Le Chevalier De Maison-Rouge
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Un des livres consacr?s par Dumas ? la R?volution Fran?aise. L'action se passe en 1793. Le jacobin Maurice Lindey, officier dans la garde civique, sauve des investigations d'une patrouille une jeune et belle inconnue, qui garde l'anonymat. Prisonni?re au Temple, o? r?gne le cordonnier Simon, ge?lier du dauphin, Marie-Antoinette re?oit un billet lui annon?ant que le chevalier de Maison-Rouge pr?pare son enl?vement…
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– Tu veux mourir?
– J’affronterai tout: je veux aller trouver le président du comité de surveillance, je veux parler à Hébert, à Danton, à Robespierre; j’avouerai tout, mais il faut qu’on me la rende.
– C’est bien, dit Lorin.
Et, sans ajouter un mot, il se leva, ajusta son ceinturon, se coiffa du chapeau d’uniforme, et, comme avait fait Maurice, il prit deux pistolets chargés qu’il mit dans ses poches.
– Partons, ajouta-t-il simplement.
– Mais tu te compromets! s’écria Maurice.
– Eh bien, après?
Il faut, mon cher, quand la pièce est finie,
S’en retourner en bonne compagnie.
– Où allons-nous chercher d’abord? dit Maurice.
– Cherchons d’abord dans l’ancien quartier, tu sais? vieille rue Saint-Jacques; puis guettons le Maison-Rouge; où il sera, sera sans doute Dixmer; puis rapprochons-nous des maisons de la Vieille-Corderie. Tu sais que l’on parle de transférer Antoinette au Temple! Crois-moi, des hommes comme ceux-là ne perdront qu’au dernier moment l’espoir de la sauver.
– Oui, répéta Maurice, en effet, tu as raison… Maison-Rouge, crois-tu donc qu’il soit à Paris?
– Dixmer y est bien.
– C’est vrai, c’est vrai; ils se sont réunis, dit Maurice, à qui de vagues lueurs venaient de rendre un peu de raison.
Alors, et à partir de ce moment, les deux amis se mirent à chercher; mais ce fut en vain. Paris est grand, et son ombre est épaisse. Jamais gouffre n’a su receler plus obscurément le secret que le crime ou le malheur lui confie.
Cent fois Lorin et Maurice passèrent sur la place de Grève, cent fois ils effleurèrent la petite maison dans laquelle vivait Geneviève, surveillée sans relâche par Dixmer, comme les prêtres d’autrefois surveillaient la victime destinée au sacrifice.
De son côté, se voyant destinée à périr, Geneviève, comme toutes les âmes généreuses, accepta le sacrifice et voulut mourir sans bruit; d’ailleurs, elle redoutait moins encore pour Dixmer que pour la cause de la reine une publicité que Maurice n’eût pas manqué de donner à sa vengeance.
Elle garda donc un silence aussi profond que si la mort eût déjà fermé sa bouche.
Cependant, sans en rien dire à Lorin, Maurice avait été supplier les membres du terrible comité de Salut public; et Lorin, sans en parler à Maurice, s’était, de son côté, dévoué aux mêmes démarches.
Aussi, le même jour, une croix rouge fut tracée par Fouquier-Tinville à côté de leurs noms, et le mot SUSPECTS les réunit dans une sanglante accolade.
XLVI Le jugement
Le vingt-troisième jour du mois de l’an II de la République française une et indivisible, correspondant au 14 octobre 1793, vieux style, comme on disait alors, une foule curieuse envahissait dès le matin les tribunes de la salle où se tenaient les séances révolutionnaires.
Les couloirs du palais, les avenues de la Conciergerie débordaient de spectateurs avides et impatients, qui se transmettaient les uns aux autres les bruits et les passions, comme les flots se transmettent leurs mugissements et leur écume.
Malgré la curiosité avec laquelle chaque spectateur s’agitait, et peut-être même à cause de cette curiosité, chaque flot de cette mer, agité, pressé entre deux barrières, la barrière extérieure qui le poussait, la barrière intérieure qui le repoussait, gardait dans ce flux et ce reflux la même place à peu près qu’il avait prise. Mais aussi les mieux placés avaient compris qu’il fallait qu’ils se fissent pardonner leur bonheur; et ils tendaient à ce but en racontant à leurs voisins, moins bien placés qu’eux, lesquels transmettaient aux autres les paroles primitives, ce qu’ils voyaient et ce qu’ils entendaient.
Mais, près de la porte du tribunal, un groupe d’hommes entassés se disputaient rudement dix lignes d’espace en largeur ou en hauteur; car dix lignes en largeur, c’était assez pour voir entre deux épaules un coin de la salle et la figure des juges; car dix lignes en hauteur, c’était assez pour voir par-dessus une tête toute la salle et la figure de l’accusée.
Malheureusement, ce passage d’un couloir à la salle, ce défilé si étroit, un homme l’occupait presque entièrement avec ses larges épaules et ses bras disposés en arcs-boutants, qui étayaient toute la foule vacillante et prête à crouler dans la salle, si le rempart de chair était venu à lui manquer.
Cet homme inébranlable au seuil du tribunal était jeune et beau, et, à chaque secousse plus vive que lui imprimait la foule, il secouait comme une crinière son épaisse chevelure, sous laquelle brillait un regard sombre et résolu. Puis, lorsque, du regard et du mouvement, il avait repoussé la foule, dont il arrêtait, môle vivant, les opiniâtres attaques, il retombait dans son attentive immobilité.
Cent fois la masse compacte avait essayé de le renverser, car il était de haute taille, et derrière lui toute perspective devenait impossible; mais, comme nous l’avons dit, un rocher n’eût pas été plus inébranlable que lui.
Cependant, de l’autre extrémité de cette mer humaine, au milieu de la foule pressée, un autre homme s’était frayé un passage avec une persévérance qui tenait de la férocité; rien ne l’avait arrêté dans son infatigable progression, ni les coups de ceux qu’il laissait derrière lui, ni les imprécations de ceux qu’il étouffait en passant, ni les plaintes des femmes, car il y avait beaucoup de femmes dans cette foule.
Aux coups il répondait par des coups, aux imprécations par un regard devant lequel reculaient les plus braves, aux plaintes par une impassibilité qui ressemblait à du dédain.
Enfin, il arriva derrière le vigoureux jeune homme qui fermait, pour ainsi dire, l’entrée de la salle. Et au milieu de l’attente générale, car chacun voulait voir comment la chose se passerait entre ces deux rudes antagonistes; et au milieu, disons-nous, de l’attente générale, il essaya de sa méthode, qui consistait à introduire entre deux spectateurs ses coudes comme des coins et à fendre avec son corps les corps les plus soudés les uns aux autres.
C’était pourtant, celui-là, un jeune homme de petite taille, dont le visage pâle et les membres grêles annonçaient une constitution aussi chétive que ses yeux ardents renfermaient de volonté.
Mais à peine son coude eut-il effleuré les flancs du jeune homme placé devant lui, que celui-ci, étonné de l’agression, se retourna vivement et du même mouvement leva un poing qui menaçait, en s’abaissant, d’écraser le téméraire.
Les deux antagonistes se trouvèrent alors face à face, et un petit cri leur échappa en même temps.
Ils venaient de se reconnaître.
– Ah! citoyen Maurice, dit le frêle jeune homme avec un accent d’inexprimable douleur, laissez-moi passer: laissez-moi voir; je vous en supplie! vous me tuerez après!