de cette ?poque et appr?hender l'histoire de notre pays!
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La Mole approchait toujours.
Coconnas murmurait:
– Ah! c’est toi, toi encore, toi toujours! Viens. Ah! tu me menaces, tu me montres le poing, tu souris! viens, viens! Ah! tu continues d’approcher tout doucement, pas à pas; viens, viens, que je te massacre!
Et en effet, joignant le geste à cette sourde menace, au moment où La Mole se penchait vers lui, Coconnas fit jaillir de dessous ses draps l’éclair d’une lame; mais l’effort que le Piémontais fit en se soulevant brisa ses forces: le bras étendu vers La Mole s’arrêta à moitié chemin, le poignard échappa à sa main débile, et le moribond retomba sur son oreiller.
– Allons, allons, murmura La Mole en soulevant doucement sa tête et en approchant une tasse de ses lèvres, buvez cela, mon pauvre camarade, car vous brûlez.
C’était en effet une tasse que La Mole présentait à Coconnas, et que celui-ci avait prise pour ce poing menaçant dont s’était effarouché le cerveau vide du blessé.
Mais, au contact velouté de la liqueur bienfaisante humectant ses lèvres et rafraîchissant sa poitrine, Coconnas reprit sa raison ou plutôt son instinct: il sentit se répandre en lui un bien-être comme jamais il n’en avait éprouvé; il ouvrit un œil intelligent sur La Mole, qui le tenait entre ses bras et lui souriait, et, de cet œil contracté naguère par une fureur sombre, une petite larme imperceptible roula sur sa joue ardente, qui la but avidement.
– Mordi! murmura Coconnas en se laissant aller sur son traversin, si j’en réchappe, monsieur de la Mole, vous serez mon ami.
– Et vous en réchapperez, mon camarade, dit La Mole, si vous voulez boire trois tasses comme celle que je viens de vous donner, et ne plus faire de vilains rêves.
Une heure après, La Mole, constitué en garde-malade et obéissant ponctuellement aux ordonnances du docteur inconnu, se leva une seconde fois, versa une seconde portion de la liqueur dans une tasse, et porta cette tasse à Coconnas. Mais cette fois le Piémontais, au lieu de l’attendre le poignard à la main, le reçut les bras ouverts, et avala son breuvage avec délices, puis pour la première fois s’endormit avec tranquillité.
La troisième tasse eut un effet non moins merveilleux. La poitrine du malade commença de laisser passer un souffle régulier, quoique haletant encore. Ses membres raidis se détendirent, une douce moiteur s’épandit à la surface de la peau brûlante; et lorsque le lendemain maître Ambroise Paré vint visiter le blessé, il sourit avec satisfaction en disant:
– À partir de ce moment je réponds de M. de Coconnas, et ce ne sera pas une des moins belles cures que j’aurai faites.
Il résulta de cette scène moitié dramatique, moitié burlesque, mais qui ne manquait pas au fond d’une certaine poésie attendrissante, eu égard aux mœurs farouches de Coconnas, que l’amitié des deux gentilshommes, commencée à l’auberge de la Belle-Étoile, et violemment interrompue par les événements de la nuit de la Saint-Barthélemy, reprit dès lors avec une nouvelle vigueur, et dépassa bientôt celles d’Oreste et de Pylade de cinq coups d’épée et d’un coup de pistolet répartis sur leurs deux corps.
Quoi qu’il en soit, blessures vieilles et nouvelles, profondes et légères, se trouvèrent enfin en voie de guérison.
La Mole, fidèle à sa mission de garde-malade, ne voulut point quitter la chambre que Coconnas ne fût entièrement guéri. Il le souleva dans son lit tant que sa faiblesse l’y enchaîna, l’aida à marcher quand il commença de se soutenir, enfin eut pour lui tous les soins qui ressortaient de sa nature douce et aimante, et qui, secondés par la vigueur du Piémontais, amenèrent une convalescence plus rapide qu’on n’avait le droit de l’espérer.
Cependant une seule et même pensée tourmentait les deux jeunes gens: chacun dans le délire de sa fièvre avait bien cru voir s’approcher de lui la femme qui remplissait tout son cœur; mais depuis que chacun avait repris connaissance, ni Marguerite ni madame de Nevers n’étaient certainement entrées dans la chambre. Au reste, cela se comprenait: l’une, femme du roi de Navarre, l’autre, belle-sœur du duc de Guise pouvaient-elles donner aux yeux de tous une marque si publique d’intérêt à deux simples gentilshommes? Non. C’était bien certainement la réponse que devaient se faire La Mole et Coconnas. Mais cette absence, qui tenait peut-être à un oubli total, n’en était pas moins douloureuse.
Il est vrai que le gentilhomme qui avait assisté au combat était venu de temps en temps, et comme de son propre mouvement, demander des nouvelles des deux blessés. Il est vrai que Gillonne, pour son propre compte, en avait fait autant; mais La Mole n’avait point osé parler à l’une de Marguerite, et Coconnas n’avait point osé parler à l’autre de madame de Nevers.
XVIII Les revenants
Pendant quelque temps les deux jeunes gens gardèrent chacun de son côté le secret enfermé dans sa poitrine. Enfin, dans un jour d’expansion, la pensée qui les préoccupait seule déborda de leurs lèvres, et tous deux corroborèrent leur amitié par cette dernière preuve, sans laquelle il n’y a pas d’amitié, c’est-à-dire par une confiance entière.
Ils étaient éperdument amoureux, l’un d’une princesse, l’autre d’une reine.
Il y avait pour les deux pauvres soupirants quelque chose d’effrayant dans cette distance presque infranchissable qui les séparait de l’objet de leurs désirs. Et cependant l’espérance est un sentiment si profondément enraciné au cœur de l’homme, que, malgré la folie de leur espérance, ils espéraient.
Tous deux, au reste, à mesure qu’ils revenaient à eux, soignaient fort leur visage. Chaque homme, même le plus indifférent aux avantages physiques, a, dans certaines circonstances, avec son miroir des conversations muettes, des signes d’intelligence, après lesquels il s’éloigne presque toujours de son confident, fort satisfait de l’entretien. Or, nos deux jeunes gens n’étaient point de ceux à qui leurs miroirs devaient donner de trop rudes avis. La Mole, mince, pâle et élégant, avait la beauté de la distinction; Coconnas, vigoureux, bien découplé, haut en couleur, avait la beauté de la force. Il y avait même plus: pour ce dernier, la maladie avait été un avantage. Il avait maigri, il avait pâli; enfin, la fameuse balafre qui lui avait jadis donné tant de tracas par ses rapports prismatiques avec l’arc-en-ciel avait disparu, annonçant probablement, comme le phénomène postdiluvien, une longue suite de jours purs et de nuits sereines.
Au reste les soins les plus délicats continuaient d’entourer les deux blessés; le jour où chacun d’eux avait pu se lever, il avait trouvé une robe de chambre sur le fauteuil le plus proche de son lit; le jour où il avait pu se vêtir, un habillement complet. Il y a plus, dans la poche de chaque pourpoint il y avait une bourse largement fournie, que chacun d’eux ne garda, bien entendu, que pour la rendre en temps et lieu au protecteur inconnu qui veillait sur lui.
Ce protecteur inconnu ne pouvait être le prince chez lequel logeaient les deux jeunes gens, car ce prince, non seulement n’était pas monté une seule fois chez eux pour les voir, mais encore n’avait pas fait demander de leurs nouvelles.