Un Crime
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Il replaça comme à regret le bol sur la table, et poussa une sorte de gémissement.
– L’onglée, dit la servante attendrie. Faudrait mettre un moment vos doigts sous le robinet. Y a pas meilleur. Et à qui donc cette petite carriole?
– La carriole d’un pauvre garçon, d’un brave garçon, continua le curé de Mégère. Je le crois seulement un peu… un peu simple.
– Mathurin! s’écria-t-elle. Vous avez fait la route avec Mathurin!
– Et qu’est-ce donc, Mathurin?
– Le berger des Malicorne.
– Un berger?
– Plutôt l’ancien berger. Un idiot… Qu’ils disent! Moi, je le crois malicieux, pis qu’un singe, un vrai singe avec ses grimaces. Il a hérité d’une tante, l’an dernier, et il a acheté un cheval et une voiture. On lui confie des chargements, par-ci, par-là, cause qu’il n’est pas demandant, mais des voyageurs, pensez-vous? Ça part quand ça veut et ça revient de même…
– Il avait promis que nous serions ici vers huit heures, seulement…
– Seulement il s’est arrêté partout, je vois ça, rapport à ses peaux de lapin! Des peaux de lapin! Il met dessous du tabac, de l’alcool, que sait-on? Les gendarmes en sont pour leurs frais, il paraît que le procureur de Grenoble le protège. Joli messager! Parions qu’il vous a déposé sur la route à la Poterie, hein? Oh, je connais ses manières. Pas de danger qu’il engage son cheval, la nuit, dans un mauvais sentier. Son cheval, c’est sa femme quasi. Et qu’est-ce que vous lui avez donné pour ça, monsieur le curé?
Elle le vit rougir jusqu’aux yeux:
– Ça n’a aucune importance, fit-il doucement.
– Oui, oui, s’écria-t-elle avec une indignation feinte, monsieur le curé se sera dépouillé pour cet idiot qui ne lui en aura pas plus de reconnaissance qu’une bête – et encore! Tenez, de votre billet, à l’heure que voilà, il ne s’en souvient même plus.
– Vous croyez? dit brusquement le jeune prêtre. Et comme honteux d’une telle vivacité, il remit le nez dans son bol.
– Je vois ce qu’est monsieur le curé, soupira Céleste, trop bon, trop tendre. Par ici, les gens sont durs. Monsieur le curé devra se défendre ou sans quoi… Elle fit comiquement le geste de se dépouiller de sa jupe et de son caraco.
– Mademoiselle Céleste, dit le curé tout à coup avec une chaleur singulière bien que contenue, je crois que nous serons amis.
La vieille faillit laisser tomber la cafetière de faïence.
– Monsieur le curé me plaît de même, fit-elle naïvement. L’autre… l’ancien, ce n’était pas un mauvais homme, mais pas commode à servir, non. Un malade, quoi. Monsieur le curé n’est pas malade?
– Non, reprit-il, je ne vous embarrasserai pas, je n’embarrasse jamais personne. Voyez-vous, mademoiselle Céleste, un jeune prêtre comme moi, dans son premier contact avec une nouvelle paroisse, doit être très discret, très prudent, s’afficher le moins possible, n’est-ce pas votre idée? Les préjugés sont bien forts! Retenez aussi que j’appartiens à un autre diocèse et mes confrères eux-mêmes…
– Oh! monsieur le curé n’aura pas beaucoup de visites à faire. Trois ou quatre, sûrement pas plus. Et puis les curés de ces pays, je vais vous dire, je connais les personnes, ce sont des gens de montagne, un peu lourds, un peu grossiers. Tel que vous voilà, si gracieux, si doux, si honnête, vous en ferez ce que vous voudrez…
– Le Ciel vous entende, mademoiselle Céleste, observa-t-il en souriant. Votre expérience me sera précieuse… Mon Dieu, je ne vous cacherai pas qu’au séminaire, il nous arrive de faire de nos futures servantes le sujet d’innocentes plaisanteries. Et par exemple, nous avons ce proverbe: «Une bonne de curé, disons-nous, c’est comme une belle-mère, tout bon ou tout mauvais.»
Leurs regards se croisèrent et celui de la vieille éclatait d’une innocente tendresse.
– Vous avez des parents? Une famille, mademoiselle Céleste?
– Non, monsieur le curé, je suis native de la Mûre, j’ai toujours servi.
– C’est que… je n’en ai guère non plus, avoua-t-il, et l’accent de ces simples mots en faisait quelque chose de plus émouvant qu’une prière. Il se tut.
– Monsieur le curé peut compter sur moi, dit-elle, les yeux humides.
Le cri d’un coq – du même sans doute – éclata si brusquement et si fort, qu’il semblait surgir des profondeurs du jardin.
