Le Chevalier De Maison-Rouge
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Un des livres consacr?s par Dumas ? la R?volution Fran?aise. L'action se passe en 1793. Le jacobin Maurice Lindey, officier dans la garde civique, sauve des investigations d'une patrouille une jeune et belle inconnue, qui garde l'anonymat. Prisonni?re au Temple, o? r?gne le cordonnier Simon, ge?lier du dauphin, Marie-Antoinette re?oit un billet lui annon?ant que le chevalier de Maison-Rouge pr?pare son enl?vement…
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– Alors, que voulez-vous donc? demanda le vieillard ému par cet accent de désespoir que l’on n’imite point.
– Écoutez, dit le chevalier, dont l’âme semblait venir chercher un passage sur ses lèvres, elle fut ma bienfaitrice; elle a pour moi quelque attachement! me voir, à sa dernière heure, sera, j’en suis sûr, une consolation pour elle.
– C’est tout ce que vous voulez? demanda le prêtre ébranlé par cet accent irrésistible.
– Absolument tout.
– Vous ne tramez aucun complot pour essayer de délivrer la condamnée?
– Aucun. Je suis chrétien, mon père, et, s’il y a dans mon cœur une ombre de mensonge, si j’espère qu’elle vivra, si j’y travaille en quoi que ce soit, que Dieu me punisse de la damnation éternelle.
– Non! non! je ne puis rien vous promettre, dit le curé, à l’esprit de qui revenaient les dangers si grands et si nombreux d’une semblable imprudence.
– Écoutez, mon père, dit le chevalier avec l’accent d’une profonde douleur, je vous ai parlé en fils soumis, je ne vous ai entretenu que de sentiments chrétiens et charitables; pas une amère parole, pas une menace n’est sortie de ma bouche, et cependant ma tête fermente, cependant la fièvre brûle mon sang, cependant le désespoir me ronge le cœur, cependant je suis armé; voyez, j’ai un poignard.
Et le jeune homme tira de sa poitrine une lame brillante et fine qui jeta un reflet livide sur sa main tremblante.
Le curé s’éloigna vivement.
– Ne craignez rien, dit le chevalier avec un triste sourire; d’autres, vous sachant si fidèle observateur de votre parole, eussent arraché un serment à votre frayeur. Non, je vous ai supplié et je vous supplie encore, les mains jointes, le front sur le carreau: faites que je la voie un seul moment; et tenez, voici pour votre garantie.
Et il tira de sa poche un billet qu’il présenta à l’abbé Girard; celui-ci le déplia et lut ces mots:
Moi, René, chevalier de Maison-Rouge, déclare, sur Dieu et mon honneur, que j’ai, par menace de mort, contraint le digne curé de Saint-Landry à m’emmener à la Conciergerie malgré ses refus et ses vives répugnances. En foi de quoi, j’ai signé,
Maison-Rouge.
– C’est bien, dit le prêtre; mais jurez-moi encore que vous ne ferez pas d’imprudence; ce n’est point assez que ma vie soit sauve, je réponds aussi de la vôtre.
– Oh! ne songeons pas à cela, dit le chevalier; vous consentez?
– Il le faut bien, puisque vous le voulez absolument. Vous m’attendrez en bas, et, lorsqu’elle passera dans le greffe, alors, vous la verrez…
Le chevalier saisit la main du vieillard et la baisa avec autant de respect et d’ardeur qu’il eût baisé le crucifix.
– Oh! murmura le chevalier, elle mourra du moins comme une reine, et la main du bourreau ne la touchera point!
XLVIII La charrette
Aussitôt après qu’il eut obtenu cette permission du curé de Saint-Landry, Maison-Rouge s’élança dans un cabinet entr’ouvert qu’il avait reconnu pour le cabinet de toilette de l’abbé.
Là, en un tour de main, sa barbe et ses moustaches tombèrent sous le rasoir, et ce fut alors seulement que lui-même put voir sa pâleur; elle était effrayante.
Il rentra calme en apparence; il semblait, d’ailleurs, avoir complètement oublié que, malgré la chute de sa barbe et de ses moustaches, il pouvait être reconnu à la Conciergerie.
Il suivit l’abbé, que pendant sa retraite d’un instant deux fonctionnaires étaient venus chercher, et, avec cette audace qui éloigne tout soupçon, avec ce gonflement de la fièvre qui défigure, il entra par la grille donnant à cette époque dans la cour du Palais.
Il était, comme l’abbé Girard, vêtu d’un habit noir, les habits sacerdotaux étant abolis.
Dans le greffe, ils trouvèrent plus de cinquante personnes, soit employés à la prison, soit députés, soit commissaires, se préparant à voir passer la reine, soit en mandataires, soit en curieux.
Son cœur battit si violemment, quand il se trouva en face du guichet, qu’il n’entendit plus les pourparlers de l’abbé avec les gendarmes et le concierge.
Seulement un homme qui tenait à la main des ciseaux et un morceau d’étoffe fraîchement coupé heurta Maison-Rouge sur le seuil.
Maison-Rouge se retourna et reconnut l’exécuteur.
– Que veux-tu, citoyen? demanda Sanson.
Le chevalier essaya de réprimer le frisson qui malgré lui courait dans ses veines.
– Moi? dit-il. Tu le vois bien, citoyen Sanson, j’accompagne le curé de Saint-Landry.
– Ah! bien, répliqua l’exécuteur.
Et il se rangea de côté, donnant des ordres à son aide.
Pendant ce temps, Maison-Rouge pénétra dans l’intérieur du greffe; puis, du greffe, il passa dans le compartiment où se tenaient les deux gendarmes.
Ces braves gens étaient consternés; aussi digne et fière qu’elle avait été avec les autres, aussi bonne et douce la condamnée avait été avec eux: ils semblaient plutôt ses serviteurs que ses gardiens.
Mais, d’où il était, le chevalier ne pouvait apercevoir la reine: le paravent était fermé.
Le paravent s’était ouvert pour donner passage au curé, mais il s’était refermé derrière lui.
Lorsque le chevalier entra, la conversation était déjà engagée.
– Monsieur, disait la reine de sa voix stridente et fière, puisque vous avez fait serment à la République, au nom de qui on me met à mort, je ne saurais avoir confiance en vous. Nous n’adorons plus le même Dieu!
– Madame, répondit Girard fort ému de cette dédaigneuse profession de foi, une chrétienne qui va mourir doit mourir sans haine dans le cœur, et elle ne doit pas repousser son Dieu, sous quelque forme qu’il se présente à elle.
Maison-Rouge fit un pas pour entr’ouvrir le paravent, espérant que lorsqu’elle l’apercevrait, que lorsqu’elle saurait la cause qui l’amenait, elle changerait d’avis à l’endroit du curé; mais les deux gendarmes firent un mouvement.
– Mais, dit Maison-Rouge, puisque je suis l’acolyte du curé…
– Puisqu’elle refuse le curé, répondit Duchesne, elle n’a pas besoin de son acolyte.
– Mais elle acceptera peut-être, dit le chevalier en haussant la voix; il est impossible qu’elle n’accepte pas.
Mais Marie-Antoinette était trop entièrement au sentiment qui l’agitait pour entendre et reconnaître la voix du chevalier.
– Allez, monsieur, continua-t-elle s’adressant toujours à Girard, allez et laissez-moi: puisque nous vivons à cette heure en France sous un régime de liberté, je réclame celle de mourir à ma fantaisie.