– L’air porte bien le son, remarqua-t-elle, signe de froid.
Le curé de Mégère parut ne pas entendre, absorbé par ses réflexions.
– Croyez-vous, dit-il enfin, que je doive dès demain rendre visite à M. le maire? Cela serait convenable peut-être?…
– Dame, ils vous ont tous attendu – et longtemps… La patache n’est arrivée qu’à quatre heures… Et tenez, dimanche au prône, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
– Oh! dimanche… nous avons cinq jours devant nous, mademoiselle Céleste. J’avouerai même que, sauf la complication de ce maudit retard, mon projet était de prendre quelques jours de repos avant… avant ces démarches officielles. Je les eusse faites en compagnie de M. le chanoine Duperron, mon protecteur auprès de Son Excellence, et que je dois retrouver à Grenoble, jeudi ou vendredi. Mais vous croyez sans doute…
– Monsieur le curé fera ce qu’il voudra, répliqua-t-elle d’un ton piqué. Monsieur le curé est juge. Monsieur le curé devrait d’abord aller s’étendre un peu avant le jour. On ne doit plus être loin de cinq heures.
Le prêtre tira de sa poche un gros oignon d’argent.
– Mais non! Trois heures et quart seulement, fit-il de sa voix douce. Vous vous trompez, mademoiselle Céleste.
Elle l’accompagna jusqu’à la chambre et, comme il lui tournait le dos, elle eut son même sourire de compassion maternelle. La ceinture du nouveau curé, maladroitement serrée à la taille, s’enroulait à la hanche comme une corde.
– Monsieur le curé voudra bien laisser sa soutane à la porte, dit-elle. Je lui donnerai un petit coup de fer.
Mais ce coup de fer ne fut jamais donné.
Cela commença par un incident presque comique. Elle avait cru entendre battre le volet de la cuisine et, au plus creux de son sommeil, luttait contre le souvenir encore trop vivace de l’acte accompli quelques instants plus tôt, de la pression des doigts sur le métal glacé, du choc de la barre de fer rentrant dans sa logette. Cette lutte absurde, qui dura sans doute une minute ou deux, lui parut se prolonger des heures. Puis, comme il arrive souvent, la logique intérieure du rêve, plus pressante et plus impérieuse que l’autre, l’emporta dans le moment même où le corps sortait de son engourdissement. Elle se dirigea vers la porte à tâtons, l’ouvrit avant d’avoir réussi à lever ses paupières. Le curé de Mégère était devant elle.
– Je vous demande pardon, dit-il d’une voix effrayante.
La lampe tremblait si fort entre ses doigts qu’elle la lui arracha. Elle ne songeait même pas qu’elle était là, dans le couloir, sa jupe retroussée sur ses cuisses, presque nue. Elle ne pouvait détacher ses yeux de ce visage si jeune, creusé soudain par l’angoisse, vieilli, méconnaissable.
– J’ai entendu… dit-il.
– Entendu, quoi?
Le cri qu’elle retenait encore faillit s’échapper de sa gorge. Elle ne s’expliqua pas depuis, comment, par quel miracle, elle avait pu étouffer au-dedans d’elle ce hurlement furieux, semblable à ceux qu’on pousse en rêve. Il n’avait fallu qu’un regard du prêtre. L’épouvante qu’elle y lisait n’en troublait pas l’extraordinaire limpidité. Ce regard lui fit honte.
Le curé de Mégère l’avait déjà précédée dans sa chambre, et le buste hors de la fenêtre grande ouverte, la tête penchée sur l’épaule, il scrutait la nuit avec une attention prodigieuse.
– Là, dit-il enfin, le doigt tendu vers un point de l’horizon, tandis que, dans son désarroi, elle cherchait en vain quelque repère parmi ces sombres masses confuses. Il se retourna. Il était toujours livide, mais ses lèvres minces exprimaient déjà une sorte de résolution calme, presque farouche.
– Qu’ai-je là, devant moi, là?…
– Devant vous? Un pommier.
– Je ne parle pas du pommier. Plus loin que le pommier, beaucoup plus loin?
– Comment voulez-vous… Mon Dieu! Mon Dieu! il fait plus noir que dans un four! Et quoi donc que vous avez vu?
– Je n’ai pas vu, dit-il, j’ai entendu.
Il alla brusquement vers la table, prit une feuille de papier. L’effort qu’il s’imposait pour rester calme donnait à chacun de ses mouvements saccadés une précision mécanique.
– Voilà cette maison, continua-t-il, en dessinant rapidement; voilà le chemin que j’ai pris, l’orientation de cette fenêtre…
Et, traçant une ligne oblique à travers la page:
– Qu’y a-t-il dans cette direction